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La terreur de la geste nationale

DEBAT

La terreur de la geste nationale

Boumediene a imposé les héros de l’histoire algérienne à sa mesure et enterré le combat de dizaines d’autres.

« L’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines » Paul Valery, Regards sur le monde actuel, 1931   

Le sang des races (1899) est un roman de Louis Bertrand dans lequel il glorifie le sang latin qui coule dans les veines algériennes. Dans ses écrits, Louis Bertrand ne parlait pas de conquête de l’Algérie, mais de reconquête tant le référent latin est omniprésent sur le territoire algérien ; renvois matériels avec les vestiges romains et immatériels dont Saint Augustin, père de l’église catholique est le porte-drapeau. Le travail minutieux de l’écrivain français n’est pas innocent. Il cherche à trouver dans l’histoire de l’Algérie les attaches qui l’amarrent à la civilisation occidentale.

En fouillant dans l’imaginaire et les ruines archéologiques, Louis Bertrand trouve de la matière à son argumentaire. La terre algérienne regorge d’indices, d’empreintes civilisationnelles renvoyant à la culture et civilisation occidentales. La reconquête de l’Algérie est, par conséquent, légitime. La présence française sur cette contrée est donc légale (ou plutôt légalisée) par ce faisceau de faits historiques. 

Dans son entreprise coloniale, ce penseur français frelate l’histoire de l’Algérie, la raconte à sa façon ; romancée et enjolivée afin d’asseoir la légitimité de la France. Le nouveau territoire conquis a besoin d’arguments pour le dominer. Et on en trouve en remontant le fil de l’histoire. En d’autres termes, toute l’entreprise de Louis Bertrand est d’insérer historiquement le fait civilisationnel occidental sur le territoire algérien pour légitimer sa domination.

Mais cela n’a pas suffi. L’entreprise coloniale trouva des résistances. La légitimité imposée par la force a été remise en cause. On ne se contente pas de dépoussiérer l’Histoire et faire advenir au champ de présence à l’instant d’un fait, d’un personnage illustre pour asseoir une légitimité et faire admettre au groupe social sa domination sur lui. 

Ceci pour le côté historique. Tous les pouvoirs ont eu recours à cette technique de gestion de populations et de territoires. C’est ce que nous pouvons appeler l’ingénierie politique. 

Les hommes qui accédèrent au pouvoir en Algérie au lendemain de la guerre de libération étaient en déficit de légitimité. Boumediene, en évinçant Ben Bella se trouva dans une impasse. Ne faisant partie ni des historiques de la révolution, ni du GPRA…. Etc. Il lui fallait trouver une figure historique pour légitimer son redressement Révolutionnaire.

Comme il ne pouvait pas remonter plus loin dans l’histoire antique, trouver un berbère comme Massinissa, Juba ou autre figure, il se contenta de remonter à la conquête française. Et l’émir Abdelkader est une figure locale, sans étoffe nationale, bien entendu mais fera l’affaire. Sauf que, ce personnage historique abdiqua après une quinzaine d’années de lutte. Il offrit l’Afrique entière à la France comme si c’était sa propriété privée qu’il cède. Il devient franc maçon et grand ami de la France (les dictionnaires français le présentent ainsi). Libre est son choix. Mais l’ériger en père de la nation algérienne alors qu’il avait béni les armées françaises qui réprimaient ses frères de sang et de religion (les révoltes de 1871…etc.) est un pas de trop.

Il est loisible et facile, pour des besoins de circonstances de faire subir à l’histoire des contorsions afin de lui faire dire ce qu’elle ne peut pas dire, lui faire admettre ce qu’elle ne supporte pas parce qu’elle fait partie du passé, parce qu’elle est figée à jamais. Ce sont ceux qui la convoquent qui lui donnent forme. 

Les hommes de pouvoir, comme notre ancien président Boumediene a voulu ériger à travers l’Emir Abdelkader, une figure d’un nationaliste avant la lettre. En le rendant plus grand qu’il ne l’est, il s’est adonné à un travail de falsification de l’Histoire.

Est-il possible, en cette terre d’Algérie un examen de l’Histoire de manière neutre ?

Une historiographie scientifique qui se limiterait aux faits, rien qu’aux faits. Loin des interprétations et des besoins du moment pour justifier une domination ou une légitimité.

Interroger les morts ou les mobiliser pour justifier une prise de pouvoir peut s’avérer anodin à première vue mais biaise le rapport que nous, vivants, puissions avoir avec notre passé et notre mémoire. La formation de la conscience du passé est un besoin fondamental pour toute société. Dans notre cas, le récit national tel que voulait nous le faire admettre et imposer l’ancien président Boumediene souffre et manque de crédibilité. Le fondateur de la nation algérienne moderne ne peut pas être cet Emir. 

Et la question qui se pose à nous aujourd’hui : pourquoi se comporter en gangsters, en voyous dès lors que des hommes qui appartiennent à cette nation questionnent et remettent en cause ce récit national qui commencerait avec Abdelkader ? Pourquoi arrêter un conférencier qui dit ce que tous les livres d’histoire rapportent ? Et pourquoi l’arrêter d’une manière qui ne dit pas son nom à part celle de la déliquescence de l’Etat ? Si M. Aït Hamouda a enfreint la loi, il est justiciable comme tout citoyen.

L’idée qui se dégage du comportement des services de sécurité en arrêtant ce citoyen est la terreur qu’on veut instaurer, la crainte qu’on veut susciter de la part de la population en général. Un Etat de droit est un Etat érigé sur des principes à respecter et admis par tous. Une justice neutre, indépendante et intransigeante.

L’éviction de tout élément qui n’épouse pas les règles édictées par les dépositaires de la volonté collective va de soi dans un système légitime. Or le problème dans notre cas présent, ceux qui sont censés représenter la collectivité (la nation algérienne) n’ont pas cette légitimité. Et c’est la recherche de celle-ci qui est au cœur de la crise que traverse le pays actuellement. 

Terroriser les citoyens pour les faire entrer dans un moule qui n’émane pas d’eux, faire taire des voix dissidentes en les emprisonnant et persécuter les opposants sont l’ensemble de caractéristiques des périodes noires de l’Histoire humaine.

A titre d’illustration, au lendemain de la Révolution française, on se lança à la chasse aux contre-révolutionnaires. La période de la terreur de Mao ; on persécuta tout élément avéré ou supposé opposant à la révolution marxiste. Les dégâts se font ressentir jusqu’à présent dans la Chine moderne. 

Notre système, aux abois, en décomposition et en opposition à la volonté populaire est en phase d’instaurer une atmosphère de terreur et de persécution. 

L’arrestation de Noureddine Aït Hamouda est le prélude d’une nouvelle ère. La seule chose qu’on nous demande : obéir. Ne rien remettre en cause. Au risque de voir l’apocalypse nous tomber dessus.

Notre devoir est de nous indigner devant cet état de fait. Indignons-nous devant les arrestations arbitraires. Indignons-nous devant la terreur de l’Etat. Indignons-nous devant une mascarade électorale. Indignons-nous de la déliquescence de l’Etat algérien.    

 

Auteur
Saïd Oukaci  

 




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