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L’arabité n’est pas une religion

Medghacen

Mausolée des rois amazighs

“Quel pays n’a pas de vieux démons dans ses vieilles caves, quel pays n’a pas ses marchands d’armes et de rêves d’éternité, quel peuple n’a pas dans ses os deux trois gènes cabossés par l’histoire ?” Boualem Sansal, Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller

Le tumulte actuel sur l’identité nationale trouve ses racines loin dans le passé. Il est ravivé aujourd’hui par les propos provocateurs d’un prétendu intellectuel, qui nie avec un aplomb tragique l’une des dimensions essentielles de la population du pays : son héritage amazigh.

Cette manière de piétiner les racines profondes du peuple n’est pas nouvelle. Depuis des décennies, elle est cultivée par les pouvoirs successifs, sous influence idéologique venue d’ailleurs, au fil des alliances et des transmissions d’idées.

Depuis longtemps, le mépris envers les populations berbères est entretenu par des élites formatées sur un modèle exclusivement arabe. Et tandis que les discours d’exclusion prospèrent, des voix courageuses, parmi les plus lucides et éclairées, comme celles de Boualem Sansal, croupissent en prison pour avoir refusé le silence.

Amazighs islamisés, non arabisés

La question de l’identité collective ne date pas d’hier. Bien avant l’indépendance, bien avant même les premiers soulèvements armés, ce débat agitait déjà les rangs du principal mouvement nationaliste. Il s’est vite transformé en crise ouverte, marquant l’exclusion, l’exil et parfois même la disparition de figures engagées dès les premières heures de la lutte pour l’indépendance.

Dans les années quatre-vingt, c’est en prison qu’étaient jetés ceux qui osaient revendiquer l’existence amazighe.

On avait cru, à tort, que l’affaire était enfin réglée avec l’inscription, dans la Constitution, de toutes les composantes de l’identité nationale — amazighe, islamique, arabe — et la reconnaissance officielle de la langue amazighe. Mais voilà que la polémique ressurgit, cette fois autour de l’incarcération d’un simili-enseignant revendiquant une identité berbère distincte d’une conception amazighe qu’il jugeait instrumentalisée.

À titre personnel, ce contexte m’offre l’occasion de remettre en question une vieille formule devenue presque un serment collectif, répétée à l’envi sans qu’on interroge son sens réel. On ne sait plus très bien qui, au départ, en est l’auteur, est-ce Kateb Yacine, mais elle affirme que les habitants de ce pays seraient des Amazighs « arabisés par l’islam ». Cette expression est trompeuse. Elle occulte une vérité plus simple : ce peuple a été islamisé par des Arabes, non pas arabisé.

Ceux qui ont apporté l’islam venaient de la péninsule arabique, mais ils ne venaient pas transformer les Berbères en Arabes. Ils venaient transmettre une religion, non une identité ethnique. La langue arabe fut le véhicule de la nouvelle religion, imposée faute de système d’écriture amazigh reconnu par ceux qui ont envahi leurs terres. Une fois le message passé, il n’y avait pas d’autre projet, ni d’autre ambition.

Ethnie et religion

L’appartenance arabe est une filiation ethnique, fermée, tandis que l’appartenance islamique est une ouverture que les Arabes voulaient universelle, sans distinction de race ou de peuple. Devenir musulman ne signifie pas renier ses origines. Adopter la langue arabe pour prier ou pour transmettre la foi n’a jamais signifié abandonner ses racines. Les Turcs sont restés des Turcs et les Iraniens des Persans. D’ailleurs, à l’échelle du monde, les musulmans sont de plus en plus nombreux, tandis que les Arabes représentent à peine un quart de ce total.

L’arabité n’est pas une religion, et les Arabes ne sont pas les représentants exclusifs du message islamique. Ils ont été dépassés par les ayatollahs et les talibans qui ne sont pas des Arabes.

Beaucoup d’Arabes sont d’autres confessions comme les Coptes en Egypte ou les Maronites au Liban, et certains peuples arabophones, héritiers d’anciennes civilisations, ne sont ni Arabes ni musulmans.

Kamel Bencheikh

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