Un match de finale pour la coupe arabe de football opposant les équipes cadettes d’Algérie et du Maroc vient d’enflammer les réseaux sociaux avec des vidéos montrant la fin de ce match ternie par des bagarres, sans qu’on puisse se faire une idée claire sur les circonstances et les responsabilités car les enregistrements ont été réalisés à partir d’angles convenant à ce que chaque partie veut prouver.
Une enquête impartiale émanant des autorités footballistiques arabes pourra établir la vérité, situer les responsabilités et préconiser les sanctions qui s’imposent. Le plus tôt sera le mieux.
Ce que j’en ai personnellement retenu, c’est la furie qui s’est emparée de Youtubeurs des deux pays qui, depuis, se livrent à des échanges d’accusations et d’insultes démontrant que le fossé est en train de se creuser dangereusement entre les deux peuples. D’autant que cette péripétie fait suite à une autre qui a éclaté quelques jours auparavant et opposé un commentateur sportif algérien à un animateur d’émission syrien dont se sont aussitôt emparés des Youtubeurs algériens et marocains pour se bombarder d’injures.
Ces deux péripéties qui ont touché au football, sport de prédilection des masses, et à l’ultrasensible relation algéro-marocaine, ne relèvent pas du hasard à quelques semaines de la tenue du sommet arabe d’Alger, sujet à controverse, et à quelques mois du début de la coupe du monde de football au Qatar où seront présents la Tunisie et le Maroc. Elles ont eu pour effet de surchauffer les esprits dans un Maghreb divisé comme jamais par l’insoluble question sahraouie qui n’avait pas besoin que la rue ajoute à l’entêtement des dirigeants ses passions irrationnelles et sa fureur haineuse.
Que faire quand on est en face d’un problème comme celui qui oppose l’Algérie et le Maroc depuis un demi-siècle, celui du Sahara occidental ; quand on est constamment sur le pied de guerre sans se résoudre à la faire ; quand on dépense des milliards de dollars des deux côtés afin de rendre plus performants ses moyens de défense ? Même l’adage latin selon lequel « se préparer à la guerre est le meilleur moyen de préserver la paix » n’a pas été opérant dans le cas des deux pays enfermés dans le dogme du « Tout ou Rien ».
Ni le Maroc ne veut reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui dont il a annexé le territoire par la force en 1975 et 1979, ni le Polisario n’accepte le statut d’autonomie proposé par le Maroc, ni l’Algérie ne veut revenir sur une politique défendue bec et ongles depuis 1975 au nom de « principes » qu’elle n’a pas respectés dans tous les cas, dont le plus récent, l’Ukraine, où la Russie a décidé de mettre fin à l’existence d’un Etat reconnu par le monde entier.
La diplomatie qui est l’art de chercher un moyen terme entre « Tout » et « Rien » s’est échinée de 1975 à 1991 à trouver une solution acceptable par le Maroc et le Polisario avant de se rendre à l’évidence que le ver était dans le fruit, que le « problème insoluble » réside dans la contradiction insensée entre les décisions démocratiques d’une Assemblée générale de l’ONU incarnant la volonté des nations du monde, et un Conseil de sécurité de l’ONU représentant cinq pays dont chacun tient dans une main l’arme nucléaire et dans l’autre le privilège de pouvoir fouler à ses pieds le droit international quand il ne coïncide pas avec ses intérêts.
Que reste-t-il à faire à des justiciables comme la Palestine, le Sahara occidental ou les Ouighours qui n’ont pas la chance d’être, comme l’Ukraine, européens ? La guerre ?
Les armes n’ont pas réglé le problème palestinien malgré cinq guerres israélo-arabes. Le problème palestinien a disparu de l’agenda des relations internationales parce que les Palestiniens se sont divisés en islamistes et pacifistes. Plus personne dans le monde arabo-musulman ne veut mourir pour la Palestine ensevelie sous les Accords d’Abraham.
L’ONU, dans son format actuel, n’a pas les moyens de sortir le Maroc du Sahara occidental. L’Algérie ne peut pas libérer le Sahara occidental pour l’offrir à la RASD sans voir le monde se dresser contre elle, ni le Maroc retirer le dossier du Sahara occidental à la compétence de l’ONU. Le Polisario ne peut plus faire la guerre comme dans les années 70 et 80 où il avait remporté plusieurs batailles et fait prisonniers des milliers de soldats marocains.
Le Maroc a mis à profit les trente années de cessez-le-feu pour se bunkeriser derrière le mur qu’il a construit sur 2000 km, s’équiper en moyens de défense réduisant l’efficacité des actions militaires sahraouies, et souscrire une assurance-vie en se mettant sous la protection d’Israël qui ne l’aidera pas à libérer Ceuta et Melilla, mais uniquement à faire la guerre à l’Algérie. Il ne connaîtra pas pour autant la paix et le sommeil du juste tant que les épées de Damoclès de l’ONU et du Polisario ne se seront pas éloignées définitivement de sa tête.
Ce n’est pas par les armes que se règlera le problème du Sahara occidental même si la guerre éclatait entre l’Algérie et le Maroc. Une guerre qui se ferait sans objectifs de guerre car aucun des deux ne pourra occuper des parties du territoire de l’autre. Les deux se contenteront de détruire à distance les moyens militaires et les infrastructures civiles et économiques de l’autre édifiées au cours du dernier siècle, plongeant les trois peuples dans le malheur, la misère et la régression.
Les dirigeants algériens, marocains et sahraouis devraient, à rebours de l’état d’esprit qui prévaut actuellement, saisir l’occasion du sommet arabe à Alger pour ouvrir courageusement la voie à des discussions sur la nécessité de renoncer des trois côtés à la stratégie stérile du « Tout ou Rien », et convenir d’une démarche loin des institutions multilatérales arabes ou autres à laquelle pourraient se joindre ultérieurement la Tunisie et la Mauritanie.
Dans cinquante autres années, après d’autres dizaines de milliards de dépenses militaires qui ne serviront à rien, après une guerre dévastatrice ou sans, les trois parties viendront bon gré mal gré à cette solution car il n’y en a pas de meilleure. Aucune autre n’aboutira au règlement de la question sahraouie avec l’agrément des trois parties.
Nour-Eddine Boukrouh