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«La pensée d’Aït Ahmed » : le récit de « l’homme du siècle algérien »

« La pensée d'Aït Ahmed » : le récit de "l'homme du siècle algérien"

Comment cerner la personnalité de Hocine Aït Ahmed dans un seul livre? Comment est-il possible d’évoquer la mémoire de ce grand homme, « l’homme du siècle algérien » par excellence, dans un seul essai, aussi dense soit-il ?

Comment traverser toutes ses escales de vie, sans s’y perdre, tant le parcours de ce nationaliste de première heure, né dans les contreforts du Djurdjura, fut aussi  riche que compliqué? Aït Ahmed qui a rejoint le train du mouvement national, en plein adolescence, âgé seulement de seize ans, reste dans l’imaginaire collectif algérien, un leader charismatique inoubliable et au destin enviable. La trajectoire du jeune militant du PPA-MTLD est décrypté, dans le récent ouvrage de Jugurtha Abbou,  depuis sa prime jeunesse dans sa commune natale d’Aït-Yahia en Kabylie jusqu’à pratiquement 2012, date de son retrait de la vie politique.

Tout a été mis en relief, avec une plume fluide et aiguisée : la prise de conscience du jeune lycéen de Ben Aknoun des répercussions des massacres de 1945, l’ordre et le contre-ordre prématuré de l’insurrection, faute d’agenda et de planning, le rapport Zeddine de 1948 dans lequel le jeune leader avait exposé les  fondements de l’Etat algérien moderne, le rêve du Maghreb des peuples qui, depuis l’exil égyptien à partir de 1952, fut la fer de lance des luttes révolutionnaires nord-africaines. Le regard de « Da L’Ho », comme l’appellent les intimes, à travers ses écrits (livres, interventions dans la presse, discours) sur nombre de questions telles que l’islam, l’identité, la laïcité, la femme, le pluralisme politique, est passé au peigne fin.

L’auteur a tenté d’emmener ses lecteurs dans un voyage historique, le regard projeté de l’intérieur, tant qu’il est cadre au sein du parti fondé par le leader révolutionnaire en septembre 1963.   Il y a comme une impression de « spontanéité », sinon de « sincérité » qui, au fil des pages, se revêt d’une dose de subjectivité décidément acceptable, dans la mesure où c’est de l’un des historiques de la révolution algérienne dont il s’agissait.

Quand on lit sur Aït-Ahmed, pratiquement on lit sur l’Algérie, ses espoirs, ses déceptions et ses tragédies.  Aït Ahmed, le jeune activiste du PPA-MTLD ayant installé le premier bureau du FLN à l’étranger, Aït-Ahmed, la cheville ouvrière, puis le chef  de l’Organisation secrète, Aït-Ahmed, le diplomate du Congrès de Bandug en 1955, Aït-Ahmed l’organisateur du hold-up de la poste d’Oran en 1949, Aït-Ahmed, le fugitif du Caire, Aït-Ahmed, le captif des autorités coloniales dans le premier arraisonnement aérien de l’histoire en octobre 1956, Aït-Ahmed et ses correspondances avec la direction du FLN, Aït-Ahmed, le rebelle post-indépendance en dissidence avec ses anciens « frères d’armes », Ait-Ahmed, le démocrate qui ne voulait ni de « l’Etat policier ni l’Etat intégriste ».

Au-delà de cet aspect-là, Jugurtha Abbou est revenu, de façon assez exhaustive, sur les positions du leader sur la crise identitaire, les assassinats politiques d’Abane, jusqu’à Matoub Lounès, en passant par Khider, Krim et Ali Mécili,  le printemps berbère 1980, l’intiative de la rencontre de Londres avec Ben Bella en 1985, les émeutes d’Octobre 1988, l’arrêt du processus électoral en 1992,  la réunion de l’opposition à Sant’Egidio en 1995, le « Système » , l’armée, la guerre civile, le printemps noir, la réconciliation nationale, etc. Autant de thèmes décortiqués avec soin et surtout « lucidité ».

Comment ne pas être fasciné par la carrure d’une personnalité politique d’une telle envergure, avec un tel parcours? L’essayiste qui, pour rappel, s’est auparavant essayé aussi au roman avec L’Amour des feux (édition Imal 2019) et Les Maux conjugués (édition Imal 2020), l’essai  Hier, Aujourd’hui, Demain, l’Algérie (édition El-Amel), a pris le pari et non pas des moindres, de nous replonger intelligemment dans les événements, en lien avec l’un des 9 historiques du FLN, l’opposant et le militant politique au long souffle. La stature du « gentilhomme kabyle », pour reprendre le mot de Jean Daniel, est à l’aune de l’histoire riche et complexe de son pays, l’Algérie, pour lequel il a pris les armes et la plume. Car, à lire l’essai de Abbou, on découvre un Aït Ahmed sous d’autres facettes, non seulement acteur de l’histoire, mais aussi et surtout  un intellectuel de haute facture, producteur d’idées et d’idéaux, immergé dans le flot des effluves du récit national. Un récit algérien « épique » qui a hissé, pour toute la postérité, notre patrie au rang de la « Mecque des révolutionnaires ».

Étayé de citations et d’extraits de textes, l’essai La pensée d’Aït Ahmed  s’apparente plutôt à une sorte de synthèse fluide et captivante de l’oeuvre du nationaliste de première heure. Tout en s’efforçant d’atteindre cette limite qui distingue le héros du simple militant politique, l’auteur, psychologue de formation et enseignant universitaire, s’est rigoureusement appliqué à nous montrer un homme qui entretient une relation quasi mystique avec la marche de l’Histoire.

Ne dit-on pas qu’une partie des qualités qui déterminent l’essentiel du destin d’un héros sont innées? C’est ce rôle d’éclaireur et de bâtisseur de l’histoire que remplit Aït Ahmed et c’est tout à son honneur. Le legs de l’ancienne génération, nos aînés libérateurs, doit être transmis à la génération d’aujourd’hui, c’est à la fois une responsabilité et un devoir. Et c’est sous cet aspect-là qu’il convient de dire que l’essai de Jugurtha Abbou est en lui-même une réussite…

Kamal Guerroua

Jugurtha Abbou, La pensée d’Aït Ahmed. Face aux tragédies algériennes, essai, Tafat éditions, 2022, 216 pages, prix public 1.000 dinars
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