La révolution algérienne qui a démarré avec la mort d’un instituteur français tué par le FLN dans les Aurès s’est terminée avec l’assassinat de l’instituteur Mouloud Feraoun, par l’OAS, à Alger. C’est là tout un symbole qu’il va falloir décrypter aujourd’hui. Nous sommes comptables devant l’histoire.
L’école républicaine française produit des individus citoyens dotés d’un libre arbitre, animés d’une rationalité cartésienne, et accumulant des connaissances universelles. L’école algérienne imbibée d’idéologie religieuse importée du moyen orient, forme des sujets obéissants, malléables et manipulables à volonté, soumis « corps et âme » à l’autorité de l’Etat à qui l’individu doit tout au prix de la perte de sa dignité et dans certains cas de son honneur.
Dès l’école primaire, on apprend aux élèves plus à obéir qu’à réfléchir. Et plus tard, à l’âge de la raison, ils se rendent compte que dans la vie professionnelle, l’obéissance à la hiérarchie est un critère déterminant dans la promotion sociale. Dans ce contexte, les capacités intellectuelles et professionnelles acquises à l’école, importent peu pour accéder et gravir les échelons de la hiérarchie administrative. Seul l’accès à un réseau le permet et l’obéissance aveugle dont il faudra faire preuve auprès de celui qui le contrôle.
Le système tire donc sa véritable dynamique de la promotion d’un personnel politico-administratif médiocre, car il n’a aucune possibilité d’exercer son esprit critique, malgré, pour certains le haut niveau intellectuel acquis à l’université. Cette promotion de la médiocrité visant l’accaparement des ressources nationales par la faction au pouvoir et leur redistribution obscure à travers les réseaux qui soutiennent le système crée ainsi par sa propre dynamique interne les conditions de son inefficacité notamment dans le domaine du développement économique où le système se contente de poser quelques réalisations prestigieuses n’ayant aucune emprise sur la dynamique sociale et économique mais donnent lieu simplement à une apparence du développement.
L’organisation sociale ne connaissant pas les lois de l’économique (profit, compétence, concurrence..) fait que toute production interne propre est dévalorisée et ne donne aucun label de notoriété à son auteur. La société n’exerce aucune pression sociale sur la production mais tente d’agir sur la redistribution par le recours aux grèves sauvages et aux émeutes sporadiques et récurrentes. C’est pourquoi la compétence s’exile, se marginalise, ou s’enterre, alors que la médiocrité s’affirme, s’impose et se multiplie.
La rente des hydrocarbures fonde l’Etat providence du fait de ses revenus extérieurs. La rente permet à l’Etat de procurer aux citoyens un niveau de vie minimum sans les taxer car les imposer sans leur fournir des sources de revenu risque de les voir se retourner contre le gouvernement. Tout simplement parce que les algériens dans leur grande majorité ne disposent pas d’un revenu en contrepartie d’un travail productif mais en échange d’une allégeance politique au régime en place.
En absence d’une démocratie en Algérie, l’enjeu politique ne sera plus la croissance économique et le plein emploi des facteurs de production de biens et services mais la répartition de la rente pétrolière et gazière à des fins de légitimation du pouvoir.
La rente va alors irriguer tous les réseaux du système, et chaque réseau sera évalué et rémunéré en fonction de sa contribution à la stabilité du système.
Ainsi, par ce mode de redistribution arbitraire et irrationnel des ressources nationales, l’Etat imposera une déresponsabilisation en profondeur, du sommet à la base, et de la base au sommet, à l’ensemble des acteurs économiques et sociaux, qui adoptent alors, sous l’effet de la pression sociale, l’idéologie du système c’est à dire « la politique du ventre ».
Cette politique a consisté à vider la tête des hommes et à remplir leur ventre. C’est dans ce contexte que nos enfants naissent et grandissent dans un climat de corruption qui fausse leur conscience dès leur jeune âge en leur faisant croire que le succès dans la vie s’obtient non pas par les études approfondies et le travail honnête mais par la tromperie et le vol.
En effet, le pouvoir sur les individus (les notes, les diplômes, les promotions) et les ressources (les licences d’importation, les crédits bancaires.) n’est pas une abstraction (une fiction juridique, des règles de droit, des procédures), il est avant tout une personne, un groupe ou un clan, d’où la nécessité pour domestiquer cette puissance, d’établir des relations personnelles avec elle. Un réseau pervers qui empêche toute compétence d’émerger et tout investissement productif de se réaliser.
C’est le règne de la médiocrité et de l’impunité
La nationalisation du pétrole et du gaz et la hausse du prix du baril de pétrole vont faire des ressources en hydrocarbures la principale source de revenu en devises du pays. C’est ainsi que la rente pétrolière et gazière va rendre le pouvoir de plus en plus attractif. C’est donc l’Etat qui va contrôler la quasi-totalité des ressources de la nation.
« On prend les hommes par le ventre et on les tient par la barbichette ». L’adage populaire qui dit « remplis lui son ventre, il oublie sa mère » trouve là toute sa pertinence. Une politique financée intégralement par la « poche » saharienne. La prise en charge des populations sans contrepartie productive aboutit nécessairement à l’aliénation de leurs droits politiques.
Tant qu’ils bénéficient d’une rente (un revenu, un fonds de commerce, des crédits, des immunités), les Algériens se détourneront de la politique et les gouvernements n’ont pas de compte à leur rendre sur leur gestion des deniers publics qu’elle soit rationnelle ou irrationnelle, cela ne les regarde pas.
C’est une affaire politique, une question qui les dépasse. Ils sont inaptes à la politique. Ils sont déclarés immatures. Ils vivent des subventions de l’Etat. Ils ne gagnent pas leurs salaires à la sueur de leurs fronts mais ils leurs sont octroyés par le groupe social au pouvoir. Ils tendent la main à l’Etat. Ils ne paient pas les produits à leurs justes prix).
La fiscalité ordinaire est de peu d’intérêt pur l’Etat. La fiscalité pétrolière et gazière couvre largement ses dépenses de fonctionnement. Pour qu’un Etat puisse exister concrètement sur le terrain, il faut le doter d’un bras c’est-à-dire d’une administration.
Une administration protégée par un droit spécifique et animée par des agents recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat à savoir l’idéologie de l’intérêt général. C’est dans et par l’idéologie de l’intérêt général que se réalise le consensus nécessaire au maintien du tissu social dans le monde occidental. « Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique, pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général » Karl Marx.
L’Algérie postcoloniale a connu plusieurs Présidents, un président « romantique », un président « nationaliste », un président « roi-fainéant », un président « général », un président « libertin » et s’apprête à inaugurer un nouveau cycle de gouvernance imprégnée des réalités locales, des pesanteurs sociologiques, aguerris des arcanes du système et conscient des menaces géostratégiques qui pèsent sur les nations faibles et riches en ressources naturelles. « L’avenir de l’homme, c’est son cerveau ». La famine sera le critère de sélection biologique du droit des peuples à la survie.
« L’ordinateur va démolir la pyramide. A présent qu’il enregistre et garde en mémoire ces données, nous pouvons restructurer horizontalement nos institutions pour peu que nous gardions les idées claires » John Nesbitt
Dr A. Boumezrag