Jeudi 18 juillet 2019
La Révolution du vendredi ou la défaite de l’algérianisme kabyle
Les marches du vendredi se suivent et se … kabylisent.
Toutes les autres régions ont marqué le pas, à l’exception de la Kabylie et d’Alger. C’est comme si l’essentiel des revendications a été entendu et satisfait par le général putschiste Gaïd Salah, qui leur a donné, en outre, l’impression d’avoir écarté la menace d’une confiscation de leur avenir par les Kabyles.
L’ordre intimé de rentrer dans les rangs et de ne plus brandir leur drapeau « identitaire » et les arrestations qui ont ciblé principalement les collaborateurs kabyles du système Zeroual-Bouteflika ont aussi été dans le sens des vœux de tous ceux qui, jusqu’ici, étaient quotidiennement nourris à l’antikabylisme primaire.
L’algérianisme est un nationalisme qui se décline essentiellement sur deux tons : l’officiel et le kabyle. Être algérien signifie officiellement être arabo-musulman. La dernière révision constitutionnelle ayant disposé que « le tamazight est aussi langue nationale et officielle » est une concession politique purement formelle faite pour contrer la montée en puissance des souverainistes kabyles. La dernière épreuve de langue arabe au baccalauréat 2019 rappelle clairement le sens de l’algérianité. Exit les rêveurs et autres naïfs « berbéristes ».
Chez les Kabyles désinformés, l’algérianisme donne à rêver d’une Algérie conforme à leurs valeurs et leurs desiderata, loin des réalités et des tendances lourdes du pays qui, elles, sont panarabistes et panislamistes.
Globalement, qu’ils soient de gauche ou de droite, en faisant un raccourci, les algérianistes kabyles donnent l’impression aux autres Algériens de vouloir kabyliser l’Algérie, voire de la coloniser.
Les Kabyles ne seraient que de faux nationalistes, francophiles et laïcs, qui auraient des desseins aux antipodes de leurs professions de foi. A cet égard, les dernières déclarations visant à remplacer le français par l’anglais au niveau de l’enseignement les visent directement.
Hocine Ait Ahmed, par exemple, malgré son intégrité morale et son engagement politique sans faille pour l’indépendance de l’Algérie, n’avait jamais pu se défaire de l’étiquette de « Kabyle » que l’opinion algérienne lui collait et qui le rendait de facto suspect et non présidentiable.
Tous les Kabyles aspirant à des fonctions de pouvoir en Algérie savent, en réalité, que leurs origines handicapent leurs ambitions. Ceux qui veulent à tout prix y arriver, postulent ouvertement au statut de KDS (Kabyles de service) et se bousculent au portillon des « décideurs » du pays pour les servir. Pour tenter de lever seulement quelques appréhensions et obstacles sur la voie de leur hypothétique succès, ils redoublent alors, en vain, de discours algérianistes en essayant d’entraîner les leurs derrière eux. Certains ont été jusqu’à se renier comme l’ex premier ministre, Belaid Abdeslam, qui déclara : « Je suis arabe parce que je suis kabyle !». En fin de compte, il faut comprendre leur soif de pouvoir comme un besoin irrépressible de sécurité. La peur des détenteurs de pouvoir et l’attrait pour ses richesses, les poussent à en devenir les obligés et les serviles valets contre la Kabylie.
En revanche, ceux qui caressent l’idée de kabyliser l’Algérie, soit la masse de ces algérianistes kabyles, reprennent à leur compte la devise de Gambetta : « Y penser toujours, n’en parler jamais ! ».
Selon leurs valeurs et leurs visions des choses, ils s’imaginent qu’une réelle démocratie finira tôt ou tard par faire respecter leur langue et leur personnalité, aussi bien dans la rue que dans les institutions, et qu’ils arriveront à convaincre le reste du pays.
Ils sont contre l’indépendantisme kabyle mais rêvent ardemment d’autonomie et de fédéralisme pour préserver leur espace vital, la Kabylie. Ils croient qu’ils finiront par devenir, sur l’ensemble du pays, politiquement et électoralement majoritaires pour mettre enfin en œuvre, leurs visions. J’avoue avoir été des leurs jusqu’en 2001.
Ce sont donc ces algérianistes kabyles qui remplissent les rues d’Alger, de Vgayet, Tuvirett, Tizi-Wezzu, Bordj et Sétif, portés par l’illusion de l’avènement imminent d’une « deuxième république ». Coupables de leur kabylité, certains d’entre eux se dressent contre le drapeau kabyle mais, pour ne pas se renier, brandissent le drapeau fédéral amazigh. C’est leur côté « xawa-xawa ».
Ils tentent de créer une fraternité entre le drapeau algérien et le leur, les faire flotter l’un à côté de l’autre pour se donner l’illusion d’un début de réalisation de leur rêve, celui de la naissance d’une nouvelle Algérie, belle, fraternelle, plurielle et démocratique. Ils scandent en Kabylie, des slogans en arabe et non pas en kabyle pour illustrer la sincérité de leur engagement.
A ce stade, ils avancent, tactiquement ou sans calcul, que « désormais, il n’y a ni Kabyle, ni Chawi, ni Mozabite, ni Touareg, nous sommes tous des Algériens ! » A leur insu, ils décrètent de ce fait la langue arabe comme seule langue de leur algérianisme. Partis pour arracher des droits linguistiques et culturels « amazighs » pour ne pas dire « kabyles », les voici en train d’imposer d’eux-mêmes la langue arabe à la Kabylie qui l’a toujours combattue. La dérive a commencé et rappelle étrangement ces députés kabyles, élus dans les années 90 pour exiger la reconnaissance de leur langue au parlement et qui en sont revenus arabisés, en fin de leur mandat.
Deux simples discours du nouveau dictateur, le général Gaid Salah, auront suffi à ruiner l’algérianisme kabyle.
Le 19 juin, 54e anniversaire du coup d’Etat de Boumediene contre Ben Bella, au nom du « Commandement Militaire », il est interdit aux manifestants kabyles de porter un « autre drapeau que le drapeau national » en rappelant que « l’Algérie n’a qu’un seul drapeau ! » Le 21 juin commence la répression contre les porteurs de drapeaux amazighs. Une cinquantaine de manifestants sont sous les verrous et les premières condamnations sont déjà tombées. La semaine d’après, les drapeaux amazighs se sont raréfiés dans la marche d’Alger où désormais la chasse au Kabyle bat son plein. Depuis le début du mois de juillet, il n’y a de marches que celles des Kabyles, en Kabylie et à Alger.
Au lieu d’assister à un élan de solidarité des manifestants à travers toute l’Algérie, à brandir ce drapeau de la fraternité, au nom du « xawa-xawa », pour défendre les victimes de cette répression, c’est le contraire qui se produit. Tout le monde a déserté la rue. Les Kabyles se retrouvent désespérément seuls à battre le pavé dans l’espoir de changer le pays, lui donner une nouvelle constitution consacrant la liberté, la démocratie et les droits humains. Pire ! Les algérianistes kabyles qui ont cessé de brandir le drapeau qui les singularise, ont lâchement abandonné à l’arbitraire des militaires ceux qui sont incarcérés pour avoir cru à leur indéfectible solidarité et à leur fraternité.
Le coup de grâce contre cette ineptie algérianiste kabyle sera enfin porté par ce discours de cet inénarrable Gaïd Salah, chargeant « ceux qui veulent imposer un ordre civil contre un ordre militaire ».
La boucle est bouclée. Le bilan de ces 22 semaines de la Révolution du Vendredi est calamiteux pour la Kabylie. Pour n’avoir pas défendu le drapeau kabyle, les algérianistes ont préparé la répression contre le leur, le drapeau amazigh et contre eux-mêmes. Poussant son avantage, le pouvoir militaire en vient à interdire dans la foulée de marcher avec des maillots de la Jeunesse Sportive de Kabylie et les robes kabyles, à Alger.
Aujourd’hui, le cœur n’y est plus. La peur d’affirmer son amazighité a gagné y compris en Kabylie. C’est une grave erreur de croire qu’ils seront épargnés par la répression en continuant de manifester tous les vendredis, à Vgayet et Tizi, avec des drapeaux algériens immenses sur lesquels on pose quelques drapeaux amazighs, en scandant des slogans en arabe.
Un adversaire qui recule a perdu le combat.
Bientôt, Gaid Salah, ou son remplaçant, va interdire de parler en Kabyle dans la rue.
Sur le plan politique, au lieu de voir se lever un nouveau jour de liberté et de démocratie pour la Kabylie, la voici sommée d’accepter « un ordre militaire ».
Bon sang ! Que tous les algérianistes rêveurs se réveillent. Il n’y aura jamais une « Algérie meilleure » avec « une démocratie majeure ». L’Algérie est la fille du colonialisme dont elle perpétuera toujours l’esprit et les réflexes, les dogmes et les pratiques.
Le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) et les indépendantistes en général, maintiennent la Kabylie debout. Ils sont le socle sur lequel s’élèvera la République kabyle qui fera de la liberté, la prospérité et la sécurité, le bien commun de tous ses enfants.
Devant cette impasse avérée de nos algérianistes, je les invite fraternellement à ne plus gaspiller leur énergie sur le Rocher de Sisyphe. Il y a lieu de rejoindre le mouvement indépendantiste pour constituer ensemble, avec l’Anavad, dans quelques mois, le premier parlement moderne de l’histoire de la Kabylie.
Exil, le 18/07/2019
Ferhat Mehenni