Vendredi 24 novembre 2017
« L’Ane d’or » d’Apulée et la culture berbère
Ces dernières années, un intérêt accru est accordé à Apulée par le « monde » littéraire berbère pour son récit, Les Métamorphoses ou L’Ane d’or. Les origines berbères d’Apulée constituent la motivation principale de cet intérêt. La littérature berbère, qui se développe relativement bien depuis quelques années, est en quête de repères et de mythes et de textes fondateurs ; les origines de l’auteur de L’Ane d’or représentent une opportunité tentatrice pour la construction, au niveau mythique, d’une identité à la littérature berbère, notamment dans son expression romanesque.
L’étude présente de L’Ane d’or interrogera l’inscription générique de ce récit, son rapport, et son apport, à la civilisation berbère (à travers les références à cette civilisation). Les quelques éléments biographiques existants de l’auteur apporteront aussi des éclairages à l’inscription générique et identitaire de ce texte.
Inscription générique
Les premiers mots de L’Ane d’or sont révélateurs de l’intention de l’auteur : « Je veux ici coudre ensemble divers récits du genre des fables milésiennes. » (Ed. L’Odyssée, 2009, p. 7) Apulée veut « assembler par un fil » divers « contes extravagants ». L’auteur ne propose pas au lecteur (auquel il s’adresse ici) un recueil de récits mais un récit long construit d’un assemblage de récits plus courts. Il n’a pas la volonté seulement de rassembler des récits mais de les relier avec « un fil » : c’est la pertinence de l’usage du verbe « coudre » dans cet incipit. Ce fil conduira le lecteur dans le déroulement de l’histoire de ce récit.
Dans cette première phrase du texte, l’auteur annonce aussi que les récits cousus par lui appartiennent au « genre des fables milésiennes », c’est-à-dire des contes extravagants. Ce qui est logique pour « un amateur du merveilleux ». (p. 25) Le merveilleux est essentiellement dans la mythologie dans ce récit.
Le récit d’Apulée se caractérise aussi par une dimension érotique comme les contes d’Aristide Milet (Conte milésiens). On y trouve des descriptions érotiques de moments d’amour de Lucius avec Pothis, avant sa métamorphose (p. 29-31 ; 34-35), et avec une dame « de haut parage » qui soudoie un gardien pour faire l’amour avec lui lorsqu’il est « âne ». (210-212) Cette pratique zoophilique est du goût du maître, voyeur aussi, qui a l’idée de faire profiter le peuple d’un tel spectacle en « donnant » à Lucius «une malheureuse condamnée aux bêtes » pour assassinats ; mais Lucius s’enfuit avant le spectacle. D’autres ébats amoureux sont décrits, avec plus ou moins de développement, comme ceux (homosexuels) d’une bande qui avait acquis un moment Lucius (p. 164, 166, 167) ou ceux de quelques amours, adultères dignes du vaudeville, rapportées dans quelques histoires du récit par l’âne Lucius dont la curiosité lui fait découvrir même des choses cachées ou discrètes (on ne se méfie pas d’un âne).
Même si Apulée puise dans la tradition orale comme il le dit, il innove dans la forme en « enfilant » les récits dont une partie est de son invention. Si on peut trouver des marques de l’oralité dans son écriture, comme les épreuves que subit Psyché ou les fins heureuses des récits qui rappellent celles que subissent les héros des contes merveilleux, il y a un travail qui est fait par l’auteur pour « ré » inventer l’écriture romanesque, dans sa forme primitive, comme l’a fait Pétrone, un siècle environ plus tôt avec Le Satiricon et, sans doute, d’autres auteurs dont les œuvres n’ont pas eu les honneurs de la postérité. Ainsi, les personnages de L’Ane d’or, la structure du récit et sa longueur ou les digressions que constituent parfois les récits secondaires constituent des espaces du texte où l’auteur a beaucoup apporté à la « ré » invention et à l’évolution de l’idée du romanesque et du roman à son époque.
Narration
Pour « coudre » ses histoires, Apulée procède à un certain nombre de débrayages et embrayages dans son récit. A chaque débrayage, apparaît un narrateur qui raconte une histoire qui s’ajoute au récit principal des aventures de Lucius, dans sa figure humaine ou asinienne. Ces narrateurs sont désignés par des noms propres, Aristomène (p. 9) et Télyphron (p. 37), ou par des noms communs, un voleur (p. 80), une « jeune fille » qui se révélera par la suite comme s’appelant Charité (p. 80), une vieille femme au service d’une bande de voleurs qui sera aussi nommée « vieille radoteuse » (p. 82) et un jeune serviteur de Charité (p. 147).
Lorsque Lucius donne la parole à Aristomène, au début du récit, ce dernier nous entraîne dans un monde de métamorphoses. Cela permet à Lucius, et à Apulée par la même occasion, de montrer, de prime abord, que sa passion de la magie était partagée par d’autres sujets. Ce moment sert aussi à introduire le lecteur dans l’univers de la magie et des métamorphoses. Aristomène raconte sa rencontre avec le célèbre philosophe Socrate dans une situation qui rappelle une aventure du légendaire Ulysse, héros de L’Odyssée d’Homère. Méroé, qui retient Socrate, est prostituée et magicienne : elle se compare à Calypso abandonnée par Ulysse ! Ainsi, même ce grand philosophe a « vécu » la magie et la métamorphose dans cette fiction, ce qui peut « crédibiliser » cette pratique aux yeux du lecteur. Et ce récit est raconté par Aristomène, un nom porté par un « chef semi-légendaire des Messéniens, héros de la résistance contre Sparte ». (Larousse)
Certes ces histoires insérées dans ce récit sont différentes, au niveau des thèmes et de la longueur, mais elles sont racontées par des personnages secondaires et ont les mêmes liens : Lucius et les métamorphoses.
L’auteur n’use pas de l’enchâssement pour relier ses histoires, comme une table gigogne (ainsi que dans Les Mille et une nuits), mais de « l’enfilade » comme pour fabriquer un collier. La métamorphose de Lucius en âne ne change rien au procédé.
Références civilisationnelles
La culture d’Apulée devait représenter un atout certain pour la production de L’Ane d’or. Il était le fils d’un homme riche qui avait exercé les fonctions de duumvir (membre d’un collège de deux magistrats dans l’administration romaine antique) : cela lui a permis d’acquérir une instruction latine à Madaure avant d’aller poursuivre ses études à Carthage puis à Athènes. C’est cette culture plurielle qui lui sert pour les références civilisationnelles dans son récit.
Dès le premier paragraphe du récit, Apulée parle du monde de référence de son histoire : « Tout est grec dans cette fable ». (p. 7) Certes, la Grèce et sa culture dominent le récit mais il y est aussi fait référence à Rome et à l’Egypte. Les personnages, la géographie, la mythologie et l’intertextualité représentent des éléments d’analyse intéressants.
1/ Personnages
Dès le premier paragraphe du récit, Apulée parle des personnages de sa fiction : « Vous verrez mes personnages, ô merveille ! Tour à tour perdre et reprendre, par l’effet de charmes opposés, la forme et la figure humaine. » (p. 7) Lucius, le personnage, et narrateur, principal du récit subit une métamorphose : il devient un âne qui vivra quelques aventures qu’il contera aux lecteurs. Lucius est victime d’une erreur de potion magique. La déesse Isis le rétablira dans sa forme humaine vers la fin de l’histoire.
La place de la magie est très importante dans le récit ; elle a aussi été importante dans la vie d’Apulée. La magie permet de réaliser des métamorphoses. Apulée fait « revivre » dans son récit le philosophe Socrate qui sera victime de la magie d’une prostituée, Méroé. Aristomène, rencontré par Lucius, lui raconte sa rencontre avec le philosophe qui subira une métamorphose. Le choix de cette figure montre l’intérêt de l’auteur pour la philosophie. D’ailleurs, dès la première page, on apprend que Lucius descend de la souche de « l’illustre Plutarque et son neveu le philosophe Sextus ». (p. 7)
En plus de ceux du récit, Apulée cite des personnages de littérature comme ceux des poèmes homériques : Ajax, Ulysse ou Stentor (pour sa célèbre voix). Ces personnages légendaires se mêlent aux personnages divins dans la littérature gréco-romaine qui avait nourri l’esprit de l’auteur. On retrouve des personnages de cette catégorie dans L’Ane d’or : Jupiter, Cupidon, Vénus, Isis, Psyché, etc. Cette dernière divinité subira une transformation extraordinaire : humaine, elle deviendra divinité par la volonté de Jupiter, le dieu des dieux.
Dans les récits mythiques, les dieux font subir des métamorphoses aux humains comme dans un cas évoqué dans ce récit : « Au travers du feuillage, on voit se dessiner la figure d’Actéon, déjà cerf à moitié. Il jette, en tournant la tête, un regard furtif sur la déesse, et guette l’instant où elle va se mettre au bain. » (p. 27) Pour ce chasseur mythique de Thèbes, c’était le prix à payer pour avoir surpris la déesse Artémis dans son bain. Dans les légendes mythologiques, des divinités prennent des formes et figures humaines pour séduire des femmes et des hommes et partager leurs couches, d’où la naissance de nombreux demi-dieux.
2/ Repères spatiaux
Les personnages et divinités de ce récit réfèrent aux civilisations gréco-romaine et égyptienne. Ils évoluent dans des espaces qui relèvent de la réalité géographique ou de la mythologie de ces civilisations.
Des cités sont des espaces où se déroulent les événements des histoires du récit ou sont seulement évoquées comme le sont des lieux, des pays ou des régions. A titre d’exemples, pour la civilisation gréco-romaine : les villes d’Athènes, de Corinthe ou de Rome ; les iles d’Egine, de Samos ou de Sicile ; la Thessalie ou la Béotie ; Tullianum (prison de la Rome antique) ou l’Aréopage ; etc. Pour l’Egypte ancienne, il y a Thèbes, Memphis, Coptos, Paros et le Nil. Pour l’Afrique du nord, Carthage est évoquée lorsqu’il est question de l’allusion à Tanit, la divinité libyco-carthaginoise. L’auteur évoque aussi Madaure (ville de l’Est algérien, Mdaourouch) d’où est originaire Lucius (c’est aussi la ville où est né Apulée).
Des espaces propres à la mythologie occupent une place dans ce récit : Olympe, Ida, Tartare, etc. Il faut des espaces pour toutes ces divinités et personnages mythiques qui peuplent Les Métamorphoses d’Apulée.
3/ Mythologie
Dans Les Métamorphoses, Apulée convoque, invoque et évoque la mythologie gréco-romaine de façon très importante. La mythologie égyptienne occupe une place intéressante dans ce récit. La désignation des divinités se fait, essentiellement, dans la « version » romaine. Une connaissance minimale de ces mythologies est indispensable à la lecture de cette œuvre d’Apulée.
Les divinités gréco-romaines qui peuplent ce récit sont nombreuses. Il y en a qui sont seulement évoquées (Adonis, Bacchus, Pluton, etc.). D’autres sont invoquées comme Isis, Junon ou Cupidon. Il y a des divinités qui évoluent comme des personnages dans certains récits (Jupiter, Cupidon, Isis, etc.). Il faut rappeler que pour communiquer avec les humains, les divinités recourent aux oracles. Mais lorsqu’une divinité est séduite par un humain, il n’est plus besoin d’oracle pour aimer et procréer, et leur progéniture constitue la catégorie des demi-dieux comme Hercule et Persée, par exemple. Ainsi, dans ce récit, avant de devenir déesse, Psyché partage l’amour et le lit de Cupidon.
L’histoire de Psyché, racontée par la « vieille radoteuse » (p. 122), est fondatrice pour cette légende mythologique dans la littérature écrite. Cupidon, le dieu de l’amour, est séduit par cette fille de roi dont la curiosité et les manipulations de ses sœurs jalouses lui feront vivre des moments et des épreuves très difficiles avant qu’elle ne retrouve son amour divin. Elle finira par être immortalisée par Jupiter qui en fait une déesse. Ce mythe nourrira la littérature, les arts, la psychanalyse ou la psychologie.
La mythologie égyptienne n’occupe pas autant d’espace textuel que la gréco-romaine mais elle est importante pour le dénouement de l’histoire. C’est Isis qui va délivrer Lucius de sa forme animale : « Voilà Lucius délivré de ses maux, Lucius, par la grâce de la grande Isis, vainqueur du sort. » (p. 232) Elle l’engage à s’initier à sa religion et à la servir. Isis n’est pas seulement évoquée ou invoquée ; elle est comme un personnage de ce récit. Le « souverain dominateur » Osiris est le frère et l’époux d’Isis, comme Jupiter l’est pour Junon (p. 110). Osiris, lui, apparaît dans un rêve à Lucius et l’engage « à persévérer intrépidement dans la glorieuse carrière du barreau ». (p. 244) Apulée évoque aussi une autre divinité égyptienne, « le grand Sérapis ».
Pour Apulée, les divinités sont les mêmes sous tous les cieux ; elles sont seulement désignées sous d’autres noms : « Pour la race primitive des Phrygiens, je suis la déesse de Pessinonte et la mère des dieux ; le peuple autochtone de l’Attique me nomme Minerve Cécropienne. Je suis Vénus Paphienne pour les insulaires de Chypre, Diane Dictyme pour les Crétois aux flèches inévitables. Dans les trois langues de Sicile, j’ai nom Proserpine Stygienne, Cérès Antique à Eleusis. Les uns m’invoquent sous celui de Junon, les autres sous celui de Bellone. Je suis Hécate ici, là je suis Rhamnusie. Mais les peuples d’Ethiopie, de l’Ariane et de l’antique et docte Egypte, contrées que le soleil favorise de ses rayons naissants, seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de déesse Isis. » (p. 225-226) Ces lieux élus par Isis sont suggérés dès la troisième page du récit : « Je jure, par ce divin soleil qui nous éclaire, … » (p. 9) Isis est aussi celle « que l’altière Carthage, aux opulentes demeures, honore sous les traits d’une vierge traversant les airs avec un lion pour monture ». (p. 110-111) Même si Apulée ne nomme pas cette déesse, et quelle que soit la représentation qu’il en fait, la divinité carthaginoise qui a des attributs similaires à ceux de Junon est Tanit, qui est désignée sous le nom d’Astarté par les Phéniciens. Tanit était autant vénérée par les Puniques que par les Libyques.
Intertextualité
Le récit d’Apulée renvoie à des civilisations : des littératures, des mythologies et, sans doute, des arts ont nourri l’esprit de l’auteur et son imaginaire créatif.
Apulée évoque le passage de l’oralité à l’écriture en quelques endroits du texte. Des pièces de la littérature orale, des fables comme le répète Apulée dans son récit, sont ainsi transcrites, écrites ou réécrites. A propos d’un « Chaldéen qui invite au secret des destinées », Lucius dit : « Moi-même, je l’ai consulté sur mon voyage, il m’en a dit long. Le merveilleux s’y trouve, et la variété aussi. C’est toute une histoire ; une histoire merveilleuse en vérité, et qui, à l’en croire, fournira matière à plus d’un livre. » (p. 32) Lorsque « la vieille radoteuse » finit de conter l’histoire de Psyché à Charité, Lucius, dans sa forme asinienne, regrette « amèrement de n’avoir ni stylet, ni tablettes, pour coucher par écrit cette charmante fiction ». (p. 122) Heureusement qu’Apulée est là pour le faire ! A la mort tragique de Charité, un de ses jeunes serviteurs qui vient pour raconter l’histoire de cette fin tragique dit : « Pour un plus habile et doué du talent d’écrire, il y aurait un livre à faire de l’aventure que je vais vous conter. » (p. 147) En parlant d’une de ses aventures, le narrateur dit : « Dans l’intérêt de mes lecteurs, j’en consigne ici le récit. » (p. 197) Ces exemples montrent, chez l’auteur, une conscience du passage de l’oralité à l’écriture dans un monde, et à une époque, où la tradition orale dominait le monde. Ces histoires ou fables, anecdotes et métamorphoses « enfilées » dans ce récit ne sont pas toutes identifiées : des pièces, souvent anonymes ou collectives, migrent d’un pays à un autre, d’une langue à une autre, d’une culture à une autre, avec des variations. Ce n’est pas évident d’authentifier l’origine de ces éléments de la tradition orale et de la mythologie.
Il y a évidemment des éléments du texte d’Apulée qui réfèrent à des pièces identifiées de la tradition orale, comme les chants d’Homère. Méroé se compare, et compare Socrate, à des personnages des récits d’Homère : « Et moi, nouvelle Calypso, je n’aurai plus à pleurer dans un veuvage éternel la perfidie et l’abandon de cet autre Ulysse. » (p. 14) Le « brave Chaldéen » qui raconte ses aventures fait une comparaison avec l’Odyssée, d’Ulysse et de ses compagnons, racontée par Homère : « C’est une autre Odyssée » (p. 33) En parlant d’une représentation de la montagne Ida, là où est né Zeus qui y a aussi passé son enfance, Apulée est explicite au sujet de cette « connexion » avec l’œuvre d’Homère : « On voyait une montagne en bois d’une structure hardie, représentant cet Ida rendu si célèbre par les chants d’Homère. » (p. 217) Pétrone aussi cite et renvoie à Homère dans le Satiricon.
Antérieurement à son histoire dans Les Métamorphoses d’Apulée, la légende de Psyché figurait dans des représentations artistiques et, sans doute, la tradition orale. Le texte d’Apulée va nourrir les créations littéraires et artistiques postérieures, la psychanalyse ou la psychologie. Dans le Satiricon de Pétrone, c’est une servante qui porte le nom de Psyché.
Le titre de l’ouvrage d’Apulée, Les onze livres des métamorphoses, n’est pas sans rappeler le célèbre livre d’Ovide, Les Métamorphoses, publié quelques siècles plus tôt. Ovide ne parle pas seulement de métamorphoses de quelques personnages, mythiques ou non ; il parle des métamorphoses du monde, de l’univers, de divinités, etc. Dans ce livre, Ovide n’est pas dans le romanesque comme Apulée même s’il est dans le récit.
Le rapport de L’Ane d’or d’Apulée avec Lucius ou l’âne Lucien de Samosate (https://www.arbredor.com/ebooks/Lucius.pdf) et La Luciade ou l’âne de Lucius de Patras (https://www.yumpu.com/fr/document/view/16819104/la-luciade-ou-lne-de-lucius-de-patras-avec-le-texte-grec-revu-) est très étroit. Les deux derniers récits sont des versions beaucoup plus courtes que le premier avec une partie du discours qui est identique. On peut supposer que cette histoire fait partie du patrimoine oral grec et que ces auteurs l’ont (ré) écrite. On peut aussi supposer que l’un des deux récits, au moins, a inspiré Apulée, à condition qu’il soit antérieur au sien.
Le récit d’Apulée diffère de ceux de Lucien de Samosate et de Lucius de Patras dans l’amorce et le dénouement de l’histoire. D’autres différences, remarquables, se trouvent au niveau de la place qu’occupent la mythologie gréco-romaine et la référence à la mythologie égyptienne chez Apulée qui y a aussi fondé le mythe de Psyché dans la littérature écrite. L’écriture ce dernier, sa narration, son imagination et sa composition ont fait de cette histoire un récit qui peut se revendiquer du romanesque, même si c’est dans une forme primitive. Les « touches » d’Apulée ont imprimé à ce récit ses marques de littérarité écrite et d’universalité : la postérité de L’Ane d’or en est la preuve.
Conclusion
Lorsqu’Apulée avait rédigé son récit, au deuxième siècle, le roman comme genre littéraire n’existait pas. L’auteur parlait de coudre des fables, de rédiger des contes milésiens ; il parlait aussi du merveilleux (qui caractérise surtout les contes). Il est indéniable qu’Apulée, tout comme Pétrone, au premier siècle, avaient amorcé l’idée du roman. Leur influence sur le roman occidental est reconnue comme le dit Henri Coulet dans Le Roman jusqu’à la révolution (1967) : « Ni le Satiricon de Pétrone, ni L’Ane d’or d’Apulée n’avaient été ignorés du Moyen Age ; leur influence sur le roman réaliste français est certaine. » (p. 101) Ces auteurs anciens ont fait émerger le roman dans sa forme primitive.
Les personnages, la mythologie, l’espace et l’intertextualité montrent que Les Métamorphoses d’Apulée renvoient, essentiellement, à la civilisation gréco-romaine et, dans une mesure moindre, à la civilisation de l’Egypte ancienne à travers sa mythologie. Les seules références à l’Afrique du nord (et au monde berbère) résident dans l’évocation de Carthage, lorsque l’auteur fait allusion à Tanit, et de Madaure, pour dire les origines de Lucius ; cela représente une place quasi-insignifiante au niveau textuel, idéologique ou culturel. Gustave Flaubert, écrivain français du dix-neuvième siècle, réserve une place beaucoup plus importante à Tanit et à la civilisation berbère dans son roman, Salammbô, dont le chapitre V porte le titre de « Tanit ».
Avec Les Métamorphoses ou L’Ane d’or, Apulée a été d’un apport important à la littérature universelle (avec sa contribution fondamentale à l’émergence du genre romanesque) et à la mythologie gréco-romaine (notamment, avec l’institution du mythe de Psyché). La littérature romanesque amazighe semble devoir se contenter des origines berbères de l’auteur !