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L’Algérie gouvernée par une caste qui a ses privilèges

Hirak

Le mouvement de dissidence populaire a échoué à imposer le changement à la caste au pouvoir

La République repose sur des principes fondamentaux : l’égalité des citoyens devant la loi, l’accès aux opportunités selon le mérite et la transparence dans la gestion des affaires publiques.

Pourtant, en Algérie, ces idéaux sont systématiquement bafoués ; le régime fonctionne sur un système de privilèges réservés à une minorité. Loin d’être de simples avantages, ces passe-droits constituent la négation même du cadre républicain, instaurant un apartheid social entre une caste dirigeante et le reste de la population.

Les privilèges ne sont pas de simples dérives. Ils sont la structure même du système de domination. Ils ne relèvent pas d’un dysfonctionnement, mais d’un mode de gouvernement. Une caste a confisqué l’État pour en faire un instrument de rente et de reproduction de sa domination.

Passeport diplomatique : contourner les règles

Ce scandale, qui défraie actuellement la chronique, illustre à quel point les privilèges sont enracinés dans l’appareil d’État. L’attribution abusive de passeports diplomatiques permet à certains de contourner les formalités de visas, échappant ainsi aux contrôles applicables à l’ensemble des citoyens. Ce privilège transforme un outil diplomatique en laissez-passer personnel, symbolisant une fracture entre une élite protégée et une population soumise à des procédures strictes.

Emplois fictifs à l’étranger : le détournement organisé des ressources publiques

Les postes dans les organismes officiels à l’étranger sont souvent attribués à des individus qui n’y exercent aucune fonction réelle, ou qui les occupent sans avoir les qualifications requises. Ces emplois fictifs servent principalement à récompenser des membres du cercle du pouvoir en leur assurant salaires et privilèges indus, sans aucune contrepartie en termes de travail effectif. Ce détournement des ressources publiques ne se limite pas à une simple injustice économique : il fragilise l’administration de l’État, alimente la corruption et détériore l’image de l’Algérie sur la scène internationale en privant le pays d’une représentation compétente et légitime.

Prise en charge médicale à l’étranger : un système de santé à deux vitesses

Alors que les hôpitaux publics algériens souffrent d’un manque criant de moyens, une minorité bénéficie d’une prise en charge intégrale de ses soins à l’étranger, aux frais de l’État. Ce privilège consacre une médecine de classe : d’un côté, une élite qui se fait soigner dans les meilleures cliniques européennes, de l’autre, une population contrainte d’endurer des conditions hospitalières déplorables. Ce système illustre le mépris total du régime pour la santé publique et l’égalité d’accès aux soins.

Gratuité du transport aérien et avantage lié au fret

La minorité privilégiée bénéficie de la gratuité du transport aérien, ainsi que d’avantages considérables sur le fret (franchises de 100 kg ou plus). Ces largesses, financées par les deniers publics, n’ont aucune justification fonctionnelle et ne sont octroyées que pour entretenir le confort matériel des cercles du pouvoir. Ce détournement des ressources étatiques va à l’encontre du principe républicain selon lequel les biens publics doivent être gérés dans l’intérêt général et non au profit d’une élite.

L’accès aux bourses d’études à l’étranger : un méritocratie confisquée

Les bourses d’études à l’étranger, supposées être attribuées sur des critères de mérite, sont souvent détournées au profit des enfants de hauts responsables. Cette logique clientéliste prive des étudiants méritants, issus de milieux modestes, d’opportunités qui pourraient transformer leur avenir. Cette confiscation du savoir par une élite auto-reproduite empêche toute ascension sociale fondée sur la compétence et la performance académique.

L’accès aux crédits : une économie de privilèges

L’octroi des crédits bancaires avantageux est un autre exemple frappant de favoritisme. Alors que l’accès au crédit pour les citoyens ordinaires est souvent difficile, voire impossible, une minorité bénéficie de conditions préférentielles, non pas en raison de leurs capacités à entreprendre, mais grâce à leurs connexions. Cette asymétrie mine l’initiative privée et maintient une économie de rente où seuls les membres du système peuvent prospérer.

𝐋’𝐨𝐫𝐠𝐚𝐧𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝’𝐮𝐧 𝐬𝐲𝐬𝐭𝐞̀𝐦𝐞 𝐝𝐞 𝐜𝐡𝐚𝐧𝐠𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐚𝐥𝐥𝐞̀𝐥𝐞 𝐝𝐞 𝐝𝐞𝐯𝐢𝐬𝐞𝐬

L’un des privilèges les plus pernicieux repose sur l’organisation d’un marché parallèle des devises, contrôlé par des réseaux proches du pouvoir. Tandis que les citoyens ordinaires peinent à obtenir des devises étrangères via le circuit officiel, une minorité bénéficie d’un accès privilégié au change, facilitant ainsi des opérations de blanchiment d’argent et le transfert illicite de capitaux à l’étranger. Ce système permet l’acquisition de biens immobiliers et d’actifs à l’extérieur du pays, consolidant l’évasion des richesses nationales et affaiblissant davantage l’économie locale. Il perpétue une inégalité criante, où l’État lui-même alimente une économie de rente au profit d’une élite insaisissable et au détriment de la souveraineté financière du pays.

Le patrimoine de l’Etat privatisé par une caste

L’accès privilégié aux biens immobiliers et mobiliers de l’État est une autre manifestation de la captation des ressources publiques par une oligarchie. Des résidences luxueuses, des terrains stratégiques et des véhicules de fonction sont cédés à des prix symboliques aux proches du régime, tandis que la majorité de la population se heurte à la spéculation immobilière et à la précarité du logement. Cette mainmise sur la propriété foncière publique permet à cette caste d’accumuler des actifs sans risque, consolidant son pouvoir économique et politique. Pendant que les citoyens ordinaires peinent à accéder à un logement décent, le patrimoine national est bradé ou monopolisé par des intérêts privés, contribuant à une dramatique crise du logement.

L’opacité des transactions et le rôle des sociétés écrans

L’un des mécanismes essentiels de ce système repose sur l’opacité totale des transactions, qui permet à des proches du régime de s’intercaler dans des opérations financières majeures. À travers des sociétés écrans immatriculées à l’étranger, ces acteurs captent des marchés publics, s’octroient des commissions et orientent les flux financiers vers des circuits opaques échappant à tout contrôle fiscal. Ces sociétés, souvent enregistrées dans des paradis fiscaux servent également à l’acquisition discrète de biens immobiliers et d’actifs financiers hors du pays, renforçant ainsi l’évasion des richesses nationales au détriment du développement économique local. Ce dispositif de dissimulation patrimoniale garantit l’impunité des bénéficiaires et verrouille l’accès aux ressources économiques pour les citoyens ordinaires.

Le contrôle des appareils sécuritaires : un verrouillage du pouvoir

L’un des piliers de cette domination repose sur le contrôle absolu des appareils sécuritaires. L’armée, la police et les services de renseignement ne servent plus uniquement à assurer la sécurité nationale, mais sont devenus les garants de la perpétuation du régime. Les promotions, les affectations et les moyens alloués à ces structures sont fondés sur la loyauté envers le cercle dirigeant. Toute tentative de contestation est immédiatement réprimée par un appareil sécuritaire politisé, qui agit comme un bouclier protégeant les intérêts de l’élite au détriment du peuple.

Un appareil judiciaire soumis aux ordres

L’indépendance de la justice est une illusion en Algérie. Les magistrats et les procureurs sont tenus en laisse par le pouvoir exécutif, et les décisions judiciaires sont souvent dictées par des impératifs politiques. Les affaires de corruption impliquant des proches du régime sont enterrées, tandis que les opposants subissent une répression judiciaire féroce. Les lois sont appliquées de manière sélective, garantissant l’impunité aux membres de la caste dirigeante tout en utilisant la justice comme une arme contre toute voix dissidente. Cependant, une fois tombés en disgrâce ou éjectés du système, ces mêmes privilégiés deviennent des boucs émissaires, condamnés par une justice devenue instrument de règlements de comptes internes.

Ainsi, la soumission de l’appareil judiciaire participe à l’instauration d’un État autoritaire où le droit n’est qu’un outil de maintien du pouvoir et d’élimination des figures devenues gênantes.

Une classe politique et une société civile clientélistes

La classe politique et la société civile ne sont pas épargnées par cette logique de privilèges et de contrôle. Les partis politiques dits « d’opposition » sont souvent de simples paravents destinés à donner une illusion de pluralisme. En réalité, la majorité des formations politiques sont soit directement inféodées au régime, soit maintenues sous pression par des menaces et des intimidations. Quant aux organisations de la société civile, celles qui refusent de se soumettre aux diktats du pouvoir sont marginalisées, asphyxiées financièrement ou purement et simplement interdites.

Les authentiques républicains et démocrates, quant à eux, sont harcelés, intimidés et font l’objet d’une stratégie d’invisibilisation visant à les priver de toute tribune publique. Cette stratégie permet au régime de garder une mainmise totale sur les dynamiques sociales et d’empêcher toute émergence d’une véritable force contestataire.

Une république de façade, un régime de privilèges

Ces privilèges, loin d’être anecdotiques, sont le pilier du système algérien actuel. Ils ne relèvent pas seulement d’un favoritisme administratif, mais traduisent une dynamique prédatrice où l’État est instrumentalisé par une caste mercantile et marchande, uniquement motivée par l’accumulation de richesses personnelles. Ce régime ne repose pas sur une vision politique ou idéologique, mais sur un pur pragmatisme affairiste, où l’enrichissement des élites prime sur l’intérêt général. Tant qu’une refonte républicaine basée sur l’égalité, la justice et la transparence ne sera pas engagée, l’Algérie restera une régence véritable, une « Ripou-blique » assumée.

Mohand Bakir

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