L’article Un parcours révélateur le long de la côte algérienne, paru sur le journal de Jeff Bezos Le Washington Post du 22/4/2022 et signé du journaliste freelance Henry Wismayer a suscité toute une admiration et engouement au point où l’agence de presse d’Etat s’en mêle par d’éloges remarqués.
Si certains de nos médias sont charmés par le titre de presse, ils oublient que Le Washington Post (WP) est d’abord un groupe de presse qui « bouffe » des concurrents et qui achète des articles selon la quote boursière et non l’intérêt du pays. Il y a donc lieu de se poser la question, comment cet article a été lu à Alger, en « sabrant » ou en «caviardant».
Le journaliste-voyageur du National Geographic Traveller n’a rien à envier, il n’a écrit que ce qu’il a vu et entendu. Aux lecteurs de ces quelques médias nationaux de revoir leurs copies. Il y a eu un effet de style, celui de la presse anglo-saxonne, qui n’a pas été assimilé à Alger.
Henry Wismayer travaillant sur commande a quelque 80 prestigieux titres touchant au tourisme et aux voyages de part le monde, il est un journaliste de renom et étant voyageur lui-même, il traversa les cinq continents jusqu’au choix qu’il porta à notre pays.
L’Algérie n’est pas la Mongolie, la Syrie ou le Salvador, c’est afin d’élargir ses horizons qu’il atterrit sur le tarmac de Houari Boumediene pour une traversée d’une dizaine de jours reliant Timgad-Constantine-Alger. Le parcours de Wismayer n’est nullement côtier et à moindre égard, de nature à inciter à un quelconque développement du tourisme en Algérie.
Alger-Timgad : la côte est invisible
Le parcours algérien du journaliste américain commence avec cette agence touristique privée basée à Dely Brahim qui s’occupe des lettres d’invitation nécessaires pour l’obtention de visa, des transferts et hébergements des touristes, organisation des séjours d’une semaine d’Alger à Constantine via les ruines romaines de Timgad et Djamila. Parler de Revelatory road trip along the Algerian coast (titre original de l’article) c’est vain !
Sans douter du savoir et de l’expérience du journaliste en question, mais de l’emballement de certains de nos titres qui voyaient dans ce papier une incitation et reconnaissance américaine du tourisme en Algérie. Selon l’organe officiel El- Moudjahid du 27/4/2022, Le Washington Post est tombé sous le charme du pays et de sa politique touristique.
Lorsqu’un WP vous fait « honneur » de vous citer, il y a lieu de marquer un arrêt, de prendre une tasse de café italien et de méditer sur le contenu du compliment ou autre.
L’article s’ouvre sur Timgad durant un « crépuscule jaune surréaliste » pour évoquer cette tempête de sable à haute altitude qui traversa l’Algérie en direction de l’Europe et jusqu’à la Finlande. C’est à partir de ces ruines romaines que l’Algérie paraît à Henry Wismayer comme étant le «10e plus grand pays au monde par sa surface », un pays obscur « caché derrière des barrières à la fois géographiques et artificielles ». Faisant parler le guide et « tour-opérateur », il est question d’un total effacement de la géographie de tout un pays, Omar Zahafi répond à chaque fois que des étrangers confondant « Algeria » et « Nigeria », que ce pays « c’est ce grand espace entre le Maroc et la Tunisie ». Et le journaliste met bien son doigt sur le crépuscule d’un pays ignoré, mal ou pas du tout présenté par ces habitants.
Le WP est le canard de l’élite intellectuelle américaine, lu avec attention par de nombreux centres de décisions aux USA et de par le monde. Mais très mal ou presque pas lu dans notre immense espace vide ! C’est entre « un bain public élaboré » et le « torse de marbre titanesque de Jupiter caché derrière un temple sans toit » que les notes du journaliste Wismayer se perdent mais aussi dans l’absence « de fonctionnaires patrouillant le cardo ».
Le « scribe » des pages de voyages du Time et du New York Times-Magazine, note avec subtilité que « les artefacts du musée adjacent n’étaient pas moins extraordinaires ». Une mosaïque « composée de tesselles » complexe « rarement vu en dehors de Rome », des dizaines de lampes à l’huile en terre cuite « étaient dispersées dans des vitrines ». à moins d’un dollars (130 dinars) « vous auriez du mal à trouver une merveille archéologique où le rapport coût/récompense est si extrême », relève-t-il au « ventre » de l’article.
Si Timgad « n’est devenu un sujet d’attention scientifique qu’après 1765, lorsqu’un consul écossais, James Bruce, est tombé sur les hautes colonnes du Capitole dépassant d’un dôme le sable », Djemila est sur la route de Constantine- Alger. Sur cette route le journaliste ne manquera pas d’évoquer l’article du même Washington-Post (16/3/2022) titré, La poussière du Sahara balaie l’Europe, transformant le ciel en brun rouille et pour nous dire qu’il est à Constantine, sur une « passerelle faiblement éclairée qui vacillait avec notre passage au-dessus d’un gouffre stygien ». Un sombre gouffre qui « n’est devenu clair que le lendemain matin » au fond d’une « agglomération tentaculaire de près de 400 000 habitants ». Wismayer ne manquera pas de relever que cette gorge du Rhummel est bien transformée en un « gigantesque réceptacle à détritus, cela semblait un épithète approprié, bien que malheureux, pour toute la ville ».
A Alger, le reporter, voyait une ville composée de « 2 parties ». Le quartier français « une partie basse du front de mer » avec de « hautes façades blanches qui moisissent au-dessus des magasins anciens et nouveaux reliefs en stuc écaillés ». Des constructions qui « paraissent absurdes à côté de linge aux couleurs vives sur les balustrades ».
Enfin, l’Alger du nord « formant un coin, la Kasbah, un labyrinthe délabré de ruelles ». Il n’oubliera pas de mentionner qu’une grande « partie de son aménagement remonte au temps du protectorat ottoman et qu’à l’époque elle n’était qu’un entrepôt de pillage pour les corsaires ». Mais, entre la Casbah et le Jardin d’Essai, il aura le temps de relever que le temps d’un café, entre poussière et fatigue, nos hôtels « se sentaient fatigués même, d’une manière ou d’une autre, ceux qui étaient neufs » aussi.
« Traverser des routes très fréquentée nécessitait un acte de volonté », écrit Wismayer et pour apprécier «la splendeur des villes algériennes exigeait de plisser les yeux, il n’était pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver l’histoire prenant une forme plus pure ». Entre les chambres caverneuses du nouvel hôtel Trajan de Timgad et les « préoccupations modernes » du pays, « les peintures murales de Ryad Mahrez à l’ancienne iconographie du martyr révolutionnaire Ali La Pointe » c’est ce qui explique au journaliste américain, « la sclérose de l’Algérie que les ombres de ce conflit soient restées si tangible. Le tourisme est une chose future et l’Algérie avait encore affaire à ses fantômes », écrira-t-il au « ventre » de sa page. Pour ce voyageur fixé à Londres, « les forces homogénéisantes de la culture occidentale restent en suspens » pour évoquer « la méfiance des agents de l’Etat, des douanes et de la police » pour les touristes et les délices de la traditionnelle nourriture algérienne.
Si au WP, l’article aurait été « sabré », chose tout à fait courante pour le poids et la ligne médiatique de la rédaction, à Alger, une certaine presse par ignorance de l’anglais américain a procédé au « caviardage » si ce n’est au « cuminage » (au cumin) de ce qui n’a pas été dit ou vu par le rédacteur des quelque 15 500 signes.
Lorsque le WP commande ou achète une contribution de plume, il ne passe pas sa pub des nations aussi gracieusement. Il le fait afin d’orienter une opinion en direction de ce pays pour un tout autre « projet ». son groupe de presse ne fait pas toujours dans la dentelle, il oriente et influx sur des décisions et Jeff Bezos ne regarde que du côté de Bloomberg.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.