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« L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même »

Amazigh

Depuis que la raison a remplacé chez l’homme la  superstition comme source de savoir, la société a toujours progressé quand elle a permis que les  vérités régnantes soient soumises aux critiques, exposées aux épreuves, aux vérifications et aux défis qui les confirment ou les remplacent par d’autres, plus proches d’une vérité définitive, utopique et probablement inexistante.

Cette philosophie  concerne évidemment le pouvoir politique qui, dans une démocratie, doit orienter l’enseignement avec ses méthodes et ses programmes  vers les buts souhaités par le peuple et trouver, lorsque les volontés diffèrent, un consensus pour sauver des cultures et des langues minoritaires menacées de disparition.

Dans la plupart des pays où la culture scolaire issue de la colonisation était en contact avec des cultures locales, les efforts, souvent considérables, consacrés à l’amélioration des techniques d’apprentissage de la langue d’enseignement se sont révélés décevants et peu rentables.

La raison de ces échecs est connue : on a trop souvent ignoré qu’une langue n’est acquise dans toute sa plénitude créatrice que lorsqu’elle fait corps avec une culture vivante et qu’il est  impensable de l’enseigner sans avoir auparavant enraciné les élèves dans leur  propre culture.

De nombreuses études ont prouvé que le bilinguisme que l’on peut définir comme les capacités d’une personne à maîtriser deux langues, voire plus stimule des capacités cognitives essentielles comme la mémoire de travail, la concentration et la capacité à résoudre des problèmes complexes Le cerveau bilingue doit constamment jongler entre deux systèmes linguistiques, ce qui améliore la flexibilité cognitive.

Alors oui, en Algérie coloniale, l’enseignement du français aurait été plus efficace s’il s’était appuyé sur les langues locales, le berbère et l’arabe dialectal. 

Sur ce point, l’école française a compris ses erreurs comme le montre l’exemple corse qui après des années de luttes et de débats a permis à la langue et à la   culture corses de trouver sa place dans l’école publique. En 2022,  53% des élèves suivaient un enseignement bilingue. 

Beaucoup d’échecs 

En Tunisie, sous  le président Bourguiba qui  construisait  des écoles et des lycées sur tout le territoire avec une volonté de développement incontestable, la langue berbère a reculé parce que l’on répétait aux parents que l’arabe leur servirait plus dans la vie  que le berbère.

J’ai aussi connu en Haïti l’enseignement du français  dispensé à des enfants qui ne parlaient que le créole par  des Frères de l’Instruction chrétienne qui n’avaient  pour pédagogie que  l’apprentissage du par cœur et les punitions. 

Un échec complet de l’école,  et je me félicite aujourd’hui d’avoir pu, à la tête de la mission pédagogique française, construire l’Institut Pédagogique national, produire avec mon équipe d’enseignants de nouveaux manuels, les faire imprimer en France,  en pourvoir gratuitement les élèves dans le cadre de la coopération et convaincu, après  trois ans de travail, les autorités haïtiennes de faire entrer le créole à l’école dans une perspective de bilinguisme…

En Algérie, tamazight (la langue et la culture berbères) a été reconnue dans la Constitution de 2022 comme officielle. Le berbère est enseigné dans plusieurs wilayas mais sans la priorité de la langue maternelle.

Or dans une perspective d’enseignement bilingue, la langue maternelle  doit primer  sur la seconde qui la rattrapera dans le parcours scolaire. 

L’enseignement du Coran qui est commun aux deux cultures suffirait-il à créer l’enracinement dans la langue berbère? J’en doute car il n’est pas nécessaire d’être de culture arabe pour devenir  musulman. A cet égard, je me permets de rappeler la vision sur l’avenir de tamazight qu’avait ce célèbre écrivain algérien, dont la pensée a sans doute influencé le combat de Boualem Sansal :

“Ces religions ont toujours joué un rôle néfaste. Il faut s’y opposer avec la dernière énergie. On les voit maintenant à l’œuvre. On les voit en Israël, en Palestine, on les voit partout. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité. Ce sont des facteurs d’aliénation profonde. Voyez le Liban. Ça se passe devant nous. Regardez le rôle des chrétiens, des musulmans et des juifs. Il n’y a pas besoin de dessin. Ces religions sont profondément néfastes et le malheur de nos peuples vient de là. Le malheur de l’Algérie a commencé là. Nous avons parlé des Romains et des chrétiens. Maintenant, parlons de la relation arabo-islamique ; la plus longue, la plus dure, la plus difficile à combattre […]

C’est dur de lutter contre une telle couche d’aliénation. Pendant ces treize siècles, on a arabisé le pays mais on a en même temps écrasé le tamazight, forcément. Ça va ensemble. L’arabisation ne peut jamais être autre chose que l’écrasement du tamazight. L’arabisation, c’est imposer à un peuple une langue qui n’est pas la sienne, et donc combattre la sienne, la tuer.

Comme les Français quand ils interdisaient aux écoliers algériens de parler arabe ou tamazight parce qu’ils voulaient faire l’Algérie française. L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même, une Algérie étrangère à elle-même. C’est une Algérie imposée par les armes, parce que l’islam ne se fait pas avec des bonbons et des roses. Il s’est fait dans les larmes et le sang, il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puisse supporter un peuple. On voit le résultat. »

Emile Martinez

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