Le pays se vide de sa sève nourricière, sa matière grise, ses enfants au fil des années. Tout le monde veut partir, quitter ce train qui traîne et zigzague en pleins rails, aller n’importe où, pour peu que l’on n’entende guère ce gargouillis du corps malade, avec ses bruits et ses flatulences.
Faut-il un mécanicien pour le moteur de la locomotive? Crient certains voyageurs, dépités par les vrombissements qui n’en finissent pas, les fumées noires et les pannes récurrentes! Mais, pardi, répondent d’autres, où est justement ce mécanicien, capable de réparer tout un appareil en dysfonctionnement ? La question n’est pas anodine, car elle démontre combien le bout du tunnel est encore loin.
Entre les Algériens qui pleurent le départ récent de quelques 1.200 médecins en France et ceux qui leur trouvent des justifications et des raisons légitimes, la polémique enfle chez nous, à tel point que l’affaire devienne un sujet de débat sur les réseaux sociaux. Le pays saigne de toutes parts, et ses forces vives censées lui porter un baume sur ses blessures, le quittent à contre-cœur, par manque de moyens, par manque de considération et d’égards à leurs mérites.
Nos compétences ont percé partout dans le monde, sauf chez elles. C’est cela qui a poussé, par exemple, la seule cardiologue en exercice dans la wilaya d’Adrar ( Sud algérien) à aller en France, parmi cette promotion de 1200 médecins. Adrar, vous m’entendez gens de bonne volonté qui me lisez, restera désormais sans cardiologue. C’est à peine croyable.
On réoccupe les déserts médicaux des autres pays, avec les compétences qu’on a formé, financé et soutenus, pour créer des déserts, pas que médicaux, mais culturels, économiques, chez nous! J’ai envie de pleurer cette catastrophe! C’est un gâchis!
L’Algérie est-elle ce Titanic qui sombre ? Je ne veux pas le croire, c’est-à-dire croire cette vérité qui blesse, après trois ans de la fameuse Révolution du Sourire!
Nous devons réagir avec toute la force de nos consciences contre la faillite de l’Algérie. Nous devons nous organiser contre les forces du mal qui s’efforcent à nous mettre, nous les Algériens, à genoux. Nous devons démocratiser au plus vite nos institutions, nos mœurs, nos partis, nos syndicats, afin de réaliser le progrès auquel aspire le peuple.
Un militant intègre jeté en prison, un médecin sans logement, un artiste sans salaire motivant, un journaliste qui squatte une chambre universitaire pour écrire ses billets, un jeune qui s’adosse aux murs jour comme nuit, faute de travail et de loisirs, n’ont pour point de mire que la porte du départ. C’est pratiquement le seul moyen pour se sauver. Sauver leur tête du cyclone qui menace de tout détruire.
L’inertie est dans le moteur, dans le moteur du train, dans le moteur de l’Algérie. On ne bouge qu’en rampant, difficilement. Et puis, qu’attendre d’une ville morte sans jardins ni bibliothèques ni cinémas ni …toilettes publiques ? Rien, absolument rien. Même s’il on est riche ou de classe aisée, personne ne se hasardera à y rester. Le statut social n’est pas une garantie contre la fuite, et le brain-drain, comme disent les Anglais, est un état symptomatique d’une maladie, la nôtre, très chronique.
Notre problème n’est pas un fait divers à lire en croquant les cacahuètes, mais une réalité concrète que nous devons soigner avec des remèdes concrets. Les solutions individuelles ne tiennent pas longtemps, et le salut de l’Algérie ne saurait être que collectif.
Kamal Guerroua