Deux anciens élèves de l’internat de Bouisville ne se sont pas vus depuis cinquante-cinq ans, quelle réflexion cela pourrait en être déduite de leur rencontre ?
Le lieu et l’heure ont été convenus, nous avions rendez-vous avec notre enfance. À cet âge, tout le monde peut deviner qu’il y avait d’autres types de rendez-vous qui provoquaient angoisse et questionnements.
Avec Bachir, notre relation passée était de la nature de deux camarades qui avaient partagé un moment de leur époque d’études, d’insouciance et de jeux.
Sa voix au téléphone n’avait pas changé, elle est restée la même, comme figée par le temps, que celle de nos discutions dans la cour de récréation, de nos chuchotements interdits en classe.
Puis je vois arriver à la sortie de la gare un homme qui me souriait de loin. Il avait repéré son ancien camarade entre cent personnes dans la cohue de la sortie.
Lui aussi, le regard n’avait pas changé, probablement qu’il en avait eu le même sentiment à mon égard, dans un corps qui présentait pourtant la facture de plus d’un demi-siècle.
Au café d’en face, cette voix et ce regard, ces rires et exclamations vous replongent dans un passé qui semble être celui du jour précédent. La sensation de passé s’est évaporée en quelques minutes, le temps nous avait laissé un moment de répit dans son interminable course vers l’avant et l’ultime étape de la route.
La morale de cette histoire est que la voix et le regard sont les moyens essentiels de la communication avec les proches et la société. Ils sont donc la personnalité de l’être humain, celle qui la relie avec les pensées et sentiments. Ils sont les ambassadeurs de l’âme secrète, au sens de la psychologie. Ils ne disparaissent jamais avec le corps.
Si la voix informe par sa tonalité l’intention des mots, le regard les accompagne pour souligner davantage le registre dans lequel ils se sont exprimés, soit la fraternité, la tendresse, la joie, la colère, l’interrogation, l’amour ou la déception.
Les deux camarades de l’internat de Bouiseville se sont quittés. Chacun dans son chemin a écrit un texto « J’ai été ravi de te revoir, nous gardons le contact ». Y aura-t-il une suite ?
Ce jour-là, nous avions rencontré notre jeunesse à travers la voix et le regard éternels. L’avenir décidera s’ils nous la feront rencontrer une seconde fois avant la fin de leur parcours.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité