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La politique en Algérie : chronique d’un assassinat silencieux

Mohcine Belabbas

Six ans après le 22 février 2019, date qui a marqué l’éveil d’une conscience populaire inédite, l’Algérie semble enlisée dans une stagnation politique préoccupante. Ce qui aurait pu être un tournant démocratique s’est progressivement mué en un étouffement systématique des aspirations citoyennes.

Aujourd’hui, le débat politique en Algérie est largement verrouillé, réduit à une mise en scène institutionnelle où toute véritable opposition est marginalisée ou réprimée.

Le soulèvement du 22 février, porté par des millions d’Algériens réclamant un changement radical, avait exposé au grand jour les limites d’un système verrouillé depuis des décennies. Le slogan “Yetnahaw gaâ”, scandé avec ferveur, traduisait une volonté de rupture avec un pouvoir figé dans ses pratiques. Pourtant, cette aspiration à une refondation démocratique s’est heurtée à un retour brutal du contrôle étatique. Au lieu d’une transition politique réelle, l’Algérie a assisté à un renforcement des mécanismes répressifs, effaçant méthodiquement toute forme de contestation et de réinvention institutionnelle.

Les acteurs politiques, toutes tendances confondues, ont été marginalisés, non pas par un débat d’idées, mais par une stratégie d’éviction coercitive : arrestations, harcèlement judiciaire, restrictions à la liberté d’expression et asphyxie des espaces de discussion. La criminalisation des opinions dissidentes s’est installée comme une norme, niant à des millions de citoyens leur droit fondamental à la parole et à la participation politique.

Cette répression ne se limite pas aux acteurs politiques traditionnels. Elle frappe désormais les syndicats et les défenseurs des droits sociaux. La récente décision du Conseil de justice de M’sila d’imposer un contrôle judiciaire au coordinateur national du Cnapest, Messaoud Boudiba, et à son collègue Boubekeur Habet, accompagnée d’une interdiction de s’exprimer publiquement, de publier sur les réseaux sociaux et de participer à toute manifestation, marque un dangereux précédent contre les libertés syndicales. En criminalisant l’engagement syndical, le pouvoir envoie un message clair : toute contestation sera réprimée, non par le dialogue, mais par la coercition et la restriction des libertés individuelles.

Ce durcissement s’inscrit dans une logique plus large de verrouillage institutionnel. La soumission récente d’un projet de loi sur les partis politiques illustre cette volonté d’étouffer ce qui reste du pluralisme. Derrière le prétexte d’une réorganisation du champ partisan, ce texte vise à imposer des conditions drastiques rendant quasi impossible l’existence de formations indépendantes. Plutôt qu’un cadre propice à une vie politique dynamique, cette réforme semble n’être qu’un outil supplémentaire pour restreindre le paysage politique et museler les voix dissidentes.

Loin d’un renouveau, le système politique algérien s’enfonce dans une paralysie institutionnelle. Les élections, qui devraient être des moments d’alternance et de légitimation populaire, sont vidées de leur substance. Les figures du pouvoir, déconnectées des réalités sociales, maintiennent leur emprise, tandis que la société civile, pourtant moteur de changement, se retrouve exclue du processus décisionnel. Ce fossé grandissant entre gouvernants et gouvernés ne fait qu’accentuer le désenchantement et l’indifférence politique.

Mais cet assassinat politique ne se limite pas à la répression directe des opposants. Il s’incarne également dans l’érosion des espaces de débat public et la mise sous tutelle des médias. Toute voix critique, qu’elle vienne d’un journaliste, d’un militant ou d’un simple citoyen, est immédiatement réduite au silence. Les rares tentatives de contestation sont systématiquement étouffées, instaurant un climat de censure qui nourrit le cynisme et la frustration populaires.

L’Algérie se retrouve ainsi dans une impasse : un peuple qui a démontré sa volonté de transformation face à un pouvoir qui persiste dans l’autoritarisme. Ce dialogue de sourds empêche toute perspective d’ouverture, le régime cherchant à maintenir une illusion de stabilité alors même qu’il compromet les fondements d’une démocratie véritable.

Restaurer le sens de la politique est devenu une nécessité urgente. Elle ne peut se réduire à une gestion administrative du pays, mais doit redevenir un espace d’échange, d’opposition constructive et de réflexion collective sur l’avenir national. Le véritable enjeu aujourd’hui est de rétablir les principes fondamentaux de la démocratie : liberté d’expression, pluralisme politique et participation citoyenne.

Le projet de loi sur les partis politiques et la répression des syndicalistes ne sont que des tentatives supplémentaires d’éteindre les dernières braises du débat politique. Mais l’histoire a montré que le silence imposé ne saurait être éternel. Les aspirations d’un peuple à la justice et à la liberté ne disparaissent pas : elles sommeillent, prêtes à ressurgir à la première opportunité. Ce n’est qu’une question de temps avant que la voix du peuple ne se fasse à nouveau entendre.

Mohcine Belabbas, ancien président du RCD

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