Les quelques éléments d’histoire et de pratiques présentés dans cette réflexion sont susceptibles d’aider le débat urgent pour comprendre, comment, en Algérie, trente ans après l’avènement du multipartisme, un courant politique libéral et marginal, à travers une écriture réductrice tente de s’approprier les conditions d’émergence du multipartisme et de ses doctrines, faisant ainsi, disparaître l’intelligence des réalités multiples et complexes des apports de la communauté politique nationale.
Connu depuis l’ouverture démocratique frelatée par son entrisme politique, il déploie une énergie considérable pour intégrer les institutions factices issues pourtant de la seule volonté du régime.
Il postule des discontinuités radicales et pratiques des coupes sauvages dans la trame de l’histoire postindépendance pour la faire entrer dans les limites de la période récente et dans celle, plus étroite, du temps présent, l’unique contribution du Mouvement culturel berbère. Par cette narration, il incarcère l’histoire dans un code fastidieux de précédents inlassablement répétés : un récit héroïque mélioriste mené par le MCB, qui déguise, idéalise, ampute ou élimine carrément la réalité multiforme de cette période.
Dans cette analyse, il ne s’agit pas de réduire l’apport du mouvement culturel berbère ou nier son rôle avant-gardiste dans la trajectoire et le cheminement du combat pour l’avènement du multipartisme, mais de comprendre, comment , ce mouvement réputé pour son ouverture, la richesse de sa composante militante -issue essentiellement de la gauche- et son interaction avec les partis d’opposition progressiste est réduit à l’exclusivisme identitaire et exclu de facto, de son roman national des pans entier de l’opposition démocratique.
Cette écriture fragmentée, s’appuyant sur le révisionnisme et le survol superficiel de l’histoire est soumise à la lumière des enjeux et des débats qui dominent les intérêts du présent. Ce faisant, elle déplace les cadres de références, réduit l’apport des militants et greffe les richesses de ses pensées a sa propre vision politique. Elle modifie les faits historiques, la conception politique et transforme les événements, établit les idées, la dogmatique identitaire et les valeurs politiques, et elle espère exercer, à long terme, des effets sur les représentations de l’ordre politique et social national.
Le moteur de l’écriture de l’histoire ne doit pas découler d’un appétit du pouvoir, du désir de vengeance ni d’une volonté de destruction, mais d’un respect véritable et profond pour les faits historiques et leur interprétations scientifiques.
De cette posture réductrice, ressort un vide, un abime sidéral : celui de l’absence d’analyses et les motivations d’un mouvement d’ensemble dans lequel les progressistes algériens s’étaient engagés fermement par une offre politique progressiste : l’Algérie moderne.
En effet, ignorer la diversité politique au cours desquelles cette période fut fondée, ses liens avec la société et fixés dans les termes identitaire et culturelle, selon la formule consacrée, par les tenants de ce roman, nuit gravement à la compréhension de cette époque charnière de l’histoire des luttes démocratiques algériennes. Une page, pourtant, au regard des témoignages, connaissances et des observations longtemps accumulées par de nombreux acteurs de cette époque, fut d’une grande diversité idéologique et d’une impressionnante richesse politique. Il ne fait pas de doute que cette écriture est soumise à une exclusion implacable qui se veut d’évacuer cette période de sa diversité politique et la réduire ainsi à la version exclusivement culturelle.
Par cette narration trompeuse, ce courant veut réduire le projet démocratique national au socle identitaire et exclusivement berbère.
Cependant, pour asseoir son roman hégémonique, il nie les transformations des structures politiques, sociales et économiques, la reconfiguration de classes et de groupes sociaux, la croissance des villes, la disparition de féodalités coloniales et précoloniales et la formation de l’état pré moderne qui ont modifié en profondeur les équilibres sociaux. Toutes ces transformations profondes, en algérie, ont contribué au déclin du jacobinisme du système et exercé inévitablement des effets majeurs sur l’organisation de la société. En modifiant les équilibres sociaux, elles ont concouru inexorablement à l’inflexion des rapports de force dans la société et ont fait apparaitre de nouvelles formes de résistances qui ne tardent pas à se refléter dans les luttes doctrinales qui ont participé inéluctablement à l’avènement du multipartisme.
Sous les grandes continuités de ladite « crise berbériste », sous les manifestations massives d’un esprit homogène, sous le devenir têtu d’une histoire s’acharnant à exister et à s’achever dés son commencement et sous la persistance d’une vision hégémonique, cette écriture reste en effet cantonnée à des commentaires superficiels des œuvres et des théories les plus marquantes de la philosophie politique. Il prescrit, ainsi, à l’analyse historique non pas la recherche des commencements silencieux, non pas la remontée sans terme vers les premiers précurseurs, bien au contraire, il l’a soumit aux enjeux du présent pouvoir. Et le grand problème qui va se poser -qui se pose- à de telles analyses historiques est donc de savoir par quelles voies les continuités ont pu s’établir ? De quelle manière une seule et unique vision et même dessein a pu se maintenir et constituer, pour tant d’esprits différents intellectuellement, politiquement et économiquement un horizon unique?
Il est clair, en effet, que l’on ne peut envisager sérieusement la marche de la démocratisation encore inachevée comme le résultat d’un processus duel entre le système et le mouvement culturel berbère (MCB), en niant en permanence à établir les filiations avec les autres forces progressistes. Il est intellectuellement irresponsable et malhonnête de les analyser sans évoquer les luttes qui les entourent, au demeurant, confinés par ce courant à des positions très marginales.
C’est un appauvrissement extrêmement rude de ce que nous avons appris sur cette période, sa productivité, la diversité de ses composantes, ses dynamiques critiques et parfois contradictoires et de sa complicité avec la conquête démocratique.
Pour les générations à venir, l’écriture continuera sous une forme appauvrie et il en résultera un rétrécissement considérable de ce qui est offert à l’attention du débat national et de l’héritage commun des algériens, par là même d’autant plus dangereuse, à cause d’un alignement réfléchi et planifié entre ce courant et des intellectuels organiques qui étalent leurs savoir faire réducteurs dans les domaines historique, politique et sociologique. Cette stratégie d’écriture reproduit méthodiquement le modèle d’une histoire antérieure, fragmentée, pervertie et instrumentalisée à des fins politiciennes : la pérennité et la sauvegarde d’une position politique et sociale dominante.
Il est indispensable de s’affranchir des frontières chronologiques tracées par ce courant –elles tendent à devenir des prisons- académiques consacrés à l’intérieur desquelles des « spécialistes » acquis à ce roman révisionniste s’activent en régnant sur « leur vérité historique » qu’ils prennent pour une réalité absolue.
Ils font ainsi, des réalités multiples et complexes, un exceptionnel champ de réduction et d’exclusion qui tend à interdire de concevoir et d’observer l’avènement du multipartisme dans son enchainement historique et sa diversité politique, les faits étant toujours rabattus et réduit au MCB, une manière de les contenir tout entier et dans ils paraissent mécaniquement découler du combat identitaire.
Contrairement à ce roman tronqué, cette histoire est une affaire d’hommes et de femmes, venus d’horizons politiques divers, qui ont été et qui sont les acteurs de cette période. Ils sont les sujets porteurs de ces transformations et de ces résistances. A ce titre, ils sont des éléments clés de cet héritage historique et chacun à sa manière ayant, contribué au façonnement de ce patrimoine. A la lumière de ces processus, l’analyse permet de saisir, dans les parcours individuels et collectifs, la singularité et la diversité de ses hommes et ses femmes ; leur véritable contribution à l’histoire de l’algérie d’après guerre et leur apport à l’héritage commun du peuple algérien.
Le long chemin parcouru par le peuple algérien pour l’avènement du multipartisme, dans ses modes d’élaboration, ses multiples pensées et ses différents courants politiques progressistes est nécessairement divers et surtout antérieur aux événements du printemps berbère. Il ne s’agit pas donc de s’enfermer dans la seule période des années 80, mais de situer la problématique démocratique nationale dans son historicité, c’est-à-dire depuis sa genèse et qui remonte au mouvement national.
En Algérie comme ailleurs, les processus historiques contemporains ont généralement leur origine dans le passé proche ou lointain. C’est à l’aune de ce passé, très présent dans la mémoire des hommes de ce temps et de l’actualité qu’ils se forgent une vision et déterminent leur conception de l’avenir.
Dans ce domaine, l’approche pluridisciplinaire est incontournable pour mieux rendre compte de la complexité des dynamiques historiques, car la science historique éclaire le passé et la permanence de ce passé est dans le présent des populations.
Il parait évident que la question de l’écriture de l’histoire de l’algérie est au cœur d’enjeux essentiels pour l’avenir du pays et de son peuple. D’aucuns ont compris que dans ces guerres mémorielles, les tenants de cette narration historique limitent les contours de leur roman. Ce dernier est assigné à un espace géographique et identitaire clairement circonscrit : la Kabylie et son corollaire l’Amazighité – réduite à la seule kabylité -, occultant ainsi la complexité, la richesse et l’interdépendance de notre histoire.
Ainsi donc, ils sont ancrés fermement dans une dimension régionale, avec son histoire, ses traditions et ses affiliations en réduisant manifestement sa portée et sa pensée. Ils glorifient sans cesse les consciences politiques et culturelles régionales et enferment leur horizon dans la seule exclusivité identitaire, refusant l’accès à la diversité politique, historique et philosophique nationale.
Pourtant, ces élites algériennes, particulièrement glorieuses parce que ponctuées de hauts faits d’armes et d’engagement politique progressiste sans faille, étaient engagées inexorablement dans un projet national et global. Cette stratégie qui repose sur la réduction et l’exclusion verse particulièrement dans l’outrance, l’enflure et l’exagération dont l’objectif final tend, à dénaturer le vrai, grossir l’insignifiant et réduire le primordial.
Pour convaincre les citoyens de la région auxquels ils s’adressent du contenu objectif de leur roman et de ses éléments constitutifs, ils convoquent l’histoire et instrumentalisent des référents historiques naissant des conflits politiques du mouvement national. Ils traitent cette histoire et l’ensemble des avancées démocratiques postindépendance de l’angle exclusivement identitaire, dont la rigueur professionnelle n’a pas eu la pudeur de nuancer ses jugements et de faire une analyse équilibrée tenant compte de la réalité politique multiple et des divers apports considérables de la société nationale dans ses différentes composantes sociale, culturelle, syndicale et scientifique.
Se référant à la création de l’Etoile nord africaine (ENA), point de départ de sa construction historique contemporaine, ils conçoivent d’abord, la nomination de Messali Hadj à la tête du parti comme une décision exclusive émanant des Kabyles, étant majoritaires à la création de ce glorieux parti et ensuite, l’accabler et lui endosser la responsabilité des moments de régressions nationale. Cette réflexion nie en réalité les soubassements historique, sociologique et géopolitique qui ont porté d’abord Messali à la présidence du parti et ensuite, la complexité des évolutions et des régressions qui ont traversé l’histoire du mouvement national dans ses différentes composantes politiques (UDMA- PCA –Ouléma) et particulièrement le PPA/MTLD et enfin le FLN/ALN.
La création de l’Etoile nord africaine fut la résultante à la fois de la cristallisation du processus de maturation politique nationale et de l’évolution géopolitique internationale. L’une des résolutions politiques issues du deuxième congrès de l’internationale communiste qui s’était tenu en 1920, fut en effet, le soutien et l’encadrement des peuples colonisés et opprimés pour pouvoir se libérer du joug colonial. Deux événements clés, qui ont favorisé la constitution du premier parti politique anticolonial et qui avait revendiqué pour la première fois, ouvertement l’indépendance de l’Algérie à travers une offre politique nationale globale. D’ailleurs, le parti fut crée sous l’égide du Parti communiste français (PCF) et avait, en première instance porté à sa tête Hadj Ali Abdelkader, militant communiste, originaire de Relizane, situé dans l’ouest du pays.
Au moment où la naissance de ce parti doit être pensée comme le début d’une renaissance, d’ouverture et d’unification depuis longtemps souhaitée, les pourfendeurs de ce roman la réduisent à la portion régionale, mettant ainsi en exergue l’appartenance géographique de ses fondateurs. De toute manière, personne ne peut contester aux Algériens la légitimité de considérer que leur révolution nationale avait pris ses sources dans ce parti et qu’elle s’était réveillée lorsqu’elle a trouvé un terrain fertile à l’échelle du pays tout entier. Cette approche réductrice est à l’opposé des valeurs d’ouvertures, du sens politique subtil et dynamique que portaient inlassablement les cadres irremplaçables de l’ENA : la vision universelle de l’idéal de lutte, d’indépendance nationale et de progrès social.
La philosophie universelle de Si Djilani est à ce titre une leçon de pédagogie politique et une réponse cinglante à ses tentatives manifestes de vouloir l’assigner avec ses compagnons dans un espace géographique circonscrit. Il fut l’un des principaux dirigeants du parti et le plus politisé de ses camarades. Il avait été un membre influent de la direction politique et avait une conception révolutionnaire de l’ENA. Cette philosophie politique et humaine qu’il revendiquait l’avait amené à s’acquittait d’une mission consistant à faire quitter l’Europe au fameux muphti Al-Husseini de Jérusalem et son compagnon syrien Marouf Dawàlibi. Il avait été également très sévère à l’égard des militants algériens qui acceptaient les avances trompeuses des nazis en recommandant leur exclusion du parti.
Ce poison destructeur qu’est « l’enferment régional » peut s’avérer plus dangereux parce qu’ouvrant les portes du tribalisme et entrainant le pays dans une spirale de division aux conséquences incalculables. Ainsi mise en perspective par cette histoire tronquée, le département de Larbaa Nath Irathen, peut s’approprier la création de l’Etoile nord africaine, étant donné que la majorité des membres fondateurs du parti sont originaires de cette localité.
Cette écriture parcellaire et réductrice est révélatrice d’une vision terriblement étriquée de la réalité historique algérienne et d’une hostilité presque hystérique à son égard. L’histoire ne s’écrit pas, en se faisant d’une part de plus en plus raffinée et développée et de moins en moins primitives et arriérés, et d’autres parts de pro-système et d’anti-système.
Les discours incessants sur le « particularisme » de la Kabylie et ce modèle global d’écriture de domination, élaboré en une ère de sociétés identitaires avec le retour en force des sentiments ethniques et religieux dans le monde entier, renforcent d’une part, les idées séparatistes prônées par les adeptes de la désalgérianisation et réduisent d’autre part, la dimension de la problématique historique nationale : la confrontation permanente et prolongée entre les porteurs du projet démocratique moderne et ceux se revendiquant du projet islamo-conservateur.
Force est de reconnaitre qu’à travers cette écriture exclusive et tronquée, ce courant, contribue au renforcement des facteurs de discontinuité notamment sur le plan de la pensée historique et exacerbera à long terme inévitablement les tensions entre les différentes communautés nationales.
Exposant l’algérie à la dislocation de l’Etat-nation, ce séparatisme considère en effet les kabyles comme une « communauté » à part, supérieure, très généralement perçue comme intelligente et belle- survivance de préjugés coloniaux-. Les auteurs et les soutiens de ce projet mortifère persévèrent dans cette voie en rédigeant des notes destinées à poser les fondements théoriques et historiques d’une prétendue « suprématie raciale » pour accélérer les expansions sociologiques d’un puissant imaginaire d’un modèle kabyle du salut de l’humanité berbère.
Les crispations identitaires ont été souvent visibles à chaque fois que le projet national démocratique moderne a été mis en échec ou considérablement retardé et c’était particulièrement le cas en 1948, en 1962, en 1980 et enfin en 1990. Ce faisant, il faut produire des éclairages politiques dans une perception d’une vision globale afin de contribuer à une meilleure intelligence des réalités multiples et complexes.
Au-delà de la singularité des événements, des représentations, des logiques et des pratiques qui permettent de comprendre l’importance de l’évolution des événements historiques et les particularités des conflits qui s’y sont déroulés, cette analyse permettra de comprendre les tensions récurrentes que traverse l’Algérie en restituant les arguments mis à l’épreuve au cours des luttes pour la conquête du pouvoir. Il faut distinguer à la fois les diverses forces en lutte pour la suprématie au sein même du système et au sein de l’opposition démocratique.
Il n’existe pas de vision globale et consensuelle de l’histoire, ni dans la manière dont elle est appréhendée, ni dans son contenu d’ailleurs. Cela est normal tant que les passions et les intérêts contradictoires qu’elle véhicule sont nombreux. Mais il faut procéder avec pédagogie et sérénité selon les méthodologies appropriées dans l’esprit scientifique en mettant en exergue les convergences, sans toutefois occulter les divergences. C’est une œuvre titanesque qui appelle à la contribution au delà des historiens, des spécialistes pluridisciplinaires loin des interférences politiques et idéologiques car la ou l’objectivité ne règne pas, la ou l’esprit scientifique est inexistant, il ne peut y avoir d’histoire !
Conclusion
Depuis l’Antiquité, d’abord sur le territoire de la Berbérie, puis de l’Algérie, son peuple aspire légitiment à une vie pleine, significative et à égalité avec l’ensemble de la communauté mondiale. Il s’est forgé dans la douleur des révoltes, des conflits et des guerres et s’est distingué particulièrement, des siècles durant, par une résistance héroïque aux multiples invasions.
Ces dernières sont marquées d’une brutalité inouïe, se traduisant par des massacres d’une ampleur extrême, et par une dépossession à grande échelle des terres, sapant à la fois l’organisation politique et sociale, notamment tribale, la structure démographique et l’organisation économique de la terre de nos ancêtres. Cette lutte intergénérationnelle s’inscrit en effet, dans la grande entreprise humaine qui s’efforce, jour après jour, de prouver que l’homme peut, par la force de son esprit et son intelligence, surmonter les faiblesses de ses instincts destructeurs et de ses visions expansionnistes.
Mais la liberté n’est jamais donnée, elle se gagne à force de courage, d’organisation, de résolution et de sacrifice. Elle se traduit avant tout, dans une dynamique nationale à laquelle il est nécessaire de fixer un objectif et une direction en faisant appel à la fois à l’engagement, l’endurance, l’intelligence, l’histoire, l’expérimentation et à l’innovation, avec la volonté d’évaluer objectivement les évolutions et les régressions, car dans un mouvement révolutionnaire, le risque est toujours présent que les contingences politiques ne viennent obscurcir, voire effacer les objectifs essentiels.
Abdelkader, Cheikh Ahaddad, El Mokrani, Fatma N’soumer et tant d’autres résistants se défendaient les armes à la main contre une armée de colonisation qui occupait sans état d’âme notre terre après l’avoir arrachée par le fer, par le feu et par le sang à nos ancêtres. La glorieuse Etoile nord africaine (E.N.A), matrice irremplaçable du futur processus nationaliste de libération, a enclenché indiscutablement une dynamique nationale et qui a abouti trente six ans après à l’indépendance algérienne.
C’est au prix d’une guerre de libération particulièrement sanglante, douloureuse et héroïque que le peuple algérien a arraché son indépendance. Les militants de l’Organisation spéciale(OS) ont tenté d’abord de préserver l’unité du PPA/MTLD, mais devant l’échec de leur tentative, ils ont pris l’initiative de déclencher la lutte armée. Sept ans et demi de guerre durant lesquelles le FLN/ALN avait mis toutes ses forces et son intelligence et qui ont fini par imposer les négociations au général de Gaulle, chef de l’Etat français, qui ont débouché sur l’indépendance du pays en juillet 1962.
A l’indépendance, à cause des contradictions idéologiques et des rivalités intestines qui ont traversé le mouvement national et la Guerre de libération, la dictature s’est substituée à l’état de droit, interdisant ainsi toutes les expressions politiques et ne reconnaissant que le Front de libération national (FLN) comme l’unique interlocuteur du peuple algérien.
Le pouvoir issu de la crise de 1962, a pris la décision d’en faire de l’arabe la seule langue officielle, et a mis en place un système d’éducation arabo-islamique, niant des décennies durant, notre être national historique algérien et nord-africain. En faisant l’amnésie à la fois sur la berbérité et la démocratie en osmose millénaire avec notre histoire et notre géographie, il a réduit l’algérie au socle arabo-musulman autoritaire, et bloquant toute évolution vers un nouveau sédiment démocratique. Pourtant, d’un coté, ce socle originel, la berbérité, s’était imbriqué en parfaite osmose avec le sédiment arabo-musulman hérité de la longue histoire de l’Algérie et de l’autre coté, le multipartisme avait charrié les idéologies les plus diverses dans le mouvement national. Ce déni, on l’a vu lorsque le colonialisme français tenta, vainement, de détruire le socle berbéro-arabe et musulman de l’Algérie pour lui substituer un socle franco-indigène composé, d’un coté, de français à part entière, et de l’autre, d’Arabes et de Kabyles entièrement à part.
Soixante ans d’autoritarisme vétilleux, durant lequel le système avait été gorgé d’un dogmatisme creux et stérile et érigé en adversaire assumé du mouvement en faveur de l’Algérie démocratique et moderne. D’une part, il mettait en doute la capacité du peuple algérien à juger de ce qui était le mieux pour la nation et d’autre part, en condamnant les principes de base de la démocratie moderne les traitant de corps étranger à la tradition algérienne. Mais, cette propagande n’avait pas émoussé la capacité ni l’intelligence politique des algériens, au contraire, leur engagement, leur appétit de discussion et de débat et d’analyses objectives, s’est aiguisé au fil des années.
A l’origine d’une accumulation et acquisition historique qui a résulté de l’engagement de plusieurs générations de militants issues de différentes strates de la société et qui avaient payé un très lourd tribut, le système a été contraint de reconnaitre à la fois le multipartisme et le sédiment berbère dans son socle constitutionnel. Malheureusement, le problème politique majeur du régime n’est pas seulement dans le despotisme et en l’absence embarrassante de démocratie dans sa gestion, mais l’incapacité plus fondamentale de se réconcilier avec notre histoire. D’ailleurs, il ne reconnaitra ses faiblesses et ne procédera à des rectifications qu’avec le triomphe des luttes démocratiques.
Ainsi, la pensée du système sure d’elle-même, impérieuse et arrogante, ruse avec notre histoire et méprise le peuple algérien. Elle est dans les faux-fuyants et avance en crabe. Ce faisant, et au lieu d’accompagner au sens plein du terme l’officialisation de Tamazight, en élaborant une feuille de route pour la mise en place des conditions d’enseignements obligatoire généralisées avec toutes ses composantes , elle le réduit à la portion facultative, incitant ainsi des centaines de milliers d’élèves à ne pas étudier notre langue.
L’arrogance opiniâtre du système qui refuse d’envisager et de reconnaitre l’algérie dans ses diversités identitaires et culturelles en premier lieu, et la tendance des écrits historiques, culturelles et politiques de ce courant marginal en second lieu et fondées sur la culture ou l’ethnie, constituent en effet le carburant politique, un thème actuel et rentable pour les porteurs du projet de « l’indépendance de la Kabylie ».
S’appuyant sur le révisionnisme et se distinguant particulièrement par une posture victimaire, les séparatistes alimentent à travers cette œuvre chimère, un imaginaire d’appartenance à une « nation kabyle » pour cultiver un nationalisme identitaire. Il considère en effet, le nationalisme des Etats-nations comme une forme de comportement politique graduellement marginalisée par les nouvelles réalités transnationales des économies modernes et du déploiement militaire des superpuissances et par conséquent, espère l’implosion de notre pays pour asseoir leur funeste projet.
L’Algérie doit s’engager impérativement dans un véritable processus d’expansion des libertés démocratiques et permettra ainsi l’éclosion d’une nouvelle ère politique en mettant fin à l’autoritarisme. La disparition de ce dernier avec la conception du principe de pouvoir absolu laissera la place à une vision d’ensemble dans laquelle la démocratie sera la source même de l’autorité politique : confiance du peuple en son droit et en sa capacité de décider de l’avenir de la nation, confiance partagée dans les principes de justice, de liberté et de respect des droits de l’homme.
Cette perspective permettra au bout du compte, aux Algériennes et aux Algériens de se réapproprier leur propre histoire et pourront enfin choisir librement leur futur et le rendre possible en se projetant dans un projet national moderne dépassant les considérations ethniques, régionales et religieuses. Celui de femmes et d’hommes libres dans un pays libres : le pays des Imazighen !
Mustapha Hadni