Vendredi 17 avril 2020
La solidarité bat son plein en Kabylie
L’autogestion qui caractérise cette région du pays suscite de l’espoir pour certains et de l’inquiétude pour d’autres. Paradoxal !
Sans attendre les décisions gouvernementales concernant le problème sanitaire qui inquiète le monde entier, la Kabylie, dans un esprit de solidarité, est déjà mobilisée pour prendre des initiatives sans précédent pour l’endiguer. C’est une forme d’autonomie de gestion, une qui s’exprime dans les faits d’une manière pragmatique et avec célérité.
En revanche, cette formidable mobilisation n’a pas été du goût d’un pouvoir qui fait office d’une dyarchie ni de la journaliste Hedda Hazem, la directrice du quotidien arabophone « Al-Fadjr ». Dans sa publication (1) du 11 avril passé, elle a dénoncé d’une manière sibylline les gestes humanitaires de Zidane, de Hamitouche de Soummam et de Rebrab pour avoir offert de l’aide aux populations de Béjaia et de Bouira. Elle a exprimé une forme de haine qui fait penser à Gaïd Salah, et dans un effet suggestif qu’elle entretient un régionalisme qui n’a pas lieu de l’être. Alors qu’elle a ignoré que le même Rebrab a déjà planifié 9 camions remplis de denrées alimentaires en direction de Blida.
Au lieu de s’inquiéter sur la manière que les autorités gèrent la pandémie, Hadda Hazem se défausse sur des personnalités issues d’une région qui s’est toujours démarquée sur le reste du pays en termes de mobilisation et de respect pour les autres régions. Et Dieu sait comment ils ont honoré l’Algérie.
Faut-il rappeler à chacun que la Kabylie est habituée à se prendre en charge quand il s’agit d’un problème qui concerne la collectivité? Peut-être pour certains amnésiques qui refusent d’admettre qu’elle n’est pas à sa première initiative. La solidarité fait partie des valeurs ancestrales de la société kabyle, elle fut inscrite dans les règles de fonctionnement de la cité qui est le village.
Les Kabyles ont bien compris que leur destin ne dépendra que d’eux-mêmes, et cela dure depuis bien longtemps. De l’époque turque à aujourd’hui, la région est reconnue pour son statut considéré de différend et de particulier. Elle fait exception sur son fonctionnement politique et organisationnel qui est basé sur les principes démocratiques, et le respect d’autrui.
Que ça soit avec l’Empire ottoman, la France coloniale ou le pouvoir illégitime d’Alger, l’Histoire a habitué la Kabylie à se prendre en charge seule.
Celle-là qui se résume par une multitude d’actions et de campagnes de sensibilisation pour informer les citoyens de prendre des mesures urgentes pour éviter la propagation d’un virus aux conséquences impondérables. Chaque village s’organise du mieux qu’il peut, des jeunes à majorité équipés de jerricans de l’eau de Javel font la tournée des quartiers pour désinfecter les lieux de vie. Ils font des barricades aux entrées-sorties du village pour contrôler les mouvements et les va-et-vient de chacun, d’abord il est important pour eux d’être vigilant, car la propagation du virus peut être fatale pour une population à forte densité. Conscients de leurs besoins quotidiens, pour éviter les regroupements, ils font eux-mêmes la distribution des denrées alimentaires comme la semoule. De collaboration avec les commerçants de la région, ils s’arrangent à acheminer les provisions avec un maximum de prudence pour éviter les risques de se faire contaminer. C’est de l’autogestion proprement dite.
Il faut souligner que ce genre d’organisations et de solidarité ont gagné les quartiers des villes et centres urbains. D’ailleurs, le personnel soignant de l’hôpital Nedir de la ville de Tizi-Ouzou a reçu des repas préparés maison par de généreux donateurs.
À ce moment-ci, l’objectif premier est d’éviter de tomber malade, car les centres de santé et les hôpitaux sont très limités pour fournir de l’aide médicale à d’éventuels patients victimes des miasmes du Covid-19. Ce qui se passe en Italie fait peur à tout le monde, l’Algérie est loin d’avoir ces moyens, imagine ce qui pourra advenir si une pandémie se répand en Kabylie.
Pour pallier à ce genre d’insuffisances, il faut être solidaire et généreux, de solliciter les citoyens de la localité pour adhérer à des initiatives d’aide. Même ceux de l’autre côté de la Méditerranée ou de l’Atlantique, les émigrés issus de la région s’activent à leur tour pour offrir du soutien financier pour l’achat des équipements nécessaires. À l’exemple du Collectif des jeunes Tigzirt, en toute autonomie et grâce à leur mobilisation, ils ont pu équiper leur Établissement Hospitalier Spécialisé d’un gazomètre, acheter tout ce qui est utile pour le paramédical et amasser par la coordination Tigzirt / La France / l’Amérique du Nord une cagnotte aux environs de 28 000 dollars canadiens. Et ils ne sont pas les seuls à réagir spontanément, en ce moment beaucoup de villages qui font des quêtes par le biais des plateformes d’internet comme Leetchi pour soutien financier aux malades.
Comme Stop-Covid-19 Tizi-Ouzou et de Stop-Covid-19 Béjaia, deux entités citoyennes créée dans la foulée de la pandémie par un groupe de militants connus pour leurs activités citoyennes. Elles sont en charge d’accompagner, d’aider, d’informer les habitants des deux wilayas. Ils font un travail remarquable en termes de communication afin de rassurer les citoyens qui sont pris par le piège de rumeurs et toute sorte d’affabulations. Au quotidien, ils rendent un bilan juste et incontestable. Pour une prévention nécessaire pour le bien de tous et sans tabous, ils donnent le nom et la localité du malade ou du décès afin d’aviser tous ceux qui ont été proches de lui.
Ceux qui se battent pour réformer le système jacobin ne sont pas fous, au contraire ils ont saisi l’intérêt d’une réalité sociologique qui définit les spécificités différentes, mais positives des régions du pays. Que cela soit, l’Algérois, la vallée du Mzab ou le vaste territoire d’Ahaggar, chacune, de la part de ses habitants, a sa propre démarche pour appréhender un problème. Si on relativise la question à l’échelle mondiale, liée à cette pandémie, déjà les penseurs alertent de revoir le monde d’organisation en privilégiant la régionalisation sur tous ces aspects: politique, économique, sécuritaire … pour faire face à une dépendance nuisible créée par la mondialisation. Les conséquences de la relocalisation des entreprises vers la Chine pour maximiser du profit sont dramatiques, souvent au détriment de la stabilité d’une collectivité existante de génération en génération.
Et l’opinion kabyle est déjà façonnée par cette idée de gestion idoine qu’on peut qualifier de moderne dans une Algérie ou la régionalisation modulable peut être un modèle approprié qui a fait déjà un long débat. Cette réflexion relève de la réforme politique à envisager qui peut paraître comme un préalable.
Le pouvoir algérien avec sa représentation nationale ou locale, fait de la manipulation des chiffres et de l’information pour camoufler leur faillite à l’opinion. D’ailleurs, sans perdre ses vieux réflexes, pour bien paraître, avec la wilaya, le pouvoir essaie de réactiver ses fidèles locaux, qu’on appelle communément les kabyles du service, pour s’approprier du problème à son compte. C’est-à-dire faire de la récupération politique.
Pour ne pas tomber dans l’oubli, la révolution citoyenne a mis ce pouvoir dans un confinement depuis le 22 février 2019. Les algériens se sont réappropriés de leur dignité, mais dommage avec les restrictions sanitaires imposées, ils sont dans l’obligation de remettre le combat à une date ultérieure. Cependant, c’est une occasion pour les autorités du moment, car ils profitent pour revenir à la charge en importunant la société.
Messaoudene Mahfoudh