La zaouïa Shabia, située à une trentaine de kilomètres d’Annaba, a été profanée. Tombes saccagées, sépultures brisées, pierres arrachées : les images diffusées ces derniers jours révèlent un acte d’une brutalité symbolique assumée. Ce qui a été visé n’est pas un simple site, mais un pan entier de la mémoire historique et spirituelle de la région.
Cette agression n’a rien d’anodin. Elle s’inscrit dans une logique idéologique portée par des courants influencés par le wahhabisme, connus pour leur rejet des pratiques soufies et de tout ce qui relève d’un islam enraciné dans l’histoire et la culture locales. Derrière un discours prétendument religieux, c’est une vision rigide, intolérante et profondément ignorante qui cherche à effacer ce qu’elle ne comprend pas.
La zaouïa Shabia n’est pourtant ni une anomalie ni un vestige marginal. Elle est l’un des témoins anciens de la présence soufie dans la région d’Annaba. Pendant des générations, elle a été un lieu d’enseignement, de transmission et de médiation sociale. Comme tant d’autres zaouïas en Algérie, elle a contribué à structurer la vie locale, à diffuser le savoir et à préserver un héritage fondé sur la tolérance, la sagesse et le lien social.
Il ne s’agit pas ici de défendre le soufisme en tant que doctrine religieuse, ni d’imposer une lecture spirituelle particulière. La question est ailleurs. Ce qui est attaqué, c’est le droit d’une société à conserver sa mémoire, à protéger ses repères historiques et à refuser qu’une idéologie importée se substitue à des siècles d’histoire vécue. Le soufisme, qu’on y adhère ou non, fait partie intégrante du paysage religieux et culturel algérien. Le combattre par la destruction est une violence faite à l’histoire elle-même.
Le plus inquiétant demeure le silence qui entoure cet acte ignoble. L’absence de réaction ferme des autorités locales et des institutions chargées de la protection du patrimoine interroge. L’État, qui affirme dans ses discours le respect de la liberté de culte et la protection des traditions religieuses, est aujourd’hui directement interpellé. Identifier les auteurs, les poursuivre en justice et restaurer le site ne relèvent pas du symbolique, mais d’une responsabilité politique et morale.
Ce qui s’est produit aux portes d’Annaba n’est pas un fait divers. C’est un signal d’alarme. Lorsque des lieux de mémoire ou de piété sont détruits dans l’indifférence, c’est l’ensemble du patrimoine national qui se trouve fragilisé. La zaouïa Shabia, aujourd’hui meurtrie, rappelle avec force que la défense de la mémoire est aussi un combat contre l’obscurantisme, l’effacement et la falsification de l’histoire.
Mourad Benyahia

