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La saison théâtrale

Chroniques du temps qui passe

La saison théâtrale

Maintenant que l’on sait que l’Égypte ce n’est pas de la rigolade et qu’il nous faudra nous passer des pitreries d’Adel Imam et de Fouad Mouhandess pour meubler les soirées de ramadan, mesurons la chance de pouvoir disposer de si désopilants dirigeants politiques capables de surpasser, en drôlerie, les comiques du Caire. C’est toujours dans les moments de grande impasse politique que se révèlent les talents drolatiques des politiciens, notamment chez ceux parmi les moins dotés d’intelligence et les plus enclins au cynisme. Leur brillant handicap les empêche de saisir la gravité de l’instant ; leur ambition les jette dans les bras du ridicule. Ils sont ainsi quelques-uns à brillamment assurer le spectacle, ce qui compense un peu de leur impuissance à assurer leur mission.

Terrorisés à l’idée de perdre leurs strapontins, les voilà qui revendiquent l’immortalité pour leur protecteur et partent en guerre, telle la conjuration des sots, contre le vieux cauchemar de potentats : la mort ! « Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde », crie le Caligula d’Albert Camus. Ils l’ont entendu. Rien ne les décourage. Pas même les premiers signes de lassitude de notre premier ministre Abdelmalek Sellal qui, après nous avoir inondé pendant deux mois, de nouvelles «rassurantes» sur l’état de santé du président, nous apprend dans un style «fellaguien » qu’il n’est pas le «médecin de Bouteflika». Le poste de « médecin de Bouteflika » n’en devient pas pour autant vacant, puisqu’il est âprement revendiqué par l’inclassable Louisa Hanoune et l’ami Amara Benyounès qui n’est, heureusement pour nous et pour l’humour, solennel que lorsqu’il parle de sachets en plastique.

La présidente du Parti des travailleurs et le chef du Mouvement populaire algérien (MPA), deux formations politiques qui disposent d’une résonance inversement proportionnelle à leur envergure réelle, persistent dans l’exercice illégal de la médecine et s’obstinent à vouloir nous persuader de la bonne santé du président. La palme revient incontestablement à l’ami Amara qui décrétait, l’autre soir à la salle El Mouggar, que « Bouteflika peut continuer à assumer ses fonctions», martelant que l’article 88 de la Constitution ne peut pas s’appliquer au chef de l’Etat « puisqu’il parle de maladie grave ou chronique, ce qui n’est pas le cas dans la situation du Président ». Face à de si implacables diagnostics médicaux, il n’y a plus rien à dire.

Mais, puisque c’est ramadan, comptons sur l’ami Amara pour nous rappeler qu’à la douzième année du règne de Abdelaziz 1er, nous mangeâmes de la viande indienne. Que Krishna nous pardonne, mais l’idée était originale. Quoi de plus opportun, je vous le demande, qu’une vache sacrée pour marquer un mois sacré ? Et puis, avait-on le choix ? A la douzième année du règne de Abdelaziz 1er, il n’y avait toujours pas suffisamment de viande pour tous. Oh, il y a bien eu le PNDA, plan national pour le développement agricole, un bidule qui a coûté à l’Etat près de 217 milliards de dinars et qui ne garantit toujours pas la chorba de 2013. Il y a bien eu le plan de relance économique 2004-2009, dit « plan du président de la République », un truc ambitieux qui devait créer un million de logements, abolir le chômage et assurer le steak quotidien, un plan avec des spécialistes et tout et tout, qui est passé successivement de 55 milliards de dollars fin 2004 à 200 milliards de dollars à fin 2009. Mais tout ça c’était pour le troisième mandat ! Personne ne saura dans quelle poche a fini l’argent puisque nous n’avons eu ni le million de logements ni le steak quotidien et que nous ne savons pas ce qu’est devenu ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Saïd Barkat. Mais l’essentiel, n’est-ce-pas, est que Abdelaziz 1er ait été réélu haut la main. Ce ne sont pas les plans qui manquent. La preuve : on parle déjà de « l’imposant plan de relance agricole, doté d’une importante enveloppe financière de 1 000 milliards de dinars pour la période 2014-2018 dans le cadre du programme quinquennal » Je sais, tout ça vous promet de la viande de Guinée-Equatoriale pour le Ramadhan 2014, mais rendons grâce à Abdelaziz 1er des efforts qu’il déploie pour maintenir l’Algérie dans le peloton de tête des pays les plus corrompus de la planète. Sans grandes enveloppes, où pourrait se nicher le bakchich ? Amara Benyounès, Louisa Hanoune, Bensalah, ont raison. Qu’importe si Bouteflika restera dans l’histoire comme le président sous le règne duquel ont été commis les plus grands pillages de fonds publics, qu’importe si durant les trois mandats du «pouvoir civil» de Bouteflika, il a été détourné l’argent du présent et celui du futur. Notre président ne fait, après tout, que rétablir les anciens sacrifices védiques célébrés par les brahmanes, du temps où la vache était encore un animal de sacrifice. Les fidèles se partageaient la viande, mais les meilleurs morceaux revenaient bien sûr aux brahmanes. L’offrande sacrificielle était à base de beurre fondu généralement, d’où, sans doute, la formule appropriée « faire son beurre » qui est restée dans le lexique du commerce international. Et puis, en cette année de vache mythique, recueillons-nous, pour l’instant sur le ragoût de 2013. N’oublions pas, quoiqu’il arrive, que Khamdenu, la vache sacrée de Krishna, huitième incarnation de Vishnou, cette vache-là exauce tous les vœux. C’est ce que disent les textes sacrés très anciens, les puranas auxquels je vous invite à croire sans craintes. Diable ! Quand on a gobé au plan de relance économique du président de la République qui devait créer un million de logements, abolir le chômage et assurer le steak quotidien, pourquoi ne pas croire aux puranas ? Et aux bobards de nos amis ? Ça ne coûte rien. En tout cas pas plus de 200 milliards de dollars.

Et puis, dans cette Alger désabusée qui redoute parfois de ne plus avoir le cœur à rire, comment ne pas rendre grâce à nos amis d’avoir rendu la salle El Mouggar à sa vocation première : le cinéma..

 

Chronique parue le 7 juillet 2013

Auteur
M. B.

 




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