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L’Algérie : du hammam turc à la douche écossaise !

APN

Avant la naissance de l’entreprise, le gestionnaire « romantique » brasse des idées, fait des promesses et entre en transe. Ce sont les premières années de l’indépendance : c’est l’ère de l’autogestion, des nationalisations des hammams, de la générosité, de la caisse de solidarité.

Mais, il ne suffit pas d’avoir des idées pour qu’une entreprise naisse, il faut aussi y consacrer ses forces parce qu’il n’y a pas de naissance sans douleur. C’est là qu’il faut faire de véritables sacrifices, c’est alors que le gestionnaire « nationaliste » prend le relais du gestionnaire « romantique ».

Il prend alors son « bâton de pèlerin » pour nationaliser l’entreprise « coloniale » et s’accapare la « villa du colon ». A ce stade de la vie de l’entreprise, ce qui compte, ce n’est pas ce que l’on pense mais ce qu’on fait. Il est relativement aisé de nationaliser les usines, d’occuper des bureaux, de noircir des organigrammes, d’importer des équipements pour dire que l’on produit et que l’on gère. Encore faudrait-il que l’entreprise franchisse l’étape suivante si elle ne veut pas rester éternellement à ce stade mais si l’imagination nécessaire à sa progression fait défaut elle s’éteint tout simplement.

Si malgré tout elle reste en vie, c’est grâce à l’attitude de « mère poule » de l’Etat fondateur. Pour vivre l’entreprise a besoin de nourriture c’est-à-dire de capitaux et de trésorerie qui passent par la nationalisation des hydrocarbures. Mais cette attitude nourricière risque de compromettre sa croissance et son développement. Notre bébé a atteint le stade où il peut se passer de sa maman mais l’Etat fondateur est là pour le maintenir indéfiniment sous son « jupon » par les soins jaloux et maternels qu’il continue à prodiguer.

Pour l’empêcher de crier ou de pleurer, l’Etat fondateur lui donne le « biberon » qu’il vient d’importer contenant du lait en poudre produit par la vache « folle » étrangère d’où le crédo du gestionnaire « socialiste » : consommer, dépenser, recruter, importer, voyager. En d’autres termes, alors que les caresses étaient indispensables à l’entreprise de bas âge qui manque d’affection (le biberon ne remplace jamais le sein maternel), elles deviennent des entraves pour l’entreprise qui désire sortir de l’enfance.

Il ne suffit pas d’équiper o grands frais en devises encore faut-il produire et produire selon les normes admises de par le monde. Prise par une fuite en avant sans précédent, l’entreprise n’a ni le temps, ni le souci de se débarrasser du personnel pléthorique et sans qualification. La préservation de la paix sociale et le maintien de l’ordre établi n’ont pas de prix. Le travailleur « gestionnaire » faisant semblant de travailler et le gestionnaire « travailleur » faisant semblant de le payer d’où l’adage populaire « regda ou t manger ». « me lehaytou bakharlou ».

La gestion se pratique en groupe, c’est le syndrome de la « réunionite », le gestionnaire doit produire mais également entreprendre, sortir des sentiers battus, savoir créer des changements dans l’entreprise pour l’adapter au changement de son environnement.

Mais l’Etat fondateur refuse de dépersonnaliser les politiques et les stratégies  il refuse d’institutionnaliser son rôle c’est-à-dire de l’assortir des règles et des procédures qui en limitent son libre arbitre. Enfin si l’entreprise ne se dégage pas d’une façon ou d’une autre, elle court à la catastrophe. L’entreprise en développement est obligée de prendre position dans un certain nombre de sujets difficiles. Dans un pays où le jeu fait office de gestion et où la politique est synonyme de jouissance, un jeu de Monopoly à grande échelle fait fureur.

L’entreprise pour atteindre ses objectifs est tenue de produire, de vendre ce qu’elle a produit, de facturer ce qu’elle a produit et d’encaisser ce qu’elle a facturé. Lorsqu’elle arrive à boucler le cycle d’exploitation et d’investissement, elle devient majeure prête à s’affranchir de la tutelle de l’Etat fondateur qui ne voit pas cela d’un bon œil. Il ne tardera pas à lui mettre des bâtons dans les roues. Le déclin de l’entreprise entraîne le déclin de la fonction production.

L’outil se « casse », la machine se « grippe », le gestionnaire « se clochardise », la médiocrité s’installe dans l’entreprise, le climat se dégrade. Pour survivre chacun s’emploie à en faire le moins possible. à ne pas se faire remarquer et surtout à ne pas faire de vague. Le conformisme devient un critère de promotion. Une fois atteint le stade du déclin, le « vous » est de rigueur. Le gestionnaire fait semblant de donner des ordres, ses collaborateurs font semblant d’exécuter. La forme compte plus que le fond. L’entreprise en déclin est une société d’admiration mutuelle où personne ne veut faire de vague même en présence d’un danger immédiat. C’est la politique de « l’autruche ». D’autant plus que l’inscription à la nomenclature fait obligation de financement par les organismes financiers.

D’ailleurs, le Trésor public est là pour venir en rescousse d’une gestion défaillante du moment qu’il dispose de ressources fiscales pétrolières et gazières en dinars indexées au cours du dollar et du baril de pétrole et non sur des ressources fiscales ordinaires prélevées sur une production locale propre ou une gestion rigoureuse de la manne pétrolière et gazière.

De plus le recours fréquent des entreprises de réalisation au découvert bancaire cumulatif bouclé en fin de parcours par des opérations d’assainissement fait que le Trésor public se trouve une nouvelle fois sollicité pour faire face à des demandes sans cesse croissante de la part des opérateurs publics. Cette gestion inadéquate des fonds publics met en danger la pérennité de l’Etat et la survie de la société dans un monde en continuel mouvement.

Pourtant dans les années 1990 de « vaches maigres », le pays a poursuivi la construction publique à bénéfice privé par l’emprunt international sous l’œil bienveillant du FMI et la complicité des bailleurs de fonds étrangers encouragé en cela par leurs gouvernements respectifs (crédits gagés sur les réserves pétrolières et gazières leur permettant de relancer leurs propres usines manufacturières disposant d’un marché porteur).

Dans les années 2000, une pluie diluvienne de pétrodollars vient s’abattre sur une Algérie meurtrie nettoyant tout sur son passage et provoquant des inondations. C’est l’ère de la folie et de la démesure.

Les entreprises étrangères affluent. C’est la ruée vers l’or. Les entreprises locales assistent comme spectateurs passifs du haut de la tribune officielle. Le match se déroule sur le terrain, les joueurs « importés » marquent des buts avec leurs pieds, les joueurs locaux avec leur langue A force d’augmenter les prix de vente, la demande devient inélastique, le chiffre d’affaires se met à décroître, la part du marché diminue, les pertes s’accumulent, les caisses de l’Etat se vident, la dette extérieure du pays s’accroît.

Le pays est au bord de la banqueroute, le recours du FMI s’iimpose, les conflits se multiplient, la violence surgit, les travaux ralentissent, les crédits se font rares, les usines ferment, les chantiers sont abandonnés, les entreprises disparaissent, le chômage s’accroit, le déluge s’annonce, le moment de vérité est arrivé. C’est le début d’une lutte individuelle impitoyable, il faut faire tomber une tête ou plusieurs, il faut qu’il y est des « boucs émissaires.

Les responsables se font la guerre, leur efficacité décroit, le cercle vicieux s’accélère. Le gestionnaire attend qu’on lui dise ce qu’il faut faire. Il ne produit plus, il n’administre plus, il est aux abonnés absents. Son souci majeur est de tenir dans l’entreprise jusqu’à sa retraite, « après moi, le déluge ». Son objectif est de conserver intact le petit univers qu’il s’est créé.

Le changement constitue pour lui une menace sérieuse. Il résiste au changement, s’attribue les réussites et évite d’entreprendre quoi que ce soit. Il ne se plaint jamais « tout va bien, l’entreprise se porte à merveille » alors qu’en même temps, elle fait faillite. Pourtant que de plans de redressement ont été échafaudés hâtivement par des pseudos cabinets d’audit et de conseil publics et privés à la recherche du gain facile sans résultat tangible. Et le manège continue avec des plans de privatisation d’’entreprises publiques moribondes ou se trouvant malgré elles au creux de la vague.

Le covid-19 ne doit pas être « l’arbre qui cache la forêt ». Pour ce qui est de la gestion, le dirigeant de l’entreprise défunte évite de prendre des décisions et s’arrange pour que d’autres les prennent à sa place. Le pire qui puisse arriver à une entreprise est qu’un gestionnaire « mongolien » se trouve placé à sa tête. Cela signifie qu’elle est en train de succomber d’où un sentiment général d’impuissance et d’amertume des cadres et des travailleurs vivant de leurs salaires.

Quant aux autres, le moment est venu de faire fortune, une course contre la montre s’engage, il faut faire feu de tout bois, seul le résultat personnel compte, les moyens utilisés importent peu.

La vente des restes de la dépouille est proche, en gros ou en détail. Emballées ou à ciel ouvert, au comptant ou à tempérament. L’essentiel est d’effacer toute trace d’usine ou de chantier pour ne pas sentir la puanteur de la dépouille. Une entreprise morte a besoin d’un permis d’inhumer. Le décès d’une entreprise doit être constaté par un médecin légiste pour être déclaré au registre d’état civil a l’effet d’obtenir le permis d’inhumer.

S’il s’agit d’une mort suspecte, seule l’autopsie peut déceler l’origine de sa mort et cette autopsie ne peut se réaliser que sur un corps reconnu sans vie. En attendant le cadavre empoisonne l’atmosphère et met en danger la société dans son ensemble. Qui va alors délivrer le permis d’inhumer ?

Questions subsidiaires : qui a intérêt à enterrer la « poule aux œufs d’or » ? L’homme politique, le dirigeant d’entreprise, les salariés, les banques ?

Dr A. Boumezrag

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