Samedi 7 décembre 2019
La naissance d’une nouvelle nation ou comment dire l’algérianité
Quoi qu’il en soit, nation-Etat ou nation-communauté ou simple patrie solidairement agissante, et par cela même « nationale » quelque chose existait qui a permis à l’Algérie de s’opposer au cours des 130 ans, à une puissance impérialiste et à la force à capituler. M. Lacheraf
En reprenant le titre du célèbre film de D.W Griffith (Naissance d’un Nation, 1915) nous n’avons nullement pour objectif de plagier le réalisateur américain ni non plus de faire un commentaire sur la naissance de la jeune nation américaine pour la simple raison que ni l’histoire ni l’ethnicité des deux pays ne se ressemblent au point que les conditions de la décolonisation d’un vieux peuple d’Afrique ont forcément déterminé l’existence de l’Etat national. Au fait c’est cet aspect particulier de l’Etat national qui pose problème dans la naissance de la nation algérienne.
A croire Mostefa Lacheraf, les agrégats sociaux auquels il fait référence est une réalité historique indéniable parce que précisément tous les Etats qu’a connu le Maghreb n’ont jamais soumis toutes les tribus. Pour l’Algérie du XIXe siècle, cette réalité a bien été cartographiée par E. Carette (Carte de l’Algérie divisée en tribus, 1846) membre imminent de la toute française commission scientifique de l’Algérie. Plus on remonte dans le temps de l’histoire de l’Afrique du Nord, ni l’Etat numide ni celui des Almohades pourtant considérés comme des empires n’ont englobé la totalité des tribus nord-africaines ou sahariennes. En effet, ni les regroupements des tribus initiés dans l’antiquité par les Romains ni les « systèmes d’allégeance » mis en place par les princes autochtones ou étrangers n’ont pas permis une administration totale des territoires tribaux. I
l va de soi que la lecture étatique ou « striée » selon l’expression d’un philosophe français de l’histoire politique de l’Afrique du Nord et du Sahara est un trompe-oeil épistémologique qui consiste à réduire la réalité de la population à une sommission à un organe centralisé. Quoiqu’on dise, cette forme centralisée de l’administration de la population est une pure invention politique de l’Europe moderne. C’est par cette invention politique que l’Europe conquérante dessinera les contours de l’Etat colonial qui de surcroît lui servira d’instrument de surveillance des tribus maghrébines. Cette politique étatique sera le cheval de bataille de la colonisation pour soumettre puis contrôler et enfin administrer les populations.
La mise en place de l’Etat colonial de part sa domination réduira les organisations tribales en espèce de pacotille. Quant à la colonisation de peuplement, elle entamera définitivement la dépossession des terres communautaires au profit des nouveaux colons. Du coup, ce sombre tableau de la colonisation n’entamera jamais la résistance de la population. En termes de cinéphilie, même la trilogie de Lakhadar Hamina pourtant primée au festival de Cannes et avec tous les mérites qu’on lui doit d’avoir réalisé une belle fresque historique, une fois « consommée » ne s’inscrit, hélas pas dans la durée référentielle du cinéma. A courte vue, nous dirons que les orientations idéologiques des donneurs d’ordre ont fortement influencé l’oeuvre du cinéaste algérien.
Pourtant, le film de D.W. Griffith continue à soulever des questions d’ordre politique au point que quelques critiques du cinéma lui reprochent d’être raciste.
Plus qu’autre chose c’est vraisemblablement la valeur intrinsèque de l’oeuvre qui fait la différence entre les deux productions cinématographiques.Sous cet angle et indépendamment de la polémique soulevée par le réalisateur américain, c’est la valeur intrinsèque de l’oeuvre comme détermination créative (G. Deleuze, Image mouvement-cinéma 1, 1983, Image et,cinéma 2, 1985 et Qu’est-ce qu’une création,1987) qui différencie les deux productions. La plongée historique des conditions sociales du peuplement de l’Amérique de D.W. Griffith est un manifeste politique de la naissance de la jeune nation américaine alors que chez Lakhdar Hamina, les tribus ne sont que des ombres chinoises par le simple fait que l’idéologie nationaliste sublime le culte de la « dernière image » entachée par la figure de la zaama ou par la quête de la puissance du fou du village Ceci dit, nous ne voulons pas exercer la profession de critique du cinéma mais par contre nous voulons en quelque sorte pointer du doigt la situation de la production en Algérie des oeuvres cinématographique, littéraire, théâtrale et musicale, etc. Comme la société, les arts en Algérie sont soumis au désirata des dirigeants politiques.
A ce titre, rares sont les créateurs algériens qui ont échappé à la censure du pouvoir de l’Etat. Toutefois sans commune mesure, les auteurs d’avant l’indépendance de l’Algérie et ce malgré, la férocité de la répression coloniale ont bénéficié de meilleures conditions de travail. Paradoxalement, l’Algérie indépendante n’a pas permis l’éclosion de nouveaux talents et les rares créateurs ont été obligé de s’exiler pour échapper à la censure et la médiocrité ambiante.
Tout compte fait, la consolidation autoritaire des institutions de l’Etat a engendré le blocage de la société algérienne et la fuite des cerveaux à l’étranger. Ainsi, les médiocres réalisations du système algérien, moyennant finances, sont pour la plupart des réalisations de la sous-traitance étrangère. Le génie du pêuple a tellement été étouffé qu’il ne restait à tous ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas s’exiler que de vivre à la marge d’un système qui vampirise tout. Certainement, l’un des points noirs du système algérien est incontestablement la non valeur de la citoyennété réduite au plus banal usage du droit politique.
A tout dire, la relation entre l’Etat et le citoyen est régie par le clientélisme qui rend l’algérianité méconnaissable au point où les scènes de la vie quotidienne donnent le spectacle le plus abject de la bureaucratie tentaculaire qui enchaîne l’individu en le rendant serviable à la tout va. Les mécanismes des passe-droits qui alimentent
tous les circuits institutionnels obère l’Algérianité comme facteur de droit et contribue à la surfacturation monétaire des usages sociaux (ou du capital symbolique d’après P. Bourdieu) au benéfice du chef autoritaire.L’autoritarisme comme règlè de conduite des fonctionnaires de l’Etat et l’administration publique de la citoyenneté accentuent la dépendance de la clientèle
sous la forme la plus traditionnelle du patronat. Ces usages sociaux sont pratiquement communs à tous les domaines de la vie sociale en Algérie. Ils empiètent sur la citoyenneté pour en
faire un redoutable outil de gouvernance au service des puissants. Même si d’un point de vue politique, le mouvement national a réussi a rassemblé les ‘indigènes » autour de la question de
l’indépendance, il n’en demeure pas moins qu’après les cinquante sept de la libération du joug colonial, l’algérianité souffre de l’usurpation qui elle-même use de la spoliation au nom de l’Etat. La disjonction politique entre l’Etat et la société se situe exactement à l’intersection des usages sociaux de l’algérianté comme valeur de la citoyenneté. Le système algérien
(et les hommes et femmes qui en abusent des avantages de positionnement) de par son fonctionnement est l’exact opposé de la citoyenneté parce qu’il opère sur des mécanismes de soumission de l’individu à la machine administrative qui fait perdre à l’algérianité toute sa crédibilité. En ce sens, l’usurpation du pouvoir et le fait de parler au nom du peuple accentuent l’écart de la citoyenneté qui lie l’Algérien à l’Etat. A tout point de vue,l’algérianité comme facteur politique de la citoyenneté a perdu tout son sens non pas seulement par la mauvaise gouvernance du pays mais le poids de la domination a conforté la pratique des mauvais usages qui ont de toutes les façons jeté le discret sur l’Etat et accentué la méfiance des citoyens envers les institutions étatiques. Pire, l’hostilité tout azimut contre l’administation de l’Etat a exponentiellment explosé.
Dès lors rendre compte de la relation du citoyen et de l’Etat revient à dire que l’inaccomplissement de l’algérianité relève des mefaits des dirigeants autoritaires qui ne s’empêchent pas d’insulter la population. Autrement dit, en privatisant l’Algérie, les décideurs sont devenus les maîtres absolus de la terre algérienne. Il n’ya qu’à voir la relation quasi patrimoniale de l’Etat à la terre d’ Algérie qui non seulement sert de soupape aux nouveaux riches mais cette relation entretient le monopole de l’algérianité telle qu’elle est définie par les usurpateurs. C’est une vraie servitude politique d’incriminer, d’insulter la population ou de simplement jauger du degré d’algérianité du citoyen.
En plus de la violence physique, des attaques verbales virulentes et inouies ont été perpétrées par les responsables algériens à l’encontre des manifestants pacifiques. Incroyable! des mots abjects ont été employés qui démontrent le mépris qu’a le pouvoir algérien envers une population qu’il est censé gouverner. Ces pratiques ne correspondent à aucune déontologie politique ni aux moeurs et coutumes de la tradition ancestrale. Encore une fois, les dirigeants algériens méprisent leur peuple au point de pas maitriser le langage d’usage.
En définitive, ils croient avoir au même titre que la privatisation de d’Algérie, le droit de vie et de mort sur les citoyens. Le rejet du régime est tel que les les citoyens confondent le domaine public (Beylic) avec les institutions gouvernementales. Il s’ensuit que la dépossession des richesses de la terre par le patrimonialisme compradore a incité la population algérienne a abandonné l’espace public. Rien n’y est fait, il n’ ya qu’à voir l’état de délabrement des artères des villes algériennes.
A qui veut le croire,la saleté, la puanteur et les immondices des déchets usagers offrent le spectacle désolant et nauséabond d’une vie de calvaire de la population au quotidien.
Heureusement, à l’inverse de l’état catastrophique de la gestion de l’Algérie par le régime actuel, le hirak à revalorisé l’espace public; tout d’abord en se le réappropriant et ensuite en prenant soin de nettoyer les rues des villes et villages. Indépendamment des slogans, le bon usage de l’espace public est une une nouvelle manière d’exercer l’algérianité. La reprise en mains des destinées du pays par le peuple est la meilleure manière d’exercer une algérianité pleine et entière.
En effet, l’exercice de l’algérianité est synonyme de l’amour du pays. Par le biais de cet exercice, la citoyenneté se renforce et elle retrouve tout son sens et fait corps avec l’idée de Nation à contruire. Depuis la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, on a été habitué à entendre claironner l’idée de la nation algérienne voire « arabe » alors que la réalité sociale et politique est entachée par l’emprise du clanisme de bon teint, artefact d’une élite toute désignée pour exercer sur la masse populaire le pouvoir absolu de l’Etat.
A tout va et son exception, tous les dirigeants qui se sont succédé ont usé du populisme démagogique soit pour écarter les opposants ou leurs rivaux soit pour soumettre le peuple en entier. La cohorte des serviteurs de l’Etat qui ont commis toutes sortes dépassements sont aussi nombreux que les fonctions ministérielles ou managériales dont ils se sont servi pour s’enrichir ou imposer leur dictat.Tout compte fait, le mensonge et la rapine des plus perfides ont considérablement affaibli l’algérianité comme expression de la citoyenneté algérienne. Le contraire ne serait pas faux de dire que les fausses promesses ont perduré au point que l’Algérie est devenue méconnaissable.
Ainsi, il ne serait pas faux d’affirmer que sous les décombres du système actuel, l’algérianité se revigore pour atteindre un indice de confiance record d’une Algérie beaucoup plus meilleure. Les fondements matérielles et les facteurs psychologiques sont telles que le projet d’une nouvelle nation algérienne est pratiquement en voie de concrétisation sur la base d’un large éventail d’opinions politiques. En définitive, c’est le public algérien à qui il revient d’oeuvrer pour que l’ambition se traduise en une consécration de la souveraineté du peuple.
Tant que les Algériens restent solidaires entre-eux, ils ne peuvent que réussir une révolution exceptionnelle de par son exemplarité. La voie est toute ouverte pour un Etat de droit seul capable d’assurer à chaque citoyen ses droits et c’est à ce dernier d’assumer seul ses devoirs envers la patrie.