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La régence militaro-bureaucratique algérienne : une machine de survie au-delà des idéologies

Tebboune /Chanegriha

L’Algérie traverse depuis des décennies des crises politiques profondes. Depuis la guerre d’indépendance jusqu’aux récents événements du Hirak, une constante se dessine : la domination d’une élite militaro-bureaucratique sur l’appareil d’État.

Souvent présentée comme la garante de la stabilité, cette régence militaro-bureaucratique n’est, en réalité, qu’une structure dédiée à la perpétuation de son propre pouvoir, indifférente aux idéaux républicains ou modernistes.

Ma thèse est simple : cette régence n’a jamais combattu les islamistes par conviction républicaine ou moderniste. Elle l’a fait par pur instinct de survie, de la même manière qu’elle aurait écrasé une insurrection républicaine. Ce n’est pas une lutte idéologique qui guide ses actions, mais une logique implacable de préservation des privilèges. La néo-régence algéroise fonctionne comme une construction mafieuse, où les discours politiques ne sont que des paravents pour masquer des intérêts vénaux.

I. Une lutte pour la survie, pas pour les valeurs

Lors de la décennie noire des années 1990, l’État algérien a affronté une insurrection islamiste qui menaçait de renverser le régime. À l’époque, la lutte était présentée comme une défense de la République contre l’extrémisme religieux. Mais cette version des faits est trompeuse. Contrairement aux apparences, cette régence n’a pas mené ce combat pour protéger les valeurs républicaines ou modernistes. En réalité, ce qui était en jeu, c’était la survie d’un système de pouvoir solidement ancré dans la violence, la répression et la manipulation.

La régence militaro-bureaucratique n’a pas réagi contre les islamistes parce qu’ils incarnaient une menace théocratique, mais parce qu’ils représentaient un danger existentiel pour le système. L’idéologie, dans ce contexte, n’était qu’un prétexte. Si l’insurrection avait été menée par des républicains modernistes, le régime aurait agi de la même manière, avec la même brutalité. L’idée que ce combat était motivé par un attachement aux principes républicains est une fable construite pour légitimer l’usage de la force et camoufler les véritables motivations de la régence.

Dans ce cadre, les islamistes étaient simplement un autre groupe à éliminer, car leur succès aurait mis en péril l’emprise du régime sur le pays. Ce combat n’était ni pour la laïcité, ni pour la démocratie, mais pour la survie d’un système mafieux, enraciné dans les structures militaro-bureaucratiques. J’en tiens pour preuve les accords conclus à El Aouana, une sorte de sant’Egidio endogène.

II. La régence militaro-bureaucratique : une structure mafieuse

Le pouvoir en Algérie est tenu par une élite militaro-bureaucratique qui contrôle l’État depuis l’indépendance. Cette régence, composée de généraux et de hauts fonctionnaires, fonctionne selon des logiques clientélistes et vénales. Dans le cadre du système d’import-Import, les ressources de l’État, en particulier les hydrocarbures, sont accaparées par cette élite qui s’en sert pour enrichir ses membres et leurs proches.

Les scandales de corruption qui éclatent régulièrement en Algérie ne sont que des symptômes visibles d’un système profondément pourri, où les institutions sont détournées pour servir des intérêts privés.

Cette régence atout d’une structure mafieuse. À l’instar des organisations criminelles, elle repose sur des réseaux de loyauté et de dépendance. Les membres de la régence protègent leurs intérêts en se servant de l’État comme d’un instrument de contrôle, tandis que le peuple est tenu à l’écart des véritables centres de décision.

Ce qui distingue cette régence des mafias traditionnelles, c’est qu’elle se dissimule derrière des apparences légales et institutionnelles. Les élections, les discours républicains et les promesses de réformes ne sont que des façades destinées à entretenir l’illusion d’un État moderne et démocratique.

Cependant, en dépit de ces apparences, le pouvoir réel reste concentré entre les mains d’une petite élite, les décideurs, déconnectée des réalités vécues par la majorité des Algériens. La régence militaro-bureaucratique est, avant tout, une machine à se perpétuer. Les généraux, les bureaucrates et les hommes d’affaires qui la composent ne se soucient guère des idéologies ou des principes. Ce qui compte, c’est de maintenir le système en place et de continuer à jouir des avantages qu’il procure.

III. Discours politiques et jeux d’ombres

Les discours politiques prononcés par les représentants du régime ne sont que des mises en scène destinées à cacher la véritable nature du pouvoir en Algérie. Depuis des décennies, la classe dirigeante a maîtrisé l’art de la communication politique pour manipuler l’opinion publique et détourner l’attention des véritables enjeux. Chaque discours officiel, chaque élection organisée, chaque réforme annoncée est soigneusement calculé pour maintenir le statu quo et préserver l’apparence d’un État républicain et moderne.

En réalité, ces discours ne sont que des écrans de fumée. Le véritable pouvoir se trouve ailleurs, dans les coulisses du pouvoir militaire et bureaucratique. Les décisions importantes ne sont pas prises par les politiciens élus, qui ne sont que des pantins, mais par les généraux et les hauts fonctionnaires qui contrôlent les institutions.

Ces derniers manipulent les processus démocratiques pour donner l’illusion d’une participation populaire, alors que le peuple n’a aucun rôle réel dans la prise de décision.

Les médias, contrôlés par l’État, qu’ils soient publics ou parapublics, jouent un rôle central dans ce jeu d’ombres. Ils relaient les discours officiels sans jamais poser de questions embarrassantes sur les pratiques de la régence militaro-bureaucratique. Les voix dissidentes sont systématiquement réduites au silence, tandis que les figures d’opposition qui osent dénoncer le régime sont marginalisées ou réprimées. Cette stratégie de manipulation permet à la régence de se maintenir en place tout en continuant à profiter des richesses du pays.

IV. Le Hirak : la résistance populaire face à la régence

Le mouvement Hirak, qui a émergé en 2019, a mis en lumière la profondeur du mécontentement populaire à l’égard de la régence militaro-bureaucratique. Les Algériens, lassés des promesses non tenues et des élections truquées, sont descendus dans la rue pour réclamer un changement profond du système politique. Ce mouvement pacifique, massif et transgénérationnel, a dénoncé l’ensemble de la classe dirigeante, qualifiée de « Issaba » (bande mafieuse).

Le Hirak a révélé une prise de conscience collective : les Algériens savent que le véritable pouvoir n’est pas entre les mains des politiciens visibles, mais entre celles des généraux et des élites bureaucratiques qui manipulent les institutions. Ce mouvement a permis de remettre en question la légitimité de la régence militaro-bureaucratique, et a montré que la population n’était plus prête à accepter un système corrompu et oppressif.

Cependant, malgré l’ampleur des manifestations, le régime a jusqu’à présent réussi à se maintenir en place. Grâce à une combinaison de répression, de manipulation politique et de promesses de réformes superficielles, la régence a temporairement invisibilisé les tensions. Mais elle n’a pas résolu le problème de fond : l’aspiration du peuple à un véritable changement.

V. Quelles perspectives pour l’avenir ?

L’avenir de la régence militaro-bureaucratique algérienne reste incertain. Le Hirak a montré que le peuple algérien était prêt à se mobiliser pour exiger un changement, mais la résilience du régime témoigne de la profondeur de son ancrage. Tant que l’armée conservera son emprise sur l’État, il sera difficile d’envisager une transition démocratique véritable.

Néanmoins, des facteurs pourraient créer les conditions d’un changement à long terme, notamment les difficultés économiques, exacerbées par la dépendance aux hydrocarbures, pourraient affaiblir la régence et ouvrir la voie à des réformes plus profondes.

Ce qui est certain, c’est que le peuple algérien a pris conscience de la nature du régime qui le gouverne. Les discours républicains et modernistes, ni même les glissements vers un conservatisme islamisant, ne suffisent plus à cacher la réalité d’un pouvoir corrompu et répressif.

La régence militaro-bureaucratique est à un tournant de son histoire. Soit elle continue à manipuler les apparences et à opprimer son peuple, soit elle accepte de céder une partie de son pouvoir pour permettre une véritable ouverture démocratique. Le destin d’une Nation en dépend.

Mohand Bakir

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