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La tribu comme moteur de l’histoire de l’amazighité

Comment tamazight a-t-elle réussi à pérenniser à travers le temps, malgré les pesanteurs de l’oralité et l’usure de toute tradition d’écriture?

L’Iranien Daryush Shaygan parle du « syndrome de l’éphémère », c’est-à-dire de cette capacité congénitale des cultures traditionnelles à caractère oral à garder leur force en articulant leurs assises sur la femme.

Le penseur marocain Abdallah Laroui a, quant à lui, adopté une autre approche. Il a essayé, en effet, de répondre à l’historiographie coloniale qui récuse le rôle de la tribu berbère, en prenant pour argument la notion de la culture. Il précise, à cet égard, que la tribu n’était pas un trait de caractère handicapant, ou une tare qui avait condamné la Numidie à être l’éternelle colonisée, restée en retard, à la remorque de l’Histoire.

En ce sens, bien que divisée en tribus, celle-ci, la Numidie, s’en était plutôt servie comme solution de sauvegarde. S’il n’y avait pas, à titre d’exemple, la tribu pendant les quatre siècles de l’occupation romaine, Tamazgha aurait complètement disparu.

Et l’on n’entendait plus rien sur cette civilisation berbère longtemps frappée par le syndrome de l’oralité dans les grands volumes d’histoire du « sociologue » Ibn Khaldoun.

La tribu se basait sur l’honneur et l’honneur c’était la femme, gardienne du temple des us et des coutumes. La femme porte dans son cœur, dans son comportement, et sur sa langue, l’abécédaire de la berbérité, c’est-à-dire, l’attachement aux racines, à la terre-mère, aux coutumes fondatrices de la société, en ce qu’ils symbolisent comme authenticité.

Regardons bien ces deux reines Dihiya et Tin Hinan, à la tête des peuples de la Berbérie, à une époque où, en Asie et en Europe, les femmes étaient encore considérées comme esclaves, pour comprendre à quel point la femme était le socle de la maison-identité berbère.  

Autrement dit, le tribalisme fut, contrairement à ce que l’on en pense, plus qu’un moteur d’auto-défense contre les invasions étrangères, un système culturel fédératif. Un tout homogène qui avait donné la chance du repli « positif » aux Nord-Africains.

La citadinité (la notion de ville) n’a jamais été une donnée intrinsèque, mais un apport étranger, romain ou punique soit-il, à la culture-mère. La tribu fut précisément une sorte de réponse, au départ temporaire, puis durable, faute de solution de rechange, à un blocage historique, provoqué par la multiplicité des invasions étrangères sur un territoire (l’Afrique du Nord), si convoité.  

Pour mission ethnologique, la première carte des tribus fut créée en 1846 par Ernest Carette et Auguste Warnier. Le premier fut capitaine du génie de l’Armée et le second un médecin et préfet d’Alger.

En 1847, plus de 516 tribus furent recensées en Algérie pour une population de 3 millions d’habitants.  Ce qui prouve que la tribu était vue, chez les Imazighen, non seulement comme un rempart contre l’invasion étrangère, mais aussi, et c’était là le problème, comme un mode de vie séculaire.

Bien qu’elle (la tribu) ne donne pas toutes les raisons du retard civilisationnel accumulé par les Berbères au fil des siècles, cette dernière reflète l’image de tout un peuple replié sur lui-même, incapable d’unité et surtout « ingouvernable ».

J’insiste sur ce dernier mot, parce que le Maghreb central (el-Maghrib el wassit) tel que décrit au Moyen-âge par nombre de savants dont Ibn Khaldoun lui-même fut en butte à un atroce déchirement entre royaumes amazighs-arabes (Almohades, Aghlabides, Mérinides., etc ), eux-mêmes si divisés en diverses tribus, lesquelles, curieusement, ne s’unissaient que contre les étrangers ! Et comme par hasard, ce rejet de l’étranger s’accompagnait d’une certaine adoration de tout ce qui vient de lui.

Quand le leader Ferhat Abbas disait : « mon pays a le sens tribal », il n’avait pas tout à fait tort, dans la mesure où l’esprit de tribu habite la pensée, les réflexes et même l’ADN, aussi bien des masses que des élites, à des niveaux jamais imaginés. Ce qui se traduit dans la médiocrité du discours politique et de l’exercice du pouvoir.

Kamal Guerroua. 

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