Nordine Ait Hamouda, ex-député et militant des droits de l’Homme a rendu publique cette lettre dans laquelle il tire la sonnette d’alarme sur les menaces qui pèse sur une Algérie plus que jamais paralysée et plongée dans une crise multidimensionnelle. Lecture :
« Le monde traverse une zone de turbulences qui accentue, chaque jour davantage, les grands risques tant sur le plan sécuritaire que sur le plan économique. Cet état de fait constitue une menace visible à la paix et aux équilibres qui ont fondé la relative harmonie que nous avions vécue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Bien des parties du globe sont entrées dans des phases de conflits, souvent violents et armés, qui n’augurent pas d’un avenir paisible pour un monde que les pandémies, les dérèglements climatiques et les tensions économiques laminent chaque jour un peu plus.
Face à cela, les Etats n’ont qu’une seule obsession : se prémunir des contrecoups des futures crises en renforçant leurs souverainetés : polico-diplomatique, économique, culturelle et énergétique. Aucune entité ne peut y échapper d’autant plus que les dissensions actuelles ressemblent, à bien des égards, au spectre géopolitique des années 30 qui a fait le lit à la deuxième guerre mondiale dont on connait, tous, les fâcheuses conséquences.
L’Algérie, qui s’est émancipée de la colonisation depuis plus de 60 ans, y est, plus que jamais, exposée. Plus grand pays du continent africain et possédant de conséquentes réserves de ressources naturelles fossiles, elle est appelée à jouer un rôle cardinal dans ce qui semble être une étape charnière dans la vie des nations.
Avec ses milliers de kilomètres de frontières avec des pays, dans leur quasi-totalité, plongés dans les crises et les conflits, sa sécurité et son intégrité sont potentiellement menacés. Et face à cela, la préparation sécuritaire ne suffirait pas si le front interne n’est pas renforcé et fortifié. La consolidation de la souveraineté nationale n’est pas seulement une affaire d’arsenal militaire et logistique. Elle est fondamentalement dans la force économique, la cohésion sociale, la stabilité institutionnelle et l’émancipation démocratique que l’on offre à la jeunesse du pays. Sans ces ingrédients, sera vaine toute prétention de grandeur nationale.
L’Algérie est appelée à changer radicalement depuis l’insurrection pacifique et civilisée du peuple en 2019. Si les tenants de la décision nationale se décident à se débarrasser des postures paternalistes sur la société et surtout à faire confiance à la jeunesse, la souveraineté nationale se renforcera d’elle-même et le front interne deviendra la digue qui protégera l’Algérie des menaces grandissantes qui la guettent.
Mais pour ce faire, il faudrait bien plus que des réformes mais une refonte totale de l’Etat notamment sur le plan de l’armature institutionnelle jacobine et centralisée, dernier vestige colonialiste encore visible. L’adoption d’une nouvelle forme de gouvernance territoriale basée sur les harmonies régionales et inspirée tant de l’organisation soummamienne de la guerre de libération nationale que du schéma structurel de l’Armée de libération national à travers le système de grandes régions, peut servir d’assise à une nouvelle république algérienne où la fraternité retrouvée et les diversités culturelles enrichissantes barreront la route aux aventuriers de tous bords. Mais en insistant à maintenir, mordicus, le jacobinisme français, comme mode de gestion territoriale, on fait le lit à la marginalisation de l’élite, à la corruption, à l’exode culturel et la tentation radicaliste.
Le révisionnisme islamiste en est la parfaite illustration : à travers des officines bien feutrées de l’étranger, des attaques sont orchestrées contre les institutions névralgiques du pays et les acteurs ayant sauvé l’Algérie de la talibanisation dans les années 90. Ceci n’est pas une œuvre sporadique mais un processus muri et réfléchi de la part des sponsors de l’intégrisme pour introniser les islamo-populiste au pouvoir et ainsi déplacer l’épicentre du terrorisme du Moyen-Orient vers l’Afrique du Nord. Les manœuvres qui s’opèrent dans notre voisinage immédiat avec le concours d’une monarchie du golf est un indice révélateur des tentations destructrice qui visent l’Afrique du Nord et la Sahel mais particulièrement l’Algérie. Il n’est pas anodin que la plupart des animateurs embusqués dans les réseaux sociaux soient d’obédience islamiste et inféodés aux officines intégristes. La grande supercherie Badissia-novembria, que tout Algérien digne se doit de combattre, est la partie apparente de ce révisionnisme dévastateur.
On ne peut, tout de même, pas tolérer l’association du badissisme assimilationniste inféodés à la France et le combat libérateur des patriotes novembristes! Heureusement qu’il y a des Hommes de valeur, à l’instar du Président du sénat, nationaliste invétéré et digne héritier du combat de novembre pour dénoncer cette récupération honteuse de l’HIstoire et de ses symboles.
Les faux nationalismes doivent également cesser : l’on ne peut aujourd’hui imaginer que l’Algérie se referme sur elle-même sous prétexte de s’en prendre à l’ancien colonisateur. L’instrumentalisation populiste des questions idéologiques, comme celle de la langue française et son opposition à la langue anglaise, ne provoqueront que repli sur soi et ghettoïsation de l’Algérie et comme le dit, si bien, Mouloud Mammeri : «les ghettos sécurisent certes mais stérilisent ». Quoi qu’il en soit, les langues étrangères doivent être conçues comme des acquis enrichissants plutôt que des outils de manipulation politicienne. La langue française, « butin de guerre » comme l’appelait si bien feu Kateb Yacine, n’est pas plus étrangère que l’anglais.
Entre temps, les islamo-conservateurs, bien introduits dans les institutions notamment éducatives et culturelles continuent à combattre Tamazight et à entraver son développement, allant à contre-courant de la constitution qui l’a pourtant consacrée langue nationale et officielle, trainant l’opinion dans un faux-débat sur la place des langues étrangères dans notre vécu.
L’Algérie doit apprendre à mettre en avant ses intérêts économiques et diplomatiques avant les lubies et les fantasmes idéologiques. Les principes fondateurs de la politique étrangère du pays, que sont le non-alignement, la neutralité, la non-ingérence et la paix doivent être plus que jamais réitérés. L’Algérie a toujours été amie de tous les Etats avec qui les intérêts seraient imminents. Les guéguerres idéologiques doivent être évitées et l’Algérie prémunies des contrecoups des querelles diplomatiques qui peuvent survenir dans les relations entre grandes puissances.
En matière économique, il en faut bien plus que de la politique-spectacle ou de la gestion réactionnaire. Le retour de l’Etat à ses missions régaliennes de régulation et de prospective stratégique exige une mobilisation de tous les acteurs, l’assainissement du circuit économique national, la lutte contre la corruption et la bureaucratie institutionnelle, le rétablissement de confiance avec le privé national et une diplomatie économique capable d’attirer des investissements directs étrangers conséquents notamment par l’implication de la diaspora. C’est par là que commence la souveraineté économique du pays. Joint à une réforme profonde l’éducation, par sa «désidéologisaton» notamment, Les renouveau économique ne sera que durable et de qualité. L’immixtion du gouvernement dans la sphère commerciale, transformant l’Algerie en État-boutique, est la preuve d’un échec dans lequel des conseillers incompétents et des cercles d’intérêts ont entraîné les plus hautes autorités du pays. La dimension caricaturale des crises récurrentes dans la sphère marchande et industrielle révèlent, aux Algériens, la profondeur de la crise et surtout brisent les liens de confiance entre le citoyen et l’Etat. Il n’y a plus de temps à perdre. Les hommes qu’il faut à la place qu’il faut devra être la devise quand il s’agit de gestion du bien public.
Au plan des libertés et des droits de l’Homme, tous s’accordent à dire que les pays les plus émancipés et les plus forts sont ceux-là qui ont renforcé l’interface des libertés de leurs citoyens et consolidé la protection des droits de l’Homme. L’Algérie est appelée à se débarrasser des arsenaux législatifs et institutionnels qui briment les libertés et étouffent la parole citoyenne notamment. La libération des détenus d’opinion est un impératif de survie pour la nation. La libération de la justice des interférences prémunira l’avenir de l’Algérie : Peuple, Etat et nation. L’on ne peut imaginer que dans l’Algérie de 2023, des citoyens continuent à croupir en prison parce qu’ils auraient porté des voix contraires et opposées aux tenants de la décision nationale ! Quand l’on voit, avec dépit et amertume, les cohortes de jeunes qui s’exilent en y portant avec eux, leur intelligence et créativité pour servir des économies étrangères, l’on se rend à l’évidence de la crise qui secoue profondément. Quand on quitte son pays, c’est que la justice des hommes n’y était pas impartiale et que les horizons cloués.
Le pouvoir, dans son entendement le plus profond, ne s’exerce pas par la force et ne renforce la souveraineté que par le respect du citoyen, le rétablissement de la confiance en la justice et son implication dans la décision nationale par la libération de ses espaces de libertés. Toute volonté de briser cette logique ne sera que vaine et ne fera qu’aggraver le malheur national. En s’appuyant sur les élites, ce qu’il y a de meilleur dans ce que les sociétés sécrètent, l’Algérie de nos enfants sera grandie, prémunie et puissante. Elle sera démocratique et sociale comme l’on voulue les concepteurs de la proclamation du 1er Novembre 1954 que, sans complexe ni complaisance, ses concepteurs avaient rédigé dans la langue de Molière.
Noureddine Aït Hamouda