La violence urbaine et les assassinats dans les quartiers « zombifiés » de l’Etat français, nous montrent bien qu’en plus des dichotomies sociales, il y a cette division et ce partage flagrant entre une urbanité centralisée et celle du morcellement périphérique. L’apogée de cette violence apparaît à chaque début et en pleine crise financière du capital dans le monde.
L’assassinat de Nahel et les émeutes de rues qui suivirent montrent une fois de plus que cette sorte de démocratisation de la violence à l’américaine, spécialement en France où l’espace urbain générateur de cette violence, collectionne des fragments de villes tel un puzzle en mouvements.
Nanterre est une « Casbah » européenne qui superpose une géographie psychique transcendant des données matérielles et historiques. Une ville physique de l’embarras fondamental, d’une angoisse face au reste du monde.
La confusion et l’étrangeté sont recréées à travers son paysage urbain dans l’identité s’y perd. Le parcours de Nahel à bord de cette luxueuse Mercedes « polonaise » est celui d’une escapade vers un labyrinthe au couloir unique qui, après de nombreux détours, aboutit au centre en évitant une multitude de parcours dédaléens, fait de fausses routes et d’impasses.
Nanterre–la–Casbah représente alors cette mobilité de l’esprit du jeune Nahel qui s’est adonné à la rêverie, à un mode de pensée avec une logique bien ordinaire, ce saisir d’un instant de luxure et de bien-être au centre même de la jungle urbaine. Un adolescent qu’un casier judiciaire le rejette d’un ordre social et lui interdit le rêve d’être millionnaire. Nanterre-la-Casbah est ce lieu d’une déshumanisation, de cette déréalisation de l’urbain qui incarne la seule incitation au crime devenant lieu privilégié de l’action d’un roman noir.
De Nanterre-la-Casbah au palais de l’Elysée, il n’y a que 24 minutes en métro où un roman parviendrait à ignorer complétement toute frontière tracée par un ordre établie et transcenderait de fait celle de l’imaginaire. Ce dernier, en inscrivant le totem de l’origine algérienne de Nahel, retrace un traumatisme urbain, celui du bidonville d’une Casbah algérienne sur la Seine.
Elle a été le siège central du PPA lors de sa dissolution en octobre 1939. Elle était un haut lieu de la Résistance française lors de l’exécution, en octobre 1943, des chefs de l’organisation fasciste du PPF, Joseph Quillard et Pierre Michelin. Enfin, la Casbah de la misère et du désarroi ouvrier lors des grandes grèves en 1950, des ouvriers algériens de Peugeot de La Garenne et ceux de chez Simca-Talbot.
Durant le gaullisme de pacotille, on peut avoir des cartes d’identités françaises sans se sentir complétement chez soi. Aujourd’hui, la paléo-fascisme profite du très discret soutien du quartier financier de la Défense. Dans ce paradigme des « frontières » sociales, politiques et mémorielles, le territoire américain s’est infiltré dans l’imaginaire français. Le gendarme « Florian » et sur sa cavalière moto, incarna le chasseur de primes du western hollywoodien façonnant les hommes de Nanterre-la-Casbah par une sorte de réaction darwinienne où l’humanité est perpétuellement en guerre contre elle-même.
Le meurtre de Nahel intériorise une frontière abstraite où l’espace se fait social d’abord et éthique par la suite. Elle cristallise une réflexion sur la culture des clichés accentués jusqu’à la caricature. Aujourd’hui, inscrire un tel crime sur un mode de post-colonialité, comme le fait une certaine « gauche » ethnique aux USA, ne suffit plus à lui-même. Du côté de la rive sud de la Méditerranée, on se limite avec une dose de complexe d’infériorité à l’image mentale du crime raciste anti-Maghrébin et particulièrement anti-Algérien.
Nahel est adolescent français et c’est un avenir bien français auquel on vient de mettre un terme et focaliser sur une déperdition de vraisemblance ne fonctionne pas sur le cas Nahel. L’ignominie de l’acte en lui-même a été largement condamnée de par le monde. Les médias de l’Etat français se sont tus et même à Alger où les officiels craignaient le retour aux actes de la vendetta raciste des années 1970, peut-être même une « contamination » violente pouvant atteindre le pays.
Mais c’est surtout une certaine presse « ethnique » américaine qui, à travers un discours nationaliste afro-américain, a réellement frustré Paris avec l’évocation de l’ampleur historique du racisme au sein de la police française avec une maladroite évocation de la source même de cette attitude darwinienne au sein de la première agence sécuritaire en France. Le discours de ce radicalisme afro-américain remonta à l’époque de la création de ce qu’il a nommé de « Brigade maghrébine » en 1925 et qui était chargé de réprimer les «indigènes » nord-africains en France.
Il n’y a pas à en vouloir à ce discours éthno-américain dans son ignorance de nos pages d’histoires et mettre tout le monde dans le même panier c’est assez simple aux yeux du nationalisme chauvin de couleurs confondues. Il est d’ailleurs stupéfiant de lire, du côté de « l’allié chinois » combien est immense la régression culturelle de cette Chine de l’après Mao. Sur le site chinois de Wikipédia, destiné au large public, nous relevons sur la page «Algérie » une illustration portant sur la résistance du mouvement syndical algérien pour l’indépendance, avec un petit groupe de personnes bien européennes marchant derrière la bannière algérienne collée à la banderole du Lion’s Club – District 415. Merci la Chine ?
M. Jesuthasan, bien que basé en France pour l’hebdomadaire The Nation aurait dû se rapprocher des militants politiques algériens en France et de toutes tendances confondues pour lui préciser que le terme maghrébin n’a été utilisé tant en Algérie qu’en France que par les seules forces anticolonialistes et non de la part de ceux qui les répriment. La Brigade en question est celle que la préfecture de la Seine avait créée en date du 31 mars 1925 sous le nom de Section des indigènes Nord-africains, destinée à la « surveillance et la protection des indigènes nord-africains en résidence ou en passage à Paris ». le siège de cette Brigade nord-africaine était hébergé au 6, rue Lecomte, tristement célèbre pour tous les militants politiques et syndicaux algériens notamment et ce jusqu’en 1949.
Selon la documentation préfectorale de la Seine de l’époque, la Brigade était composée de 32 inspecteurs en 1933 et 42 en 1938 et des auxiliaires sous la direction bien française. Luttant contre « la recrudescence de la criminalité et le banditisme au sein des travailleurs nord-africains », la Brigade avait procédé à des expulsions d’individus jugés violents et « n’adhérant pas aux mœurs françaises » vers leur colonie du Maghreb. Avant sa dissolution avec l’Union française d’après-1945, un membre du conseil de la ville de Paris osait dire qu’il est « permis de regretter la disparition de la Brigade nord-africaine, qui a rendu de signalés service au cours de son fonctionnement ».
Dans les faits, ladite Brigade était surtout composée d’Algériens et de Marocains issus ou proche du « milieu », du banditisme, des trafiquants et celui de la prostitution et soutenus financièrement par les bachaghas et aghas des colonies.
Son action dépassait de loin les procédures judiciaires et faisait de la rue Lecomte un centre de tortures plus qu’un guichet pour travailleurs coloniaux. Elle s’est spécialisée dans la chasse aux militants politiques et ouvriers des trois pays du Maghreb et c’est elle qui a appuyé et recruté, durant le régime vichyste, les éléments de la Légion nord-africaine (une Gestapo bien nord-africaine) et dont l’une de ses victimes est le militant communiste et Etoiliste nord-africain, Salah Bouchafa originaire de Harbil (wilaya de Sétif). Bouchafa est né le 21/12/1903 et assassiné au camp nazi de Dachau le 6/4/1945. Un homme toujours ignorer par ses siens.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire