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La rente à l’heure du bricolage institutionnel

Petrole

Une fois la souveraineté recouvrée, l’Algérie va opter pour un régime autocratique à parti unique s’inspirant à la fois de la France gaullienne et de la Russie stalinienne, dans un contexte de la guerre froide entre le bloc de l’est et le bloc de l’ouest.

Comme la voiture, l’Algérie va clignoter à gauche pour tourner à droite et se retrouver en fin de parcours, dans le décor. De la route française à double sens à l’autoroute chinoise à double sens. Une route française construite par les colons pour les intérêts de la métropole (débouché de l’industrie française d’automobiles qui nécessitera l’apport d’une main d’œuvre indigène à bon marché corvéable à merci.

Dans les bouleversements qu’a connus la société algérienne colonisée puis décolonisée, on insiste toujours sur les conséquences de la colonisation rarement sur la phase de décolonisation.

L’Algérie côtière est soumise à une activité sismique régulière. Des villes bâties sur une faille sismique abritent la quasi-majorité de la population. Un schéma d’aménagement du territoire entamé par la France coloniale et poursuivi par l’Algérie indépendante. Ce schéma d’aménagement du territoire d’inspiration coloniale mis en œuvre au lendemain de l’indépendance a eu pour conséquences la concentration des populations dans les villes conduisant au bétonnage des terres agricoles fertiles  du pays sur le littoral et la pollution des côtes de la Méditerranée.

A contrario, les hauts plateaux seront abandonnés dans un état de sous-développement plus adaptés à recevoir des industries de transformation avec une répartition spatiale équilibrée de la population par la création de villes nouvelles.

Le nationalisme s’est révélé qu’un acte illusoire de souveraineté. L’indépendance politique n’avait pas suffi à elle seule à briser les liens de dépendance tissés à travers 132 ans de colonisation. Les premières constitutions datent des indépendances en Afrique. Et depuis, on ne les compte plus. Il y a eu autant de constitutions que de présidents régnants, autant de périodes sans constitutions que de constitutions sans application. Cela se traduit soit par une présidence à vie soit une constitution sans vie.

Autrement dit, la monopolisation et la pérennisation du pouvoir rarement la limitation et la séparation des pouvoirs parce que contraire à la culture et la tradition des sociétés arabes et africaines (la trinité des pouvoirs produit de la culture gréco-romaine et la religion chrétienne leur est étrangère). Les textes n’ont pour fonction de changer les mentalités mais de formaliser des projets de société se fondant sur des réalités locales et sur un imaginaire « élitiste ».

Les experts du droit fournissant la caution scientifique à une alchimie métaphysique. On chasse le naturel, il revient au galop. Elle n’a ni la rationalité ni l’effectivité.  Contrairement à ce qui s’est passé à partir du moyen âge, la naissance de l’Etat post colonial est beaucoup moins le résultat des changements sociaux qui ont accompagné l’émergence des structures autonomes (division du travail, bureaucratie professionnelle, surplus agricole dégagé etc…) que le produit d’un bricolage institutionnel visant à introduire dans l’espace politique des formes d’organisation parfaitement étrangères aux codes culturels et aux ressources de l’Etat.

Dans les sociétés occidentales, dès la fin du XVIIIème siècle, s’est imposée une idée neuve du bonheur immédiat. Ce bonheur se mesure à l’aune des biens consommés sur terre. En contrepartie de ce bonheur matériel s’est développé simultanément une idéologie productiviste où le travail est une valeur sur laquelle se fonde les économies. C’est à partir du moment où la société européenne est parvenue à dégager un surplus agricole lui permettant de libérer une partie de la population active pour asseoir une industrie qu’un pouvoir démocratique a pu émerger. Cette démocratie permet à celui qui fournit du travail de mieux saisir les contreparties de ses efforts tout en se libérant du pouvoir en place.

Les régimes autoritaires ont été tenus en échec en Angleterre et en France parce qu’une classe sociale a pu entreprendre le développement industriel qui a fourni un surplus économique indépendamment de l’Etat. La colonisation, en excluant les Algériens du système économique, social et politique, a empêché la formation d’une bourgeoisie nationale dynamique.

La bourgeoisie capitaliste autochtone, de par sa position subordonnée et sa faiblesse ne pouvait jouer un rôle fondamental dans le processus de construction de l’Algérie indépendante. Ce rôle incombe à l’Etat, c’est à dire à l’administration.

Face à la désorganisation de la société civile, à son manque de dynamisme tributaire de la colonisation, seul l’Etat constitue une entreprise structurée, rationnelle, efficace, capable de relever le défi de la modernisation économique.

L’Etat apparait dans ces conditions comme le seul instrument de gestion et se substituant aux individus et au groupe, leur impose sa propre conception des choses par les décisions qu’il prend à leur place. L’organisation sociale étant ainsi faite favorise la dynamique d’un processus de transfert des pouvoirs de la base et de leur centralisation au sein des appareils de l’Etat.

N’ayant pas d’autres moyens d’intervention que par la transmission d’ordres formels, l’Etat multiplie les lois, les décrets, les circulaires et les organes de contrôle créant de toute pièce un système tentaculaire administratif : la bureaucratie étouffant toute initiative de production ou d’investissement.

En imposant un schéma institutionnel dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société indigène, et un modèle économique  étranger aux réalités locales des populations, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique et au développement économique.

Dans ce contexte socio-politique particulier, une économie rentière colle parfaitement aux régimes autocratiques car elle donne l’illusion aux hommes que le pouvoir est éternel et qu’il peut se transmettre de père en fils ou d’un clan à un autre sans soubresauts politiques et/ou déroute économique dans un contexte géoponique sécurisé. C’est pourquoi, elle est un obstacle infranchissable à l’instauration d’une Etat civil démocratique moderne prenant appui sur une économie capitaliste autochtone affranchie du système mondial dominant et des pesanteurs sociologiques du passé immédiat et lointain des sociétés respectives.

C’est la nature des ressources qui détermine le régime politique d’un pays. Dans le cas de l’Algérie, ce sont les hydrocarbures. Etant propriétaire des gisements pétroliers et gaziers, l’Etat a le droit de s’approprier la rente.

En effet, l’Etat s’est institué propriétaire des gisements pétroliers et gaziers du territoire national, a conçu la rente comme un instrument d’une modernisation sans mobilisation de la nation.

Pour ce faire, il est conduit à affecter une part grandissante de la rente en cours de tarissement à la production et la reproduction de la base sociale c’est à dire à la consommation soit directement par la distribution de revenus sans contrepartie, soit indirectement par subvention, soit par les deux à la fois.

Cette pratique a donné naissance à une véritable débauche des dépenses publiques et à une grande auto-complaisance en matière de politique économique et sociale. Dans un pays chômé et payé, les institutions sont des coquilles vides

Le clanisme se nourrit de la rente pétrolière. Les deux réunis assurent la stabilité des régimes dits musulmans. La longévité politique exceptionnelle des régimes arabes est une réalité incontestable. Rente pétrolière et gazière et Etat providence concourent au même résultat : stabilité politique et stagnation économique.

Une hérédité sociale semble se mettre en place et par laquelle se transmettent des positions de domination et se perpétuent des situations de privilèges. Mais le mythe du projet étatique du développement est bel et bien fini parce qu’il s’est avéré « matériellement » impossible, « socialement » inacceptable, « politiquement » dangereux, et « financièrement » ruineux.

La principale caractéristique de cette couche au pouvoir est d’être l’alliée privilégiée de la bourgeoisie étrangère qui n’entend pas tolérer le développement d’une bourgeoisie locale, propriétaire, promoteur d’un Etat capitaliste économiquement indépendant et politiquement nationaliste.

Dr A. Boumezrag

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