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L’Algérie et ses thérapeutes

  

 

Aziz Kessous

Dans une Algérie d’ostracisme politique portant la contradiction, la culture démocratique tant à disparaître sous la pression des argentiers de l’islamisme anglo-saxon. Pris au dépourvu, des médecins – ainsi  se considèrent-ils – formés dans les loges médicinales de Jordanie, de Syrie et du Pakistan considèrent encore que le Docteur Saâdane comme un médecin de montagne et officier-martyr de l’ALN de la guerre d’indépendance.

Face à cette légèreté qui nous parvient d’un monde médicale réputé pour être une des enclaves du savoir et de la culture, nos défunts aînés se retourneront dans leur tombe. A l’encontre de ce formatage politico-culturelle généralisé par l’appareil idéologique éducatif, il est intéressant d’évoquer l’ex-gouverneur général de l’Algérie, Maurice Viollette qui disait déjà en 1927, qu’il y a en Algérie « une admirable façade de richesse ; mais les indigènes sont dans un état pitoyable. Il y a des millions d’hommes sur lesquels la misère pèse depuis des siècles, et qui deviendront, le jour où la propagande les touchera, de farouches révoltés ».

Une citation qui médite bien le présent. Au delà de cette évocation, il y a ce bouquet d’honorables médecins, de pharmaciens et d’hommes du droit algériens qui constituaient déjà, à l’heure de l’offensive islamo-saxonne de la loge des Frères-Musulmans dans la colonie Algérie, le bouclier démocratique et libéral du mouvement national anticolonialiste. Etiquetaient à tord d’assimilationniste, il y a lieu de revoir nos copies et de les relire dans le sens de l’évolution des événements historiques actuels : ils sont bien les initiateurs de la voie de la lutte démocratique.

Ils étaient libéraux, socialistes et mêmes démocrates « musulmans » pour certains d’entre eux. Ils étaient derrière le docteur Belkacem Bentami dans l’Oranais et le docteur Bendjelloul dans le Constantinois, dont les docteurs Ahmed-Chérif Saâdane (4/11/1895 – 26/10/1948) et Mohamed El-Aziz Kessous  (25/6/1903 – 13/5/1965).

Le Bendjelloul que les nationalistes panarabiste trouvaient « en retard de quelques vingtaines d’années », selon les dires du général De Gaulle (Mémoires, tome-2, p.224), il ne reçut aucune reconnaissance digne de son rang de la part de l’Algérie indépendante politiquement depuis 60 années.

Et pourtant, l’histoire des grands rassemblements sociaux et populaires et assemblées d’apprentissage politique, portent aussi la signature de la Fédération des Élus Musulmans Algériens et plus tard l’AML-UDMA. La paysannerie pauvre faisait bien partie de sa base sociale et ce, selon même les rapports internes du PCF-PCA et dès 1924.

Descendant des beys turcs, Bendjelloul avait un visage pâle, les yeux clairs persans comme de l’acier, une moustache brune à l’américaine posée entre une bouche petite et un nez long, écrit le journal Excelsior du 16/8/1935. Bendjelloul « ne peut avoir de besoin d’argent », notait la journaliste parisienne Paule Herfort venue à sa rencontre à Constantine, puisqu’il avait un cabinet médical prospère et lui-même, marié à la fille de Saïd Bentchicou, le grand fabricant de cigarettes de Constantine. Il parle vite, « d’une voix un peu rauque », il a un tempérament de chef réalisateur, positif, précis, une intelligence synthétique. A la question d’avoir entraîné les Arabes vers une évolution « qui semble inquiéter la France parce que vous êtes très nombreux : six millions environs, cela compte sur la terre algérienne », s’interroge la journaliste.

« El-Hakim » répondra par : « Détrompez-vous, nous n’entraînons personne. Nous sommes poussés par une masse misérable qui souffre et a décidé de se donner des chefs en qui elle a confiance, pour défendre sa cause. C’est autre chose. Faites-nous disparaître et demain d’autres renaîtront ».

Nous sommes bien en 1935, une année après les émeutes du Constantinois, entre Juifs et Musulmans fomentées par une administration coloniale acquise au fascisme rompant. Une année qui préparait le tapis au gouvernement du Front Populaire et la cartographie politique algérienne se dotera de deux nouvelles formation de masses basées sur le centralisme démocratique : le PCA et le PPA. Ils ne feront qu’enrichir la dynamique du mouvement national et pousseront l’ex-FEMA à ce doter du bouclier organique, l’AML-UDMA bien centraliser.

Deux hommes marqueront, par leurs signatures, cette évolution. Le docteur Ahmed-Chérif Saâdane et Mohamed-Aziz Kessous. Le premier, un Kabyle originaire d’El-Ancer (Jijel) avait consacré, en 1923, sa thèse de médecine au kyste fibro-conjonctif de la région testiculaire qui rongeait ses concitoyens démunis qu’il observait lui-même dans sa région de l’Est du pays. En tant que membre de la FEMA, auprès de Bendjelloul, Ferhat Abbas, Boussouf Abdelkrim, Kessous et bien d’autres encore, le docteur Saâdane en tant que conseiller général pour la région de Biskra-Batna, est un orateur qui tenait la tribune dans le silence. Il avait une éloquence d’apôtre. Présent à la rencontre de Bendjelloul avec le journal parisien, il notait que « l’on nous accuse de fanatisme. Interrogez les saintes femmes qui, aux portes du désert, soignent, par amour du Dieu chrétien, des disciples d’Allah souffrants et besogneux. Y eut-il  jamais contre elles le moindre murmure, la moindre révolte ? Non. Bien au contraire, un sentiment de gratitude, de respect. Le mouvement des masses indigènes n’a pas un caractère religieux, il est social avant tout. Nous n’attendons pas un nouveau prophète, nous attendons des réformes nécessitées par la misère immense des fellahs. Quant au panislamisme, ce n’est qu’un mot, car sous l’uniformité tout extérieure de l’Islam se cachent des régionalismes féroces. La France seconde puissance musulmane de l’univers, nation compréhensive par excellence, dont le rayonnement est encore intact, tient entre ses mains l’Algérie franco-musulmane ».

Prononcer en 1935, l’écho de ces propos ont valeur d’un enseignement pour un futur proche. N’ayant pas laissé derrière lui d’écrits connus, le docteur Saâdane et le long de son parcours, traite en thérapeute la question coloniale par le biais du diagnostique scientifique et médical.

Il n’est certes pas un révolutionnaire et il le disait clairement : « Si nous étions des révolutionnaires, nous ne voudrions pas l’ordre, notre intérêt serait de voir le mal empirer ». Il défendait « une évolution naturelle des peuples », celle qui « nous donne des aspirations nouvelles auxquelles il faut des cadres nouveaux ». Il voyait dans la démocratie française de l’ère coloniale, comme une « habitude qui maintenait une féodalité en Algérie ». Convaincu par la gouvernance française et ses règles « sans spéculation », il est de l’ordre de la décence de l’éthique politique de débattre ses idées dans leur contexte coloniale et de ne pas les assimilées à des idées réductrices et à la seule interrogation des tombes qui ne pouvaient y répondre sur la formation d’une nation algérienne ou non.

Le second, M. A. Kessous dont on ne retient que le condisciple de Ferhat Abbas au lycée de Sétif et le journaliste intervenant dans la presse réformiste de la FEMA, puis celle de l’AML-UDMA. Il est plus qu’un produit et initiateur des réformes de la question scolaire en situation coloniale, il fut une grande figure du socialisme démocratique en Algérie et fervent militant des Droits de l’homme.

Ahmed Cherif Saadane

Humaniste ? Oui. Mais n’ayant jamais adhérer à une quelconque Loge maçonnique, même s’il comptait parmi ses amis des membres actifs des Loges oranaises, selon Claire Mayenouver à travers sa thèse sur Etre socialiste dans l’Algérie coloniale, (2013). De même, qu’il n’a nullement avoir avec la création d’Alger-Républicain, par contre il fut son premier envoyé spécial à La Mecque comme accompagnateur des hadjis Algériens, Marocains et Tunisiens en 1943.

Fils de Zidane Ben Youcef (1871-1965) et de Zeghida Fetoui, originaire d’El-Kala, il trouvera résidence finale à Azzaba (ex-Jemmapes). Il fera ses études primaires à Collo et celles du lycée à Skikda. Bénéficiant d’une bourse de finalisation d’enseignement en 1918, il achèvera sa scolarité à Arles (France). De 1919 à 1924, il était inscrit à la Faculté de droit d’Alger où il montra ses premiers dons d’écritures dans l’organe estudiantin de l’AGEA, Alger-Etudiants. Il sera secrétaire-général de l’Association des Etudiants Musulmans Nord-Africains (AEMNA) fondée en 19222 et dont le premier président fut Alioua Madani. L’AEMNA comptait à cette époque 38 étudiants Algériens sur 48 inscrits à la faculté et sera dès 1924, une section « musulmane » de l’UNEF sous l’impulsion de Kessous en terme de travail syndical unitaire.

Sur les colonnes de l’organe de l’AGEA, il publiera deux textes littéraires, à savoir Histoire des deux aveugles de Bagdad et du filou et Les dernières paroles d’un soldat. Kessous marque dès le 31/5/1924 sont entrée dans le monde de l’écriture de presse et de la politique de la contestation sociale. Ils ont bien dit des choses sur l’homme et son honneur. Sur sa femme qui a embrassée l’Islam dès le première jour de leur mariage, le 6/5/1940, devenant madame Leïla Kessous à la Mosquée de Paris. En 1936, Aziz Kessous rejetait l’idée d’indépendance du pays en disant que : « Nous ne sommes pas assez forts pour nous rendre indépendants. Une insurrection indigène serait un véritable suicide collectif ». Des considérations qu’il faut situer à travers des considérations objectives et subjectives de l’époque, un impérialisme colonial qui faisait surgir de la terre son bras-armée le nazisme et le fascisme.

Entre le 22 février 1937 et le 23 mai 1937 et, sur Oran-Républicain, Aziz Kessous publie une série d’articles avec une enquête d’opinion touchant 150 personnalités, autour du projet Blum-Viollette dans un Oranais gangréné par la  peste fasciste du gourou Lambert.

Ce qui s’ignore de nos jours, c’est bien sa contribution et sa collaboration dans le journal hebdomadaire du docteur Lamine Lamoudi, La Défense où Kessous publia du 20/7/1934 au 8/3/1935 une série d’articles sur les « Berbères et leurs conquérants », en réponse à l’écrit de l’Algérien naturalisé Français Hanafi-Hesnay Lahmek intitulé Lettres algériennes (1931). M. Lahmek ce disant « un Kabyle émancipé » plaidait pour les Berbères contre les musulmans bien plus que contre les Français (Annales de l’Université de Paris, 1 janvier 1933). Il considérait l’Islam comme « un facteur de mort » et qu’il ne doit plus oppresser les Berbères Kabyles puisque ces derniers « sont proches des Européens, par la formation, par leur tradition » et c’est aux Français d’instruire les Kabyles « en les francisant ».

Aziz Kessous y répliquera et sur 17 parties dans La Défense en essayant de rétablir des vérités historiques avec des sources académiques d’autorité. Nous ne citerons à titre d’exemples, son avant-propos où Kessous soutenait qu’à travers l’écrit de M. Lahmek, nous découvrons « l’artifice d’un système créé de toutes pièces » qu’il résume en 5 idées principales :

1°- L’Afrique du Nord, qui forme géographiquement un « tout indissoluble », est un lambeau de l’Europe. Elle est beaucoup plus occidentale qu’orientale ;

2°- Les Berbères, qui constituent la masse principale des populations Nord-africaines, doivent être rattachés aux races européennes et non pas aux races asiatiques ;

3°- Les Romains ont complètement assimilé à leur culture, leurs cousins Berbères, dont ils ont fait des latins authentiques et à qui ils ont procuré une prospérité que « l’Africa » n’a plus jamais retrouvée depuis ;

4°- L’Islam n’a triomphé au Maghreb que par l’emploi de la contrainte, et il n’y a été en définitive qu’un « facteur de morts » ;

5°- En conclusion : «  Les Berbères doivent redevenir européen, mais leur assimilation, réalisable en dix ans ( !), n’est possible que si l’on contient sévèrement l’Islam dans ses limites ».

Kessous en relevant le contenu des propos de Lahmek, affirme qu’à sa dernière rencontre avec lui, il tenait des propos tout à fait opposés à ses théories qu’il entretenait précédemment. Il en demeure que cet écrit de l’auteur de La Vérité sur le malaise Algérie, en1935, montre toute la richesse des débats politiques et culturels que menaient les militants de la FEMA-UDMA, marxistes ou libéraux soient-ils, sur le front démocratique dans les lourdes et graves situations de colonisation.

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

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