Aucun n’osera contredire que durant le conflit politico-idéologique sino-soviétique en 1961, Larbi Bouhali, représentant la direction extérieure du PCA, avait négocié avec l’Albanie socialiste et dans le plus grand secret, un édifiant lot d’armes au bénéfice de l’ALN. Les archives du KGB soviétique n’évoquent rien sur cette action de la part de l’Algérien qui résidait pourtant à Prague.
En l’absence d’une propre histoire militaire algérienne, il est utile de porter à la connaissance de nos lecteurs et lectrices ce que la partie soviétique et russe nous renseigne sur une Algérie sous l’emprise de cet URSS de l’après XIXe Congrès du PCUS, dont Larbi Bouhali et le PCA se sont abstenus de prendre partie avec les deux puissances communistes
Le premier texte est un article publié par le professeur Evgeny Maksimovitch Bogucharsky (1937-2015), ancien fonctionnaire diplomatique au consulat de Russie à Annaba et ayant auparavant travaillé au ministère des AE de 1962 à 2001 et fin connaisseur des politiques du Moyen-Orient et de l’Afrique. En 2008, il publia dans la revue académique Histoire Nouvelle et Contemporaine, n° 3 son étude sur l’URSS et l’Algérie des années 60-70. Les deux autres, sont des ouvrages respectivement parus en 2008 et en 2013 et traitant de la « guerre secrète » de l’Union soviétique dans certains pays du monde, dont l’Algérie et la coopération économique et militaire entre l’Algérie et l’URSS de 1960 et 2000.
Dans la Russie actuelle, celle de l’« Eurasisme » d’Alexandre Douguine prenant pied sur celle du social-impérialisme du XXe Congrès du PCUS, fêtera le 5 mars prochain et sans scrupule, le 70eme anniversaire de l’assassinat de Joseph Staline.
Le 15 février courant et depuis 1989, on commémore la «Journée du souvenir» des Russes qui ont accompli leur « devoir officiel de soldats en dehors de la patrie ». En Algérie, ils étaient 100 militaires soviétiques à apporter, entre 1962 et 1964, l’aide nécessaire à la jeune Algérie souveraine « à déminer son territoire et éliminant les conséquences d’une longue et sanglante lutte pour son indépendance politique ».
Avant l’arrivée des spécialistes soviétiques du déminage, l’Algérie avait demandé l’aide de la RFA, la Suisse, la Suède et l’Italie pour éliminer les mines antipersonnelles de ses frontières à l’est comme à l’ouest. La réponse attendue est celle du refus des trois premiers et la proposition d’une société italienne d’effectuer l’opération au prix de 2 milliards de francs de l’époque.
Le 11/10/1962, la première équipe des démineurs soviétiques arrive sur le terrain. Le 12/6/1962, venant de Nikolaïev (auj. Mykolaïv, Ukraine) à bord du navire-cargo Fastov accostera au port d’Annaba et à son bord 07 spécialistes de déminages, 15 tonnes d’explosifs, des chars avec chaluts T-34, des véhicules spécialisés et des équipements du génie militaire.
1,5 million de mines neutralisées
Au milieu des barrières des lignes Challe et Morice, entre les systèmes qui comprenaient des rangers de fils barbelés de 3 à 12 mètres de large électrifiés, des champs de mines anti-personnel entre eux, doublés de champs de mines sans fils, les soldats soviétiques atteignaient des profondeurs de 3 à 15 km le long de le long de la frontière algéro-tunisienne sur une étendue de 800 à 900 km et à l’ouest du pays, sur une frontière algéro-marocaine de 1200 km. A chaque kilomètre du front, ils étaient face à 20 000 de ces engins de la mort.
Les cartes d’état-major disponibles entre les mains des Algériens n’étaient pas aussi précises rendant la reconnaissance du terrain nettement aléatoires. Sur ces champs d’enfer, il y avait des mines à fragmentation sautante, celles à action de terrain et celles à pression. Des françaises type ARMB et des américaines M-2, M-3 et M-2A2. Le cauchemar de cette « guerre écologique » durera jusqu’à 2018. La nouveauté pour eux, remarquaient les officiers soviétiques, étaient les mines à boîtier en plastiques difficilement repérable et elles étaient bien de fabrication française.
A Maghnia cette fois, le gouvernement soviétique envoie, le 16/11/1962, un groupe opérationnel de 10 officiers du génie militaire dirigeait par le lieutenant-colonel Vladimir Pakhomov afin d’élaborer un travail de reconnaissance de la région en compagnie du lieutenant Anatoly Ulitin, tout deux de la 5e Brigade du génie des gardes de Kaliningrad, à l’époque stationnée à Rostov. Il faut noter que la plupart des officiers soviétiques étaient des Héros de l’Union Soviétique durant la Grande guerre patriotique antifasciste.
Le 9/1/1963, des chars-démineurs T-34 et T-55 arrive fraîchement d’URSS avec un second groupe de soldats soviétiques sous le commandement du lieutenant V. Kravchenko et en deux semaines ils débutèrent les travaux expérimentaux de déminage sélectif dans une des régions de Maghnia.
A Moscou, la Direction générale du génie de l’Armée soviétique mena un labeur acharné afin de sélectionner et constituer les deux groupes de 50 militaires qui allaient mener cette délicate et infernale opération. Constitués de volontaires de différentes régions militaires de l’URSS, ils arriveront par des vols de la compagnie Aeroflot afin de faire vite et à travers une escale à Sofia (Bulgarie). Rappelons que les militaires du génie du déminage étaient les premiers militaires soviétiques à mettre leurs pieds sur le sol algérien.
Après avoir déminé quelque 12 000 ha de terres agricoles et forêts, le 11/12/1963 restera une date funeste dans l’histoire militaire algéro-soviétique, le caporal Nikolaï Stanislavovitch Piaskorsky, originaire de Vinnytsia (Ukraine) laissera sa vie après réussi à détruire plus de 10 000 mines dont plus de 300 à fragmentation sautante extrêmement dangereuses. Noble sacrifice d’une amitié que les nationalismes panislamiste et panslaviste tendent à réduire en une « Guerre secrète » qui aurait été menée durant une guerre inter-impérialistes dite froide.
Mais, après avoir atteint leur programme de déminage partiel, les démineurs soviétiques ont légué l’ensemble de leur matériel aux groupes de démineurs algériens qu’ils ont formés sur le terrain, mieux encore, de 1962 à 1965, nombreuses structures militaires délaissées par la France et l’OTAN ont été vite réhabilités à travers un programme de rééquipement et de réorganisation de l’ANP, notamment à Batna et Téleghma (une ancienne base aérienne de l’US Air Force) peut-on apprendre aujourd’hui.
Ils étaient 10 367 militaires soviétiques
En parcourant les textes de Evgueny Maksimovitch Bogucharsky (1937-2015), un académicien et ex-fonctionnaire des AE de 1962 à 2001, de ceux d’Alexandre Okorokov et d’Andreï Alexandrovitch Tokarev, nous apprenons que durant les années 1960-1961 quelques 300 experts militaires soviétiques ont participé à l’encadrement de l’ALN des frontières et spécialement dans la lutte contre les actions des parachutistes français et ceux de la Légion étrangère. Certains militaires soviétiques auraient même conduit des opérations à l’intérieur du territoire algérien durant cette période.
Tokarev, chercheur auprès de l’Institut des études Africaines de l’Académie des sciences de Russie et colonel de réserve, écrivait qu’entre 1962 et 1964, 411 soldats et sous-officiers étaient présents dans le cadre du service militaire soviétique et que 437 généraux et officiers ont visités l’Algérie. A l’instar de la présence militaire française, et à travers elle l’OTAN, l’URSS n’envisagea à aucun moment de demander à ce qu’il ait une installation militaire sur le territoire algérien.
Entre 1962 et 1972, les militaires soviétiques avaient contribués à la mise en place de l’école des cadets de Koléa et aux écoles de la défense aériennes de Laghouat et celle de Réghaïa, en passant par les différents centres d’instructions et contribuant largement à l’élaboration de différents types d’exercices et à la formation des officiers d’état-major. L’Algérie et conformément aux accords militaires signés en 1975, l’URSS avait fourni quelques 500 millions de dollars d’armes en 1977 et qu’en 1978, le budget alloué au matériel soviétique augmentera de 300 millions de dollars supplémentaire.
Cette coopération algéro-soviétique, jusqu’au morcellement de l’URSS avait laissé derrière elle d’autres victimes. Cette fois parmi les pilotes de l’aviation de combat où l’on cite qu’en 1975 le pilote-instructeur Geliy Kirov, originaire de Kharkov, trouva la mort à bord d’un MiG-17 durant un tir de combat sur des cibles au sol à une altitude extrêmement basse. De même, pour le commandant-adjoint Alexandre Gennadievitch Verchinin qui s’écrasa avec son MiG-21 un 15/2/1992. Ils étaient 34 militaires soviétiques à mourir pour une Algérie qui les a totalement ignorés.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.