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L’Algérie ou l’étouffement des voix libres

Mohamed Tadjadit

Mohamed Tadjadit condamné arbitrairement à 5 ans de prison.

Comment un pays peut-il encore se parer des oripeaux d’une République quand son ciel est zébré par l’ombre des barreaux et des mains muselées ?

L’Algérie, cette terre de promesses, est devenue un gouffre dans lequel les mots se meurent et les consciences vacillent. À chaque page de cette tragédie écrite par des mains oppressives, les voix s’éteignent, emprisonnées par un régime qui fait des libertés son ennemi juré.

Après Fethi Ghares, ce militant infatigable du Mouvement démocratique et social, condamné à un an de prison pour avoir osé rêver d’une Algérie juste, après Merzoug Touati, blogueur et éclaireur des vérités sombres, réduit au silence par une peine de deux ans, après avoir placé Amar Ingrachen, directeur des éditions Frantz-Fanon sous contrôle judiciaire et mis des scellés pour six mois sur la porte de ses bureaux, voilà que Boualem Sansal, écrivain incandescent, disparaît dans le gouffre d’un régime sous lequel la nuit semble éternelle. Aucune nouvelle, aucun écho. Seulement ce silence pesant, cet abîme de non-dits.

Et maintenant, le jeune poète Mohamed Tadjadit, la voix vibrante de l’indignation, arraché à la lumière par des agents des services algériens. Enlevé le 16 janvier 2025, condamné pour un simple hashtag, ce geste numérique devenu crime d’État dans une Algérie qui redoute jusqu’aux murmures.

Huit emprisonnements depuis 2019. Trois ans passés dans l’ombre, à payer le prix d’une parole libre. Son cri résonne pourtant, plus fort que leurs verrous : « Je suis poète, pas criminel. »

Le poison du pouvoir se distille jusque dans les veines des réseaux sociaux. Mohamed Tadjadit est la cible de la haine froide d’un « influenceur » qui, à travers une vidéo virale, a nourri l’ire du ministre français de l’Intérieur et le feu d’une justice complice.

Cet homme, Doualemn, a appelé à son assassinat dans un geste d’une violence inouïe. Il a fait, à nos frais, l’aller-retour le trajet Paris-Alger. Et pourtant, c’est Mohamed Tadjadit, en se défendant contre cet appel mortifère, qui est tombé dans les griffes d’une justice kafkaïenne, une justice qui transforme les victimes en coupables et les bourreaux en juges.

L’Algérie creuse encore, toujours plus bas, dans les abysses de la répression. Toute vie, tout souffle, tout silence même, devient suspect. Le peuple, qui hier encore portait le flambeau de la liberté dans les marches du Hirak, voit sa colère étouffée, ses espoirs confisqués. Mais cette colère, enfouie sous les décombres de la peur, gronde toujours. Les dirigeants algériens ne semblent pas comprendre qu’un peuple oppressé finit toujours par se lever.

La répression atteint des sommets grotesques, une folie institutionnalisée qui condamne le pays à l’isolement et à la honte. Chaque emprisonnement est une note de plus dans la symphonie tragique d’un régime à bout de souffle. Mais l’histoire, cette éternelle mémoire des opprimés, finira par rendre justice. Et ces poètes, ces écrivains, ces militants qui aujourd’hui tombent, se relèveront dans les livres, les chants, les rues. Leur silence forcé résonnera comme un tambour dans l’écho des générations futures.

L’Algérie n’a jamais connu un tel degré de répression. Mais la nuit la plus sombre précède toujours l’aube. Et cette aube viendra, portée par ceux qui refusent de plier, par ceux qui, même dans l’ombre, continuent de semer les graines de la liberté.

Kamel Bencheikh

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