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L’âne, l’éléphant et le caricaturiste

Souvent on n’est pas à la hauteur de notre instruction. Nous sommes confrontés d’une manière très courante à des mots, des expressions, des situations ou des concepts et nous n’avons pas été rechercher leur sens qu’on a oublié et que la paresse de s’instruire de nouveau nous a empêché de le faire.

Si la première situation est plus excusable que la seconde, néanmoins la curiosité de se ré-instruire doit être perpétuellement en alerte. Un jour, leçon m’avait été donnée pour ne pas l’avoir fait depuis la fin de mes études en sciences politiques.

En séance de travaux individualisés en arts appliqués (ce n’était pas mon cours car si cela l’avait été, l’art aurait disparu de l’humanité), j’ai regardé le travail de l’une de mes étudiantes en option illustration.

Sur la feuille, un dessin de Donald Trump recomposé avec une tête d’éléphant mais reconnaissable. Il s’agissait du concours annuel sur le dessin de presse et nous étions dans l’année des élections présidentielles américaines, celles qui porteront l’éléphant républicain à la fonction de président.

Bien entendu que tous, comme moi-même, savons que les représentations des deux grands partis politiques américains sont l’éléphant pour les républicains et l’âne pour les démocrates. Mais ayant été dans cette situation impardonnable que j’avais précisé dans mon préliminaire, j’ai dû poser honteusement une question à l’étudiante pour qu’elle me « réexplique » la signification.

On croit toujours que les illustrations iconiques sont le fait d’explications hautement philosophiques ou d’interprétation en concepts profonds. Beaucoup comme moi, oubliant les connaissances de leurs études, pensaient se rattraper en interprétant la concordance d’un tel rapport avec la nature et les comportements des deux animaux comme explicatives de la racine idéologique.

La force pour l’éléphant et l’obstination de l’âne, sont par exemple proposées par l’esprit alors que l’explication est souvent prosaïque.

Lorsqu’elle s’est aperçue de mon ignorance en cette affaire, elle m’a asséné un second coup d’humiliation (que je pense être voulu). Elle m’informe que cette représentation animalière est le fait d’un journaliste caricaturiste américain, ancien et très connu. Puis elle me donna le coup de grâce en me disant que le concours portait sur le dessin de presse, ce qui selon elle semblait m’échapper.

Pour ce qui est de l’âne des démocrates, il s’agissait de la caricature du journaliste Thomas Nast, démocrate du Nord, paru dans le Harper’s Magazine en 1870 (les caricaturistes de presse sont considérés comme des journalistes). Lors d’un hommage posthume sarcastique à l’ancien secrétaire de Guerre du président Lincoln pendant la guerre de Sécession, son illustration le représentait comme un lion décédé par les coups d’un âne.

Par la suite, Thomas Nast repris régulièrement l’image de l’âne qui finit par devenir définitivement la représentation du parti démocrate. Il s’illustre une seconde fois (c’est le cas de le dire pour un caricaturiste) avec un autre événement qui va lui faire dessiner l’éléphant du parti républicain, lui aussi répété si souvent par Thomas Nast qu’il en devient la représentation définitive.

Tout débute par un éditorial paru dans le New York Herald en 1874 qui accuse le général Grant de vouloir prétendre à un troisième mandat, ce qui n’est pas autorisé par la Constitution. Une « fake news » qui n’avait comme objectif que celui d’augmenter la vente du journal. Une pratique de Fake news qu’accusera perpétuellement Donald Trump, pourtant républicain, pour être le mensonge de «l état profond » en embuscade pour détruire les grandes valeurs de l’Amérique blanche. C’est assez paradoxal.

Le journal récidive en créant une autre fake news avec une dextérité stupéfiante comme le fera Donald Trump avec les membres de sa secte. Central Park aurait été envahi par des animaux échappés de la ménagerie qui se mettrient en quête de proies à dévorer. Un mensonge grossier qui veut rajouter à la croyance des menaces des démocrates des événements qui accroissent davantage le climat de peur.

Thomas Nast s’empare des deux fausses informations et dessine avec humour une meute d’animaux qui s’acharnent à molester un âne (signe des démocrates) qui se faisait passer pour un lion et qui voulait effrayer tous les animaux « stupides » sur sa route (les républicains).

Parmi ces animaux, on aperçoit un éléphant portant un écriteau « Voix républicaines ». Il reproduit sa caricature plusieurs fois lorsque deux semaines plus tard les républicains échouent aux élections par le piège tendu par les démocrates.

Voilà mes chers lecteurs comment une remarque d’une étudiante peut vous inciter à remettre toujours à jour vos connaissances alors qu’on pense qu’elles sont définitivement acquises. La caricature de l’étudiante avait effectivement un lien direct avec le concours sur le dessin de presse et l’actualité des élections présidentielles américaines.

Comme le dit l’adage : « Faute avouée à moitié pardonnée ». J’espère que les lecteurs m’accorderont cette moitié du pardon. Ma mauvaise foi sur la sincérité de mes excuses m’accordera la seconde moitié.

Boumediene Sid Lakhdar

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