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La promotion du livre et la critique littéraire mal prises en charge

Médias culturels en Algérie

La promotion du livre et la critique littéraire mal prises en charge

Le phénomène des cafés littéraires commence à s’ancrer dans certaines villes algériennes, annonçant sans doute de nouveaux repères pour le regroupement autour du livre, de la lecture et des auteurs.

La situation peu enviable de la presse culturelle en général, et des magazines à vocation littéraire en particulier, ont indéniablement poussé les lecteurs et les auteurs vers de nouvelles formules de présence et de contact. Cette nouvelle formule, qui a lancé ses premiers jalons en Kabylie, avec les restrictions stupides que l’administration a tenté de dresser contre ce genre d’initiatives, commence, en toute apparence, à faire des émules. C’est dire, paradoxalement, le vide laissé par les canaux traditionnels de la promotion du livre et de la critique littéraire dans une ère de développement des nouvelles technologies de l’information e de la communication.

L’accompagnement de la création littéraire et des autres activités qui lui sont liées demeure le parent pauvre de cette chaîne, belle, exaltante, mais éreintante, qui commence par la hantise de la page blanche de l’auteur, et qui se termine par la nuit blanche du lecteur happé par la magie et la musicalité des mots, le galbe des images et l’épaisseur des personnages. Une chaîne censée être ponctuée, dès la publication de l’ouvrage, par un travail de présentation et de critique littéraire, à savoir la première étape de la critique qui a pour support les journaux quotidiens et les magazines. L’autre maillon de la critique est, bien entendu, supposé avoir pour réceptacle l’Université et les revues spécialisées.

Les derniers écrits de Wassiny Laâredj, de Kamel Daoud, de Nadjib Stambouli, de Kamal Bouamara et de bien d’autres auteurs, ont à peine fait l’objet de quelques fiches de lecture ou de compte-rendu express dans la presse quotidienne ou sur certains sites électroniques. En tous cas, on est loin de ce qui se faisait dans les anciens magazines, hebdos ou mensuels, consistant à aller davantage dans l’analyse de l’œuvre et à réserver une place de choix à des entretiens avec les auteurs. Les annonces ou commentaires sur les réseaux sociaux, valent, dans ce domaine, plus un échange de « curiosités » que des analyses ou critiques de l’œuvre.

Restent les émissions télé ou radio, qui tentent, tant bien que mal, avec les limites de programmes auxquelles elles sont soumises, de combler cet effarant vide, car, c’en est bien un. La « fête » que peut représenter le salon du livre- national ou international-, possède, elle aussi, ses propres limites, d’autant plus que les œuvres littéraires de qualité sont noyées dans la grande braderie où se côtoient le livre religieux, les recettes de cuisine, le parascolaire et le livre purement scientifique et technique. Dans cet éventail, le roman, la nouvelle, la poésie et la pièce de théâtre représentent un segment minoritaire, poussant les auteurs et leurs lecteurs à se regrouper en une curieuse « secte » dans un coin du Salon, menant un échange parfois inaudible, écrasé par le brouhaha de l’extra-littéraire.

Pourtant, nous savons bien qu’il y a, au cours de ces dernières années, un certain regain de dynamisme dans la production du livre en Algérie. La production littéraire proprement dite (romans, nouvelles, poésie, théâtre), sans qu’elle atteigne un niveau qui puisse hisser notre pays au rang d’organisateur de rentrées littéraires, comme elles se produisent dans les grands pays producteurs et consommateurs de littérature, a pu quand même sortir de la léthargie des années 1990, où presque la seule production connue était la littérature dite d’ « urgence », écrite et souvent publiée à l’étranger pour dire le mal…interne de la décennie rouge.

Le livre algérien en déficit de « lisibilité »

Le Salon international du livre qui se tient chaque année à Alger, donne à peu près la dimension de la production littéraire nationale, en arabe, en français et en tamazight. Cependant, en dehors de ce salon, qui a une action de promotion bien limitée dans le temps, l’on a du mal à trouver les créneaux ou les instances qui puissent accompagner le livre dans son parcours, allant de l’auteur jusqu’aux lecteurs et aux bibliothèques. Notre pays n’arrive pas à établir une tradition de vulgarisation et de promotion du produit livresque; cela, sans parler du travail de critique littéraire et de classification qui est censée revenir aussi bien à l’université qu’à d’autres instances littéraires (associations, fondations). Ce domaine reste réellement en friche. C’est presque le hasard des rencontres entre le livre et le lecteur, qui peut faire découvrir un auteur extraordinairement génial. Même réalisée, cette « découverte » se limite à des cercles restreints. Généralement, il faut beaucoup de temps pour que la décantation se fasse. Elle se fait de façon brouillonne, sans repères ni critères précis. C’est pourquoi, il serait malaisé de fonder le jugement et la classification sur un processus aussi aléatoire.

Certes, la presse écrite et les sites électroniques, sans prétendre se substituer aux instances académiques ou aux supports de la critique littéraire, sont susceptibles de contribuer à la lisibilité de la production littéraire, au moins en donnant les grandes orientations (biographie de l’auteur, contexte, petit résumé de l’histoire,…). Dans le créneau de la promotion, les supports d’information générale constituent un maillon précieux dans la chaîne de production du livre. L’on a remarqué que les éditeurs eux-mêmes prennent souvent l’initiative de faire insérer des encarts publicitaires relatifs à leurs nouvelles parutions.

Néanmoins, la tradition littéraire européenne, celle qui est à l’origine du roman moderne depuis au moins le 19e siècle, a établi un support précieux et qui a la vie longue, visant à accompagner le livre dans l’effort de promotion, de critique littéraire et de classification; il s’agit, bien entendu, de la revue. Dans tous les pays à grande vocation de lecture, la revue demeure un outil indispensable pour présenter les livres et les auteurs, et pour, aussi, instaurer des débats et des espaces, non seulement de critique littéraire, mais également de grands débats intellectuels dont la publication de certains ouvrages peut être le point de départ et de ralliement. De même, une telle entreprise peut ouvrir la voie à ceux qui sont tentés par le travail de traduction à l’intérieur des trois langues usitées en Algérie, et même au-delà.

Une tradition non entretenue

En Algérie, après avoir connu, dans le prolongement de la tradition coloniale, une certaine effervescence au début de l’indépendance, l’espace médiatique à vocation littéraire s’est réduit en peau de chagrin dès la fin des années 1980 jusqu’à créer un grand vide dans le domaine. Sur les étalages des buralistes ou dans les librairies, l’on ne trouve actuellement- et encore de façon irrégulière et pas sur tout le territoire national- que le magazine Livres.

Le magazine culturel Passerelles, un mensuel de haute facture, a disparu depuis quelques années. Jusqu’à un passé récent, c’étaient presque les seules magazines qui portaient encore, un tant soit peu, le souci de la lecture et du livre.

On tient ainsi à partager avec le lecteur des moments de joie, en découvrant des auteurs et en lisant des extraits de leurs œuvres.

Au lendemain de l’Indépendance, même des magazines et des périodiques d’informations générales ont pu rendre compte des productions littéraires algériennes et étrangères, les faire connaître du grand public, en présenter la synthèse et, parfois, créer des tribunes de critique littéraire, selon, naturellement, les limites de format et de vocation de ce genre de magazine. Après Révolution Africaine, où eurent à exercer Anna Gréki, Mourad Bourboune, Mohammed Harbi, et Novembre, fondé par Mohamed Boudia, nous aurons, pendant les années soixante-dix Algérie-Actualités, puis Parcours maghrébins. Pendant plus d’un quart de siècle, le premier servait de creuset et de lieu de rencontre d’une élite journalistique qui a investi foncièrement dans la rédaction culturelle et littéraire. On avait droit à des présentations et des analyses d’œuvres picturales, poétiques, romanesques, théâtrales et cinématographiques. On a eu même droit à un périodique de haute qualité, mais qui aura la vie brève, consacré au cinéma et à la télévision, Les Deux écrans, dû à Abdou Benziane, Mouny Berrah et d’autres plumes trempées dans souci de servir la culture cinématographique et audiovisuelle dans notre pays.

Après le Printemps amazigh d’avril 1980, les animateurs de l’underground culturel berbère étaient parvenus à éditer la revue clandestine Tafsut, qui, par la qualité de certains de ces articles, n’avait rien à envier aux revues culturelles réalisées à grand budget. Cette publication, produite par la cotisation des étudiants et enseignants de l’Université de Tizi Ouzou, sous format de polycopié d’une soixantaine de pages agrafés, était diffusée sous cape jusqu’aux établissements universitaires les plus reculés du pays. Paradoxalement, l’expérience s’arrêta avec…la fin de la clandestinité et l’ouverture du pays au pluralisme politique.

Ruptures: une exaltante expérience arrêtée par la furie terroriste

Bien auparavant, les pages culturelles d’El Moudjahid (avec un supplément hebdomadaire) et les pages culturelles de l’Actualité de l’émigration, périodique édité alors part l’Amicale des Algériens en Europe (une organisation de masse du FLN à l’étranger!), avaient ouvert-selon des limites flexibles établies par le système du parti unique- des tribunes littéraires parfois de grande valeur. L’on se souvient particulièrement de cette grande interview de Mouloud Mammeri, réalisée en 1987 pour le compte de l’Actualité de l’émigration, sur un ton de liberté inhabituel, par le professeur Abdelkader Djeghloul.

Avec l’ouverture démocratique post-Octobre 88 et le pluralisme de la presse écrite d’avril 1990, une grande partie de la presse avait surtout pour souci de s’inscrire dans les luttes politiques et idéologiques qui réservaient peu de place à la culture de façon générale. L’exception allait émaner de quelques journalistes issus d’Algérie-Actualités pour une nouvelle aventure exaltante, mais que le tragique destin de l’Algérie arrêtera en plein envol. Ce fut l’hebdomadaire Ruptures, fondé par Tahar Djaout et ses amis en 1991. La furie terroriste arrêta l’expérience- d’un magazine culturel, littéraire et de débats intellectuels- avec l’assassinat de Djaout en juin 1993.

Aujourd’hui, le champ est presque vierge dans l’accompagnement et la promotion du livre et de la littérature. Du même coup, les repères sont quelque peu brouillés pour la consécration des écrivains, des poètes, des dramaturges et d’autres hommes de culture. Si des prix et des concours sont parfois organisés dans le domaine littéraire, leur valeur ne fait souvent pas l’unanimité. Le retour vers les revues littéraires, tout en investissant, à cette fin, le support électronique, apparaît comme une nécessité impérative à laquelle devrait contribuer aussi l’université, considérée comme un des réceptacles majeurs de la lecture, de l’analyse, de la critique littéraire et du jugement.

A.N. A.

Auteur
Amar Nait Messaoud

 




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