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La symphonie des sept nuits : le roman haletant de Nadia Sebkhi

 

Que devient la Citadelle Blanche en l’an 2062 ? Quoique métaphorique, la question est loin d’être aléatoire dans le nouveau roman de Nadia Sebkhi, paru aux éditions L.de Minuit. Le choix de la date l’est encore moins.

Peut-être se réfère-t-il au centenaire de l’indépendance algérienne. Peu importe, le pari est réussi. On est presque dans le sillage de l’écrivain britannique Georges Orwell ou de celui de Boualem Sansal dans leurs livres prédictifs, ou plutôt je préfère le mot « roman d’anticipation », mais avec le style, les tournures et la densité sémantique du Franco-Afghan Rahim Atiqi : La symphonie des sept nuits est un grand poème allégorique, raconté sous forme de journal de bord d’une femme ordinaire de vendredi à vendredi, mais en l’an 2062.

Malgré les avancées technologiques, routine, tabous, spleen et pesanteur des stéréotypes, avec tous les tracas du quotidien ne manquent pas d’enliser la Citadelle Blanche dans son isolement. Parfois, quiconque se dit que la fiction de Sebkhi n’est qu’une copie conforme à l’original du récit La Pluie de Rachid Boudjedra où la protagoniste, griffonne pendant six jours de pluie son calvaire de femme dans son journal intime.

En revanche, Sebkhi, moins pessimiste et beaucoup plus portée sur le rêve, ne semble pas vouloir lâcher du lest quant à l’ambition de la femme de « révolutionner » le monde. Les décors plantés ressemblent plutôt à ceux d’une pièce de théâtre mettant en dérision le monde des puissants : sept nuits de révolte et d’insoumission.

Nadia Sebkhi joue avec les mots et les personnages, nous transporte dans son délire futuriste, nous fait voyager dans les méandres de la société qu’elle imagine encore obscurcie par son refus de l’altérité, de l’ouverture, de la féminité-sensibilité. C’est Kahéna, journaliste à Citadelle News qui ouvre le bal dès l’incipit du roman, pour nous faire baigner d’abord dans l’atmosphère de sa vie et  des manoirs de la Citadelle (le manoir Suprême, le manoir des femmes-le Harem, et enfin le Manoir culturel et Sagesse) où Zohara, l’Antigone, femme arriviste et à dogmes, s’autoproclamant porte-parole des dieux de la cité se dispute le leadership symbolique avec son mari Amar, Néron, connu pour son machisme et sa brutalité. Le duel entre les deux femmes est d’autant plus atroce qu’il en dit long sur l’opposition des idéaux et des visions de vie entre les trois manoirs.

A qui appartiendront enfin les clés de la Citadelle ? En arrière-plan, on sent déjà, au fil des pages, rôder l’odeur putride du machisme, tantôt par des allusions, tantôt par des répliques révoltées. La Symphonie des sept nuits est un roman de l’angoisse où l’on pénètre dans l’univers féminin à travers le regard subtile d’une « future » femme-journaliste, tout fait de sensibilité et de tendresse.

L’auteure semble avoir réussi à dire, par le biais de la fiction, l’impensable, à révéler les peurs de la société et son incapacité à verbaliser l’amour, ces « je t’aime » qui n’arrivent guère à sortir de la bouche de certains, par crainte des jugements moraux, des dogmes et aussi par l’effet irréversiblement néfaste de leur subconscient collectif, incapable de se débarrasser de la gangue des tabous, se heurtant le plus souvent au mur de l’ignorance, de l’indifférence et de l’arbitraire.

D’une écriture fine, révoltée, soucieuse de perfection. Phrases courtes sillonnées de multiples points de suspension comme pour désentraver la pensée, reflet d’une sensibilité fougueuse, hors du commun, La Symphonie des sept nuits est une oeuvre à la fois introspectrice, anticipatrice et émancipatrice. Le jeu féminin au pluriel révèle l’indicible, les voix de Kahéna, Katia, Fatma, Hadjer et tant d’autres enfouies sous la chape de plomb des tabous, les attentes déçues, les rêves avortés, les aspirations tues, à la recherche de l’Amour perdu…

Kamal Guerroua

Nadia Sebkhi, La symphonie des sept nuits, Edition L.de Minuit, Alger, 2023, 152 pages, Prix public : 800 DA.

 

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