La monnaie comme lien social repose sur la confiance. Il fût un temps où des ministres serpentaient les rues d’Alger sans garde rapprochée et s’attablaient à une terrasse de café en toute quiétude. Il fût un temps où le petit peuple se baignait en famille au club des pins, à Moretti en famille.
Le bonheur était à portée de main. La confiance régnait, le dinar algérien venait de naitre, beau innocent sain, fragile, longtemps attendu, il avait du respect pour ses parents, il leur baisait la main, il était aux petits soins, heureux de voir le jour au milieu des siens et au service des siens, fière de rivaliser avec son frère ennemi, le franc français … A l’époque, l’argent n’était pas roi. L’or noir se vendait à deux dollars, le dinar algérien s’échangeait contre deux francs français.
C’est l’indépendance. Le monde nous souriait, les anges nous saluaient. La vie était belle, l’air était pur, l’eau était limpide, les arbres poussèrent de nouveau, le rêve était permis, il n’avait pas besoin d’autorisation.
Plus d’un demi-siècle plus tard, le prix du brut grimpe à cent dollars, le dinar algérien a disparu de la circulation, la mauvaise monnaie chasse la bonne, le patriote se terre, le larron s’invite, les gens à principe coulent, les opportunistes flottent, le pouvoir se barricade, le peuple se meurt, le monde s’affole, le virus s’installe, les hôpitaux ferment, les médecins fuient, la mer les engloutit, le monde s’isole, la vie cesse, le cataclysme est imminent.
Scénario catastrophe d’un film d’épouvante ou réalité amère d’une société en voie de perdre son âme. Jadis lorsque les gouvernements se trouvaient hors d’état de payer leurs dettes, ils falsifiaient leur monnaie, en y ajoutant du cuivre ou du plomb ou bien encore en diminuant le poids des pièces d’or.
De nos jours, ils procèdent autrement ; ils empruntent de grosses sommes à des Etablissements qu’ils autorisent exclusivement à fabrique de la monnaie de papier. Privé de sa base naturelle et nécessaire Cette monnaie se déprécie dans les moments de crise le gouvernement intervient alors pour obliger le public à supporter la dépréciation.
La coexistence de la misère et de l’abondance devient chaque jour plus intolérante et l’on assiste à des pressions de plus en plus fortes à des revendications visant à une redistribution plus égalitaire des revenus. Des populations se sentant abandonnées à elles-mêmes, n’ont plus aucun intérêt à l’Etat. Le pouvoir ne leur apparaît plus légitime, il ne satisfait pas à leurs besoins.
La promesse d’un développement égalitaire pour tous n’a pas été tenue parce que les ressources du pays ont été dilapidées dans des projets grandioses sans impact sur la création d’emplois productifs durables et sur le développement de l’économie. Nous avons le cerveau incrusté dans notre estomac et le cœur enfoui dans notre poche trouée. Dans ce monde, nous ne sommes qu’un numéro dans une course effrénée vers plus de richesses.
Longtemps sevrés par la colonisation, les Algériens mettent désormais les bouchées doubles. La richesse distribuée ne craint pas de se montrer au grand jour tandis que les inégalités sociales s’accroissent. La corruption et la mauvaise gestion des ressources conduisent la majorité de la population à un appauvrissement certain.
La richesse facile semble être le chemin assuré vers l’échec des politiques menées à l’abri des baïonnettes. Un argent qui tue, qui achète, qui corrompt, qui pourrit qui détruit y compris les consciences. Si l’on avait rêvé un jour de prendre à l’Occident la science et la technique en gardant son âme, il semble que l’on est en train de perdre son âme sans réussir à maîtriser cette science et cette technique.
Malheureusement, les discours ont peu d’effet puisqu’on a pris l’habitude de consommer sans produire, de dépenser sans compter, de gérer sans rendre compte, de gouverner sans la participation pleine et entière des larges couches de la population. Le boom pétrolier qu’a connu l’Algérie illustre parfaitement la cohabitation entre la permanence d’une misère morale endémique et l’existence de ressources financières abondantes.
Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l’infini le système mis en place. Dès qu’il y a une baisse de prix, le régime se met à vaciller et les hommes à paniquer. Un système gouverné par des élites occupées à leur plan de carrière artificiellement prospère et « tant va la cruche qu’à la fin elle se casse ». Après cela, on peut se demander : qui crée l’argent dans ce monde ? Avec quelle monnaie nous marchandons, nous évaluons nos biens ?
Chez le Trésor américain sans intérêt ? Le sous-sol saharien n’aurait-il pas été la meilleure banque pour préserver l’intérêt des générations futures sachant que les hydrocarbures sont l’oxygène de l’économie mondiale dominante ?
Avec quelle monnaie, nous comptons, nous payons, nous épargnons, nous thésaurisons. Cette monnaie est-elle fiable ? Ne dit-on pas que « la mauvaise monnaie chasse la bonne » : la monnaie d’appoint a disparu des caisses des commerçants, le papier monnaie s’est dégradé à tel point que le billet de 1000 dinars s’est transformé en papier hygiénique, le chèque ne trouve pas preneur, les billets de banque, entassés dans des sacs poubelle, passent de mains en mains à une vitesse vertigineuse. Ailleurs, la richesse est créée.
En Algérie, elle est imprimée. Sur le plan international, en quelques décennies, l’économie mondiale est passée de l’étalon-or à l’étalon-dollar, de la monnaie fiduciaire à la monnaie virtuelle, de l’hégémonie à la manipulation.
Qui contrôle la production des hydrocarbures en Algérie ? Evidemment dirons les économistes : la demande mondiale et non les besoins du pays. C’est cela, l’économie de marché : un marché de dupes. Sécurité de garder le pouvoir contre le monopole des américains sur le pétrole.
Faut-il se rabaisser pour ramasser l’argent ou élever son âme pour atteindre l’éternité ? Sur le plan politique, les pétromonarchies arabes sont les meilleurs protecteurs et les plus fidèles alliés des intérêts occidentaux en perte de vitesse face à la montée en puissance des pays émergents (Russie, Chine, Inde, Brésil, Afrique du sud). La corruption des mœurs C’est-à-dire le pouvoir qu’une élite dirigeante s’acquiert sur un peuple au moyen de sa corruption morale ne peut être que d’inspiration satanique
Ce troisième millénaire sera-t-il marqué par la domination de la spiritualité sur la temporalité ? Un monde de fraternité et de solidarité ou un monde de destruction massive ? L’humanité entre dans une phase la plus inattendue de son histoire où l’homme méprise le bien et encourage le mal.
Que de questions mais peu de réponse pour une société sans élite ou une élite sans dignité vieillissante vivant sur son passé glorieux et ignorant les enjeux du futur, en mal de reconnaissance sociale, imprégnée d’une culture apparente et de bas étage, nourrie au biberon « pétrolier » et non au sein maternel, qu’elle soit d’inspiration occidentale ou orientale, qu’elle soit au pouvoir ou dans l’opposition, les deux sont déconnectées des besoins réels de leur société, agissent le plus souvent comme sous-traitants des pouvoirs en place en s’inspirant des théories venues d’ailleurs notamment de l’occident qui veut que le monde arabe soit à son image et en même temps qui lui soit profitable.
La démocratie nous centre sur nos droits. Sans le pétrole et le gaz, l’Algérie sera-t-elle une tombe à ciel ouvert sous un soleil de plomb ? Survivra-t-elle à un éventuel sevrage pétrolier ou gazier ?
Dr A. Boumezrag