Un wali, accompagné de son exécutif civil et militaire, sort en visite de terrain en 1984 dans les régions montagneuses de Khenchela. La population bien déshéritée l’avait accueilli aux cris de « Bienvenue ! A sidi el-gaïd ! Bienvenue ! A sidi elkaptan !
C’est bien plus que représentatif d’une Algérie de « l’ombre » totalement ignorée 22 ans après une indépendance politique. Mais que dire encore de nos populations nomades et de nos frères touaregs…
Quarante ans depuis, le discours officiel du pays ne cesse d’évoquer « d’éternelles » zones vivant à l’ombre du partage des richesses. Soixante-deux ans d’indépendance politique, on n’ose pas rappeler la tumultueuse première année d’une prétendue « jeune nation ». Pourtant, 1963 est une année charnière pour jeter les bases solides de l’édification d’un État national nouveau.
Quelques points sur le Fonds du FLN
En date du 15 mars 1963 et sous la référence D21608/A, une note d’info destinée à divers organismes de l’État français dont l’ambassade à Alger, relève que « le 4/1/1963, un nord-africain a déposé à la Banque arabe S.A. (12, rue Bonivard) une somme de 5 millions de dollars (en coupures de 1000) au compte de M. Ben-Bella. Les billets étaient contenus dans deux valises ».
La note du service d’espionnage français relève qu’il n’a pas été possible « de savoir si le dépôt a été fait à titre personnel vu ès-qualités ». La somme en question déposée à Genève équivaut aujourd’hui à quelque 50 millions de dollars ou encore 45 millions d’euros.
Nous ne saurons pas plus, si le « Nord-Africain » en question a été envoyé par Ahmed Ben Bella (ABB) afin de mettre à l’abri ce qui a été appelé « fonds du FLN » ou alors le personnage en question a procédé à un détournement de fonds au nom du zaïm ou encore pour son propre compte ?
Que valait un tel geste en 1963 et à quelques mois d’indépendance dans un pays qui venait tout juste de sortir de 132 ans de guerres génocidaires, de famines, d’épidémies et de dilapidations et de spoliations de ses richesses ? Avant même cet « émissaire » d’ABB et au niveau de la même Banque commerciale arabe de Genève, Mohamed Khider avait procédé le 18/10/1962 à l’ouverture d’un compte en francs suisses. L’info a été inscrite dans un document des archives de la police fédérale helvétique déclassifiés portant la côte DODIS-Ch/39002 datant du 14/1/1976, au temps où le colonel Boumediene enclenchait une nouvelle procédure judiciaire à l’encontre de la BCA-Genève.
D’autres documents de la même source et redus publics, évoquent qu’une année après le dépôt des « deux valises » de ABB, ce dernier dépêcha El-Hocine (Medeghri), le 8/6/1964 à Genève afin de prendre en charge « toutes sommes remises à lui par Khider et éventuellement de geler tous avoirs détenus par ce dernier ». El-Hocine s’entretien avec M. Genoud, l’administrateur de la banque genevoise et le 15 du même mois, cette dernière accepte de transformer « les comptes à termes Khider en compte à vue ». La somme en question déclaré par la BCA s’élève à 41953000 de francs suisse.
Alerté, l’ex-Trésorier du FLN procède entre le 18/6 et 1/7/1964 au retrait de 41 046 000 FS et déclare depuis son exil qu’il a mis « ses fonds en lieu sûr à l’étranger, à la disposition des opposants du FLN dirigé par Ben Bella ». Alger demande un séquestre à la BCA daté du 6/7/1964 à 14 heures, une demande qui arrive bien tardive puisque le dernier prélèvement a été fait dans la matinée même du 6 juillet (DODIS.Ch/52264).
Concernant les agissements de Mohamed Khider sur le sol helvétique, le Département politique du Département de Justice a procédé, en vertu de l’art. 70 de la Constitution suisse de procédé à l’expulsion du beau-frère de Hocine Ait-Ahmed et ce sur une plainte pénale qu’Alger a déposé auprès du Procureur cantonal de Genève contre Khider « pour détournement des fonds du FLN, ce montant d’environ 50 millions de fr ».
Le document en question datant du mardi 27/10/1964, relève que Mohamed Khider qui a loué un appartement à Belmont-sur-Lausanne où il réside avec sa femme, y prenait contact et organisé des rencontres entre plusieurs membres de l’opposition algérien, dont Boudiaf, Aït-Ahmed, Ahmed Francis, Hocine Lahouel et Krim Belkacem, de même qu’une prise de contact avec l’ex-capitaine Sergent, chef du Comité national de la révolution (CNR), un groupuscule extrémiste issue de l’OAS (DODIS.Ch/31500).
L’évocation de ces deux actes émanant d’abord, du très estimé leader « mao-tiers-mondiste » et de son opposant, ami de la mouvance islamiste, c’est tout juste pour interroger certaines questions de notre histoire politique actuelle.
Ont-ils bâti un État ?
Mohamed Khider opposant « voyageur » entre Zurich, Bonn et Madrid avait bien déclaré lors d’une interview qu’il avait donnée au journal La Suisse, repris par la Gazette de Lausanne du 28/3/1966 que « les séquestres ordonnés contre des fonds déposés à Genève et à Zurich – en tout environ 2 millions de FS – ont été levés. Une somme qui ne représente d’ailleurs qu’une minime partie des fonds du FLN sur lesquels la justice suisse n’a jamais pu mettre la main ».
Toutefois, s’estimant avoir été sali, injurié il ajoutera que : « Je n’ai jamais considéré que ces fonds m’appartenaient. Ils sont à l’abri, intacte. Ils appartiennent au FLN. Qu’un véritable congrès du FLN se tienne et je suis prêt à répondre de ma gestion dans tous ses détails, mais j’exigerai aussi qu’on ne rende compte de toutes les sommes que j’ai remise, lorsque j’étais S.G. du FLN en Algérie, à divers organisme ».
Les « fonds du FLN » ont-ils disparu après que, le Syrien Youcef Mardam et numéro 2 de la BCA, a procédé à la liquidation de l’établissement ? On quoi une telle question pourra-t-elle intéressé les nouvelles générations « Alpha » du pays ? Peut-être par rapport à cet héritage bien sombre que le nationalisme chauvin leur a légué, avec ce décompte des martyrs algériens sur la base de la comptabilité nationaliste socialiste du colonel Nasser d’Égypte.
A un an du 5 juillet 62, la Feuille d’Avis du Valais, n° 230 du 3/10/1963 titré Où va l’Algérie ?… en notant que « Ben Bella n’est rentré en Algérie qu’après la proclamation de l’indépendance, au sortir d’une captivité de plus en plus douce qui dura plusieurs années ». Sur ce retour de Ahmed Ben Bella en Algérie, une note de police suisse indique qu’en date du 2/3/1962, ABB et ses compagnons ont choisi de s’embarquer sur un vol de la Pan American affrété par le roi du Maroc, en compagnie du ministre des AE et du représentant du roi, M. Laghzaoui et ce depuis Genève-Cointrin.
Alors que Krim Belkacem, les quatre ministres du GPRA, ainsi que le colonel Benaouda « prenaient un vol de la KLM depuis Zurich-Kloten ». Au-delà les raisons sécuritaires citées par la fiche de police suisse, le retour du directoire du FLN et assez significatives. Deux groupes dirigeants s’envolent de deux lieux différents marquaient déjà le clanisme politique qu’allait vivre l’Algérie comme une interminable blessure historique.
A leur retour, un « gouvernement provisoire » les attendait à La Pointe-Noire (Boumerdés). C’est l’ordre semi-féodal qui prête la pas à celui du semi-colonial, l’ex-Assemblée algérienne signe l’arrêt de mort du FLN-ALN au sein même de la très bruyante Assemblée nationale constituante (ANC).
En comptant les débris du nationalisme algérien, l’ancienne puissance coloniale et toujours là et elle le restera encore. Entre l’été 1962 et celui de 1963, la féodalité politique se consolide de plus en plus, laissant dire à Krim Belkacem que ABB « veut faire de l’Algérie un nouveau Katanga » et à Ferhat Abbas qu’autour du projet de la Constitution – la 1ère du pays – que Ben Bella « a soumis à de prétendus cadres d’un parti qui en fait n’existe pas encore ». C’est dans ce contexte où « certains militants affichent pour le peuple autant de mépris que les anciens kaïds » écrivait Alger-républicain du 2/7/1963.
L’ébauche de cette Constitution est déclarée fin prête au référendum, dans une salle de cinéma « nationalisé », le Majestic, un 31/7/1963. Après que 3500 « militants » du FLN préparaient le projet du texte fondateur du nouvel État et que sa mouture finale ait été discuté « en commissions », le vote d’approbation passa à l’hémicycle de l’ex-Assemblée algérienne où 135 députés ont pris part. Vingt trois voteront contre, 08 abstentions et 22 dont Ferhat Abbas n’y ont pas pris part à la mascarade.
Sur une population de 12 millions, 6 391 813 d’Algériens constituaient les inscrits sur les listes électorales, 5 283 974 se sont expriméq et 5 166 185 ont bien dit OUI au texte à cette « éternelle » RADP. Une démocratie populaire qui a vu 1 107 844 d’abstention et 177 789 de NON.
Le « marxisme islamique » de l’improvisation
Soixante-deux ans d’indépendance politique et de dépendance économique rentière aux impérialismes de tous bords. Est-ce que les hurluberlus du démocratisme populiste ont réellement édifiés un État auquel aspirait ceux et celles qui se sont sacrifiés pour une bannière qu’on a « arraché » au PPA ?
Tous les Algériens sont des « marxistes islamiques » dira ABB à Al-Ahram du Caire e ce mois d’avril 1963. Il a honte de manger, alors que le peuple meurt de faim, lançait-il au meeting du 1 mai 1963 en précisant que « le socialisme spécifique algérien est proche de celui de Fidel Castro ». Devant le siège de l’Union général des commerçants à Alger, des cris hostiles contre les « profiteurs et les spéculateurs », ABB est enfin là pour calmer la foule déchainée en leur lançant : « Notre révolution n’est pas celle des commerçants, mais celle des cireurs et des fellahs ». Le petit Mao d’Alger lancera en cette fin d’avril, la campagne du Fond national de solidarité (FNS) afin de renflouer les caisses vides et « vidées » du nouvel État !
C’est un État qui apparaît d’avoir toute l’autorité sur l’ensemble du pays. Les appels à l’encontre d’une contre-révolution ne peuvent occulter l’improvisation quotidienne dans la gestion des affaires.
Le régime de l’An 1 de l’indépendance n’échappera pas au poste de commande de l’ancienne puissance coloniale. Les affaires algériennes continuent à être géré depuis l’Elysée. L’installation à Alger d’une Organisation de Coopération Industrielle, patronné par l’Algérien Abderrahmane Khène et dirigée par Claude Cheysson d’août 1962 à juin 1966, n’est pas là pour accompagner cette indépendance, mais de veiller à soumettre cette nouvelle Algérie à la sphère française. MM. Jean de Broglie à Paris et Georges Gorse à Alger, mèneront la valse des tandems politiques afin d’inféoder un peu plus l’Algérie aux visés des plans de la dépendance économique et sociale.
Au moment où l’OTAN annonce que le Traité Nord-atlantique ne s’applique plus à l’Algérie (24 janvier 1963), M. de Broglie, le chargé des Affaires algériennes aux AE de France atterrit à Alger afin de rencontrer Mohamed Khémisti, ministre des AE où ils visiteront la Casbah et se rendront au siège de l’Organisme Saharien, futur OCI de M. Cheysson. Le même Khémisti déclarait au début du mois de janvier 63, que la coopération algéro-française est entrée dans sa phase constructive, alors que son homologue ministre des Finances, Ahmed Francis et avant de ce rendre à Paris, y voyait des difficultés dans le démarrage de cette même coopération.
Absence de coordination entre les membres d’un même Conseil des ministres ou pincement des doigts entre anciens et nouveaux serviteurs de la Marianne néocoloniale ! Nous savons que pour Mohamed Khémisti, la journée du 11/4/1963 lui a été fatale à sa sortie de l’assemblée nationale et que des doigts ont été pointés en direction du Caire, alors que pour le Dr Ahmed Francis la voix de l’exil de l’opposition politique lui a été tracée par le régime des nationalisations des salles de cinémas, des cafés et des boulangeries.
Lorsque Krim Belkacem et sur les colonnes du Monde du 11/8/1963, appelait à ce que le pays sorte du provisoire et de l’improvisation, c’est pour rejoindre le très libéral Ferhat Abbas qui dans sa lettre de démission de l’ANC notait « Que le régime actuel de l’Algérie sera condamné par la nature des choses à évoluer vers des structures fascistes » et que les cadres du Parti dès cette époque sont qualifiés de « budgétivores et des profiteurs » (14/8/1963).
Du socialisme arabiste au blé américain
Devant quelques 100000 personnes, participants au reboisement de la région de Larbaâtach, ABB disait que « nous négocions en ce moment avec la France, le réajustement de nos rapports nés des accords d’Evian… 1964 verra la réalisation des options socialistes en Algérie » (1/12/1963). A la fin du même mois, 87 établissements de commerces (ex-bien vacants) dans la ville de Constantine sont distribués aux anciens détenus et djounoud de la guerre de libération !
Il n’y a pas de pause pour notre socialisme, disait-il en novembre 1963 aux transporteurs de l’Office national des transports. Le socialisme autogestionnaire est à grande vitesse après l’avoir importé de Belgrade de Tito, le grand valet des Anglo-américains. Mais, c’est surtout le corporatisme arabe d’Égypte qui intéressait Ben Bella en 1963. Le 15/2/1963, il recevait la visite du docteur Schacht, ex-ministre des affaires économiques de IIIe Reich et conseiller de Nasser en matière « économique », alors qu’à Bologhine, c’est à l’un des idéologues du nassérisme, Kamal Rifaât, de prendre la parole en cette journée du 21/6/1963, pour expliquer aux cadres du FLN ce qu’est le « socialisme arabe » à travers ses fondements allant de la foi religieuse, le nationalisme arabe et l’idée humanitaire.
Le charlatanisme idéologique arabiste se limité à la formation de quelques officiers de l’ANP dans les écoles militaires du Caire ou dans l’envoi de Mig déclassés de l’armée de l’air de Nasser. On a bien envoyé des livres pour instruire la langue arabe comme langue officielle du pays, mais ces arrivages sont aussi accompagnés d’un lot d’enseignants opposants à Nasser, communistes et Frères musulmans, que les colonels du Caire aimeraient bien éloigner dans la « colonie » Algérie.
Dans le cadre de l’expansion du panarabisme nassériste, l’Algérie de ABB-63 a été bien convoitée afin de faire partie d’une Union arabe regroupant l’Irak, la Syrie, le Yémen et l’Égypte. Le majestueux déplacement de Nasser à Alger et les randonnés de ABB et de Boumediene sur le Nil n’ont abouties qu’à reproduire le slogan d’une Algérie arabe et musulmane, mais on préfère sauvegarder les privilèges de la nouvelle bourgeoisie compradore locale sans être engloutie par celle du confessionnalisme moyen-oriental.
La nouvelle bourgeoisie coloniale montante dans cette Algérie de 1963, s’est contentée en fait, d’un territoire ne dépassant pas les limites naturelles des trois ex-départements du Nord algérien (Oran-Alger-Constantine). La Saoura et l’Oasis demeuraient sous l’emprise française et étrangère sur les plans militaires (Saoura) et énergétiques (Oasis). Le 9/3/1963, le journal Al-Chaâb parlait « d’initiative contestable se fait l’écho de rumeurs concernant une prochaine explosion atomique française au Sahara ».
L’initiative en question aura lieu le 18 du même mois à In-Eker, sans informé ledit État indépendant. Sur un tout autre plan, bien que la France a remis à cette Algérie dominée les bases de l’aviation légère d’Ain-Arnat et de Cheraga avec comme gadgets 12 hélicoptères à la nouvelle ANP, elle sauvegarde un panel d’installations militaires qui dépendaient directement de l’État-Major français et à celui de l’OTAN.
Quand à l’Algérie de Ahmed Ben Bella, elle se contentait des déclarations de bonnes intentions et de la bonne entente avec Paris, dans le style d’une « coopération qui a montrée que tout est possible dès l’instant où les peuples algériens et français sont entièrement libre. » (Ali Boumendjel depuis Paris, le 12/2/1963). Mais dans les faits, les deux peuples en question ne sont ni libres ni démocratiquement gérés.
La forte présence US en France en tant que QG de l’OTAN et le déploiement militaire nucléaire, spatial et chimique français en Algérie, rétrécissent les droits et les libertés démocratiques des deux nations. Les grèves ouvrières, paysannes et estudiantines dans l’Algérie de 1963, très mal étudiés, démontrent la présence d’un profond marasme social qui ce couvé et qui sera vite récupéré… un 19 juin 1965.
Dans cette attente de la phase 2 du redéploiement de la bourgeoisie colonial algérienne, le blé, le sucre et l’huile US sont là afin d’attiser la colère de masse de ce peuple martyr. Pour que l’Algérie de ABB ne balance aussi vite dans la sphère soviétique, du 1er avril 1962 jusqu’au 7/5/1963, Washington et son agence AID déverserons dans les ports algériens quelques 288000 tonnes de denrées alimentaires US à destination de 1400000 personnes et représentant 15 millions de dollars, c’est tout juste une bouffée d’air pour les quelques habitants des villes. Ceux des campagnes, ils n’ont qu’à ce contentés de l’ancestrale débrouille…
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.