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La nécessité de reformuler la demande de reconnaissance

Tamazight

La nécessité de reformuler la demande de reconnaissance

Hamou Boumedine.

Un peuple dépossédé de la souveraineté de développer sa propre langue est un peuple colonisé linguistiquement. Il ne suffit pas qu’une langue soit enseignée, ou que certaines administrations publiques aient intégré tamazight dans leurs enseignes pour parler de son intégration ou de son développement dans l’espace public. La question de la territorialité linguistique, dans les sociétés plurales, est la pierre de touche pour évaluer réellement l’exercice d’un  droit linguistique par les locuteurs d’une langue. Dans les conditions, d’aujourd’hui, caractérisées par une forte compétition culturelle au niveau mondiale, une langue ne peut survivre si elle n’a pas un espace institutionnalisé pour se développer en tant que langue majoritaire. En faisant un petit bilan de l’enseignement de tamazight  depuis son intégration en 1995, à l’issu du boycott scolaire, personne ne peut soutenir raisonnablement qu’une grande avancée a été effectuée après plus de vingt ans, et sans aller chercher des statistiques, il suffit de voir le niveau d’intégration de tamazight dans les réseaux sociaux pour s’en convaincre : les échanges sur la plate-forme de Facebook est encore dominée par le français et l’arabe, et ceux qui s’emploient généralement à  l’utilisation  du tamazight font partie de l’ancienne génération qui l’a acquise en dehors du circuit officiel.

Quand on pose la question de la territorialité linguistique, on s’engage dans le débat du champ des compétences, mais  aussi  de la légitimité  de ceux qui sont investis  officiellement de la protection et du développement de la langue. Quelles sont, par exemple en Kabylie, les prérogatives des élus (locaux ou nationaux) dans une question aussi centrale que le développement d’une langue ? En dehors de l’affectation de maigres  subventions à certaines associations culturelles par le biais de l’APW, ont-ils un réel pouvoir ? Non, malheureusement aucun. Ils ne sont objectivement  que les témoins passifs d’une marginalisation programmée de l’Etat central. Et pourtant, dans l’absolu, un citoyen libre, qui se voit fortement représenté dans sa région, est en droit d’attendre qu’un budget spécial soit réservé par ses représentants à la prise en charge de sa propre langue. En Algérie, cette mission a été affectée au HCA, mais force est de constater que malgré la bonne volonté qu’on peut accorder à  ses membres, cette institution agit au mieux comme une grande association culturelle, et son budget frise le ridicule si on doit le comparer avec les budgets alloués aux autres dimensions de l’identité nationale,  l’arabité et l’islamité. Les  grandes manifestations de «  Constantine capitale de la culture arabe » et «  Tlemcen capitale de la culture islamique », pourtant conjoncturelles,  ont consommé des sommes qui dépassent les centaines de millions de dollars, et ce qui a été versé pompeusement  à un artiste du Macherek au cours d’un gala artistique n’aura  pas été amassé par aucune  vedette de la chanson kabyle durant toute sa carrière artistique.

Mais la plus  expressive de la domination linguistique que nous avons vécue reste le quota alloué dans les postes budgétaires pour l’année scolaire 2017-2018 : sur plus de 10 000 postes ouverts au concours de recrutement à l’échelle nationale, seuls 57 postes sont accordés à la langue amazighe ; en masse salariale ces postes ne représentent même pas 50 millions de DA par année. Au lieu d’engager une politique de discrimination positive, l’Etat algérien  fait exactement l’inverse et continue sa politique d’ostracisme et d’infériorisation de Tamazight.

Le rejet de la commission, au niveau de l’APN, de la proposition de loi engagée par la députée du Parti des travailleurs, pour la promotion de la langue amazighe ne vient que conforter cette politique d’exclusion, et contredire de manière franche le plan d’action présenté par M. Ouyahia devant cette même assemblée. Le pouvoir algérien nous a toujours habitués à rester dans les intentions quand il s’agit de questions qui s’imposent à lui  par la dynamique sociale ou par la pression internationale. Tamazight est « aussi » langue officielle  dans la Constitution, mais elle est aussi la langue nationale à qui on accorde le moins d’intérêt pour sa prise en charge. L’Académie amazighe, présentée comme  l’institution qui aura pour mission de donner une grande impulsion dans la standardisation et la généralisation, est devenue,  selon l’expression arabe : « hebrun âala waraq ».

Dans ces conditions,  et pour sortir du paradigme de l’Etat-nation centralisé, il faut engager une nouvelle forme  de demande de reconnaissance : une langue ne peut être réellement reconnue que si on reconnait l’existence de   ses locuteurs  en tant groupe humain avec une culture propre.  Il n’est pas un exemple dans le monde où la reconnaissance d’une langue  n’a pas été suivie d’une identification claire de  ses locuteurs. Tamazight, qui est pour tous les berbérophones, une aspiration à une fédération d’un patrimoine linguistique, est utilisée insidieusement par le pouvoir algérien comme une abstraction pour éviter de nommer les communautés amazighes de l’Algérie. Donc, à la base  ce qu’il faut revendiquer c’est un droit à l’existence  en tant que communauté amazighe, et la consécration d’un droit collectif. Tamazight est un patrimoine de tous les algériens, certes,  mais elle est d’abord  la langue de ceux qui la vivent et de ceux qui l’a font vivre. Alors, focaliser la revendication sur sa généralisation à l’échelle nationale c’est aller droit au mur et cette démarche ne fera qu’alimenter un débat sans fin avec l’éveil de sentiments qui ne feront que conforter les discours de la haine et du racisme.

L’officialisation d’une langue peut revêtir deux formes : d’une part, l’officialisation par superposition quand deux ou plusieurs langues occupent indistinctement un même espace linguistique et d’autre part l’officialisation par juxtaposition quand on veut consolider l’expression d’une langue majoritaire sur un territoire donné dans un pays. Cette dernière est celle correspond à la réalité algérienne puisque nous avons bel et bien des communautés linguistiques différentiées et majoritaires sur des espaces historiquement établis. Sauvegarder, développer Tamazight n’a aucun sens si on ne s’inscrit pas dans la l’entreprise de sauvegarder et développer les différents parlers amazighs : le kabyle, le touareg, le chaoui, le mozabite, le chenoui… etc

Une autonomie linguistique des communautés amazighes peut constituer la première étape dans la prise en charge de cette question. En Kabylie, pour des considérations historiques qui lui sont propres, cette revendication a déjà fait l’objet d’une formulation en 1998, et aujourd’hui  la revendication est axée, suite aux   événements de 2001, à une demande d’autonomie politique. Il appartient à tous d’ouvrir le débat de manière sereine, mais sans complaisance, sur cette question en faisant appel à la fois aux hommes politiques mais aussi aux linguistes et à toutes les bonnes volontés qui veulent participer au renforcement du plurilinguisme en Algérie.

H. B.

(*) Hamou Boumedine, ancien militant du Mouvement pour la culture berbère, est actuellement Coordinateur du mouvement autonomiste Kabyle, le RPK.

 

Auteur
Par Hamou Boumedine (*)

 




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