Comment s’adresser à deux frères sur le point de se faire du mal ? Lors de mon passage à Alger en août 2024, il m’était impossible de ne pas sentir l’accumulation de tensions nombreuses et de diverses natures.
De celles capables de perforer les valeurs sociales et morales les plus solides et indissociables d’une réussite collective. Les sentiments d’injustice, de désespérance, d’absence totale de perspectives pour soi et ses enfants qui prennent le large tant ils sont nourris de fatalité. La grinçante tension sociale, à l’échelle des familles, des individus en concurrence les uns avec les autres à l’image de la jeunesse maltraitée par un pouvoir susceptible et n’œuvrant que pour sa propre gloire.
Les uns parlent de régime autoritaire, d’autres de totalitaire, certains de dictature, quand la population se fout des étiquettes et la couleur des partis. À l’heure où la seule préoccupation est à l’immédiat et au souci du lendemain pour ses enfants par manque de force et de disponibilité, il y a de quoi être inquiet.
L’effondrement économique va à grande vitesse sans présenter aucune chance d’éviter le crash total, emportant avec lui des pans entiers de la population à la mer. Nombreux seront celles et ceux qui ne verront pas l’autre rive, où nous sommes, et où d’autres tendent déjà les talons pour repousser l’étranger.
L’un des drames qui accompagnent ce constat est que je n’ai besoin de le nourrir d’aucune opinion pour le construire. Ce constat n’est pas le mien, c’est le leur. Je ne me permettrai pas ce qui ressemble à une ingérence, dont il ne manque pas de têtes peu pensantes pour la qualifier de dénigrante, si ce n’était pour autre chose que de la géopolitique que je laisse volontiers aux experts qui ne manquent pas non plus.
L’impasse en humanité est un concept artificiel, la fatalité une construction des puissants pris par la peur de n’être plus rien demain, de se voir déposséder par un autre qui vantera à son tour une bataille juste. Ces batailles si justes qu’elles produisent à échelle industrielle toujours les mêmes victimes pour lesquelles ont dit œuvrer. C’est là une des têtes d’allumettes qui se penchera sur le tonneau de poudre algérien, incontestablement. Non la juste révolte, mais la douteuse révolution qui ne peut fonctionner qu’en ajoutant se peine fière au désordre nécessaire à sa cause.
Comment ne pas être inquiet pour les amis, les gens simples qui ne donnent pas dans la politique dans ce qu’elle a de plus dangereux, à l’aube de la proclamation d’une division d’un pays.
Peu importe si la raison y est ou non, si la légitimité joue ou pas. La politique est ce train en retard dont on parle quand elle s’adonne à ce qu’elle sait pratiquer comme personne : l’art du mauvais moment.
À Alger j’ai découvert les Kabylophones, futés, sensibles, drôles et profonds. Et les Arabophones, tenez-vous bien, futés, sensibles, drôles et profonds. Les premiers disaient des autres qu’ils avaient saboté le Hirak. Ils disaient, me disaient, que partout où ils le pouvaient ils bossaient à un nouveau mouvement, sans les Arabophones. Bien entendu, personne ne s’est présenté à moi avec un autocollant du MAK sur le front, mais avec le recul, le ton, et ce regard déterminé, y étaient.
Encore une fois, ce ne sont pas mes oignons. Mais soucieux des uns et des autres, qui ont également mon amitié, je ne peux taire mon inquiétude de les voir à terme se jeter l’un sur l’autre.
Je ne vois pas quel argument pourra plaider pour une issue non violente à ce genre de manip.
Quand on sait le climat de défiance, quand on considère que la taule guette pour un post en ligne qui dirait que Tebboune est l’oncle vilain dont aucune famille ne veut à table. Que, par ailleurs, à tort ou à raison, un groupement qualifié de terroriste décrète unilatéralement l’indépendance d’une région avec pour frontière la plus proche à quelques ridicules kilomètres d’Alger, c’est la catastrophe assurée.
Bon, me voici mieux.
Faire part d’une inquiétude la dilue un peu, mais embarque un autre que soi dont on attend, après nous avoir écoutés avec bienveillance comme vous venez de le faire, de nous rassurer.
Si vous êtes en possession de ce pouvoir formidable, usez-en d’une main.
De l’autre, retenez les frères.
Marcus Hönig

