Site icon Le Matin d'Algérie

L’Algérien, entre le rêve annoncé et le cauchemar assuré

TRIBUNE

L’Algérien, entre le rêve annoncé et le cauchemar assuré

Ça y est. La campagne est lancée. Le peuple est sollicité. 

La rue arrache le portrait et les manifestants, nombreux et partout, ne sont plus dans l’émeute, Makri nous vend le «rêve algérien», Sellal réplique par une formule magique « le candidat Bouteflika va concrétiser son rêve ». Le peuple sait qu’il ne rêve plus depuis la nuit des temps, tout ce qu’on lui a promis s’est transformé en cauchemar. Un avant-goût lui a été servi ce jeudi 21 février, veille des grandes manifestations prévues, Internet leur a été coupé ou perturbé.

Personne ne peut oublier cette fumisterie boumedienne qui consistait à vendre aux algériens un cauchemar en rêve : l’Algérie sera le Japon de la Méditerranée. Il y avait aussi ces grands mensonges chadliens qui nous promettaient une «vie meilleure» et des «réformes hamrouchiennes».

L’encore vivant a exigé des Hommes d’Etat et constitué des Commissions sur la justice, la police et même l’armée. Ces commissions se sont conclues en monnaies sonnantes et trébuchantes, pots-de-vins, corruption et transferts illégaux de fortune.

Pour apparaître courageux et fidèles au serment, tous convoquent Novembre, l’histoire, les hommes et les femmes qui ont combattu pour la libération du pays. Pourtant, le peuple sait que Libération n’est pas Liberté, que le 18 avril n’est pas le mois de Novembre, que Abane, Ben M’hidi, Ali la Pointe, Hassiba et le petit Omar sont morts et bel et bien enterrés. Tous se réclament du peuple et chacun se trouve des troupes. Méfions-nous.

Le corps électoral est aussi convoqué pour voter et choisir le corps présidentiel qui lui conviendrait le mieux pour les cinq prochaines années. Il se trouve que le corps présidentiel « favori » est malade. Le peuple le sait parce qu’il ne le lui a pas caché et il le lui a même rappelé dans sa lettre de continuité. C’est chose entendue. Un malade ne peut être compris que par un plus malade que lui. Qu’en est-il alors des maladies du corps électoral, en un mot du peuple ?

D’abord, le peuple algérien forme-t-il une société, une collectivité qui présente les mêmes attributs et qui partagent les mêmes valeurs : y-t-il des mœurs algériennes, des usages algériens, une opinion publique algérienne, un pouvoir public algérien, avons-nous eu un temps pour la responsabilité devant toutes les corruptions, a-t-il marché pour Sonatrach, pour des journalistes et des lanceurs d’alerte emprisonnés ?

A bien regarder de près, il n’en est rien. Si la géographie seule nous unit, alors sur toute sa surface triomphe aujourd’hui un algérien qui donne collectivement le morne aspect, la monotonie que prend la vie en Algérie et juge indécente la minorité parce que différente.

Nous savons que le peuple algérien est composé majoritairement de jeunes et de 50/50 de femmes et d’hommes. Dans cette subdivision d’âges et de genres, nous distinguons la populace du grand nombre et le reste plus restreint. Le meilleur moyen de prendre contact avec cette majorité est de nous reporter à une observation visuelle de notre temps présent. Un de ses traits le plus caractéristique, le plus frappant est l’anarchie.

Une populace quantitative et visible à longueur de journées en errance et en déshérence qui fait le plein des villes au point que son seul problème est de trouver de la place.  Cette populace, la majorité, correspond à la foule, le ghachi et la foultitude de gens qui traînent la savate, emplissent les cafés, errent dans les rues, battent les trottoirs ou font les hittistes. Des badauds et des regardeurs, bouches bée et grandes ouvertes pour un logement, un couffin, une prime et même un casse-croûte au cachir. Ces gens-là ne lâchent rien.

Dans leur vide intérieur, ils sont dans toutes les manifestations mais ils ne manifestent pas. Se sachant médiocres et vulgaires, ils ont l’arrogance de revendiquer les droits de la médiocrité et de les imposer partout. Ce sont de petites gens qui, dans une étroite servitude, s’assurent leur substance, gèrent leur bouche d’après la cagnotte et ainsi rendues capables de « changer de veste au gré du vent ».

Si une alliance ou un oligarque leur offre la bourse, ils accourent, braillent, crient ce qu’il leur a été ordonné, c’est l’assurance de longévité d’un Sellal et sa cohorte de mercenaires ou d’un Tliba et sa meute de fortunés sans cause. Si un autre leur promet le paradis, la Mecque et l’Omra, rêve de toute cette majorité, ils s’y bousculeront. Ils ne se sentent aucune obligation, aucun devoir et ne craignent que Dieu. Ils ne manquent aucune prière et le Vendredi ils ne rateront pas la grande prière. Prions que l’imam les sermonnera de remplir leur devoir électoral.

Les jeunes qui ont la chance de recevoir une prime à l’irresponsabilité par l’effacement de leur dette de toutes parts seront les premiers aux urnes. Les autres, dans leur désespérance, seront entraînés pour espérer les mêmes complaisances. Les femmes sont absentes, elles n’existent plus sauf déguisées en femmes de ménage. Elles sont la fausseté en bonne conscience, elles délègueront leur mari, leur frère, leur oncle ou leur grand’mère. Elles savent qu’elles ne comptent plus autant en confier le compte à d’autres plus aptes à négocier. 

Les vieux, un pied ici, un pied dans l’au-delà, par habitude, par lassitude ou par ennui, fermeront le cercle de cette majorité du peuple. Sont-ce ceux-là qu’ils appellent leur troupe ?

Ailleurs, il est dit du peuple la «majorité silencieuse» parce qu’il est attendu pour parler. Chez nous, il est si bruyant et si assourdissant qu’il est devenu sourd et aveugle de ce qui se trame en son nom.  Il ne sait pas ce qui se passe dans son pays et ce qui se produit en réalité. Est-ce que cette majorité du peuple peut ouvrir d’autres possibilités, rejoindra-t-elle la minorité en marche ? J’y crois en donnant de l’exemplarité.

J’ai écrit plus haut : la majorité d’abord. Quel est l’ensuite de ce d’abord ? Ce reste restreint, non pas le cercle de Zéralda mais tout le hors cercle, ce grand nombre ou cette proportion importante du peuple appelée la « minorité agissante ». Elle n’est pas foule, elle est individualité, généralement regroupée dans des centres d’intérêts associatifs ou producteurs de services et de biens. Ces membres prennent la peine de recueillir des avis, participent à des débats, se mettent en cause et partagent quelques idées.

Pour se faire minorité, ils se séparent du peuple non pas par détestation mais par évitement de ces bruissements tout en sachant qu’une belle proportion de lui, devant l’exemplarité, n’hésitera pas à venir grossier ses rangs. Elle recèle des chômeurs dans l’action, des harragas plus jamais candidats au suicide, des fonctionnaires qui refusent la fraude, des policiers et des soldats qui rangent leurs armes.

En un mot, ceux qui comptent en paroles et en actes. Ils sont aussi des employés du public et du privé, entrepreneurs, avocats, écrivains, journalistes, opposants, boycotteurs, émigrés en Europe et aux Amériques, tous ceux qui ont bravé l’interdit et ont manifesté leur vrai désir de vivre.

Cette minorité de tous âges et de toutes catégories veut construire l’avenir du monde parce qu’elle n’est qu’une partie du monde ni en dehors ni en marge. C’est elle qui a pris la responsabilité de produire l’événement et qui veille à son exécution.

A l’instant, ils scandent simplement « non au 5ème mandat », qu’il se retire ce prétendant et ils se tairont pour s’occuper utilement à se reconstruire et à rebâtir un pays laissé en friches. Et tant pis s’il ne se retire pas car, assuré de la victoire honteuse, il sera le mal élu et notre élan dépasse de loin ces lendemains.

Grâce à cette minorité, nous assistons à une véritable réjouissance de toutes les possibilités et nous retrouvons la réalité historique qui est bien avant le politique, celle d’un vrai désir de vivre, d’une volonté de changement et d’une grande résolution de poursuivre notre marche jusqu’au bout.

Auteur
Dahmane Chadli

 




Quitter la version mobile