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L’Algérie a-t-elle besoin d’une constitution ?

TRIBUNE

L’Algérie a-t-elle besoin d’une constitution ?

On dirait que l’Algérie a choisi le moment où la planète vit une ambiance de fin du monde pour montrer l’intérêt qu’elle accorde à mettre à jour sa constitution. 

Comme un divorcé ou une veuve qui se prépare à un sixième mariage avec le sérieux et la naïveté propres au premier, les bans ont été publiés et une large assistance conviée à la cérémonie en espérant que le confinement l’autorisera d’ici la fin de l’année. 

L’Algérie a eu depuis son indépendance cinq présidents « élus » et cinq constitutions « démocratiques et populaires » : 1963 (Ben Bella), 1976 (Boumediene), 1989 (Chadli), 1996 (Zéroual) et 2008 (Bouteflika). Le sixième, Tebboune, est là depuis cinq mois et il était dans l’ordre des choses qu’il ouvre le chantier de la sienne. 

Les cinq ont tous cru qu’une constitution taillée à leurs mesures les protégerait comme un gilet pare-balles, mais au bout du compte ils ont quitté le pouvoir sous la contrainte. Un sur décision divine (mort naturelle), les autres sur décision militaire (soft ou hard).

Dès son arrivée à l’indépendance, l’Algérie a voulu faire comme les autres pays avant elle en se dotant d’une constitution. Elle en est à la sixième en moins de six décennies sans avoir encore trouvé chaussure à son pied ou burnous assorti à sa masse corporelle. Chaque fois c’est ou trop petit ou trop grand, ou trop large ou trop serré. Au premier pas c’était la contorsion, et au premier geste improvisé c’était la texture qui partait en lambeaux.

Pourquoi donc s’encombrer de quelque chose dont l’utilité n’a pas été prouvée ou, pour parler juste, dont la parfaite inutilité a été démontrée à tous les coups ? Je ne préjuge pas de l’avenir, je me contente de tirer les conclusions du passé : l’Algérie n’a pas besoin de Constitution car elle n’a jamais été nécessaire à son fonctionnement. Qu’elle en ait une ou n’en ait pas du tout n’a jamais compté.

Aucune des constitutions qu’elle s’est données depuis 1963 n’a servi à quoi que ce soit. Ni à permettre au président « élu » de couler des jours heureux jusqu’à la fin de son tour, ni à donner au peuple l’illusion qu’elle le concerne, ni au pays de se développer économiquement et surtout culturellement. 

De 1965 à 1976 elle n’en a pas eu et ne s’en est pas plus mal portée qu’avant ou après. Entre 1992 et 1996 on n’en a pas eu non plus et on n’en est pas morts. Entre la démission forcée de Bouteflika le 2 avril 2019 et aujourd’hui le moteur tourne comme à son habitude et rien ne semble faire défaut à la mécanique.

Pourquoi alors s’acharner à en avoir ? Pas pour préparer un meilleur avenir, mais pour remédier aux imprévus du passé. Non pas pour améliorer le « système », mais pour empêcher qu’il ne tombe de nouveau en panne car c’est toujours désagréable et a le don d’attirer les curieux.  Et plus encore, probablement, pour faire croire qu’on est comme les autres et peut-être même parmi les meilleurs (du moins sur le papier).

Et ainsi de suite d’un faux calcul à un autre, d’un rapiéçage à la va-vite à un raccommodement d’urgence, jusqu’à la fin du pétrole qui est la véritable constitution de l’Algérie, le véritable régulateur de ses institutions, l’unique distributeur de richesses au peuple et le pourvoyeur idéal des moyens de gouverner selon sa fantaisie.

Si ça peut nous consoler ajoutons que nous ne sommes pas les seuls à être dans ce cas. En dehors de la Tunisie qui avait déjà une constitution au temps de Carthage et dont Aristote, trois siècles avant Jésus Christ, vantait les mérites et enseignait les principes, il n’y a pas un seul pays arabo-musulman où tout pourrait s’arrêter s’il n’y avait brusquement plus de constitution. On y prétend pouvoir se suffire du Coran et de la Sunna. 

Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Je ne saurai dire.  

En tout cas l’Algérie n’aura pas sa bonne et définitive constitution avant d’avoir atteint l’âge d’être gouvernée par des idées, par des règles de droit, par une philosophie de vie convergeant avec les valeurs universelles de progrès, de rationalité, de liberté et de démocratie. Ça pourrait advenir dans un mandat présidentiel, après une véritable révolution citoyenne en place et lieu d’un « hirak » sans boussole, ou jamais.

Ce qui est sûr c’est qu’à partir du moment où cela arrivera, personne en haut lieu ou juste à côté derrière un rideau, n’aura plus de cor au pied ou de burnous immettable. Les coups d’Etat deviendront inutiles et nous pourrions tous nous écrier « Vogue la galère ! » en prenant le large pour rejoindre sinon un avenir radieux, du moins une vie comme les autres, une vie de nation apaisée, utile aux siens et à l’espèce humaine.

 

Auteur
Nour-Edddine Boukrouh

 




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