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L’arme secrète : «Tuez-le, il s’en fout, humiliez-le, il en crève»

 

Boumediene et Valérie Giscard d’Estaing à Alger

Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf, les situations semblables créent des jugements semblables. En traitant les « autochtones » de « bougnols », des «moins que rien », (fainéants-nés, des voleurs-nés, des criminels-nés, des menteurs-nés), la France a fait de l’humiliation et de la soumission des techniques de maintien de l’ordre colonial et néo-colonial.

Durant la période d’occupation, tous les gouvernements français prétendaient faire de l’Algérie une province française (c’est-à-dire « un morceau de la France ») par l’assimilation progressive des indigènes musulmans en commençant évidemment par l’élite. Ils souhaitaient que les indigènes apprennent la langue et la culture françaises. Leur méthode consistait à détacher de leur milieu naturel des « individus » aspirant aux « bienfaits de la citoyenneté française » et jugés dignes de cet honneur. La citoyenneté française contre le renoncement à l’islam. Une « citoyenneté française » liée à un univers culturel propre et à une histoire spécifique que sont la religion catholique romaine et l’histoire du Moyen Age. Sur le plan du droit applicable, il y avait deux collèges ; les indigènes régis par le droit coranique (polygamie, héritage, intérêts prohibés) et les colons européens régis par le droit civil (monogamie, égalité des droits, laïcité).

L’Etat français ne pouvait consacrer une des deux formules, majoritaire dans un cas et minoritaire dans l’autre sans s’attirer les foudres de l’une des parties présente sur le territoire « français », La société algérienne tribale majoritairement musulmane refusa cette politique d’assimilation parce qu’elle ne pouvait pas admettre qu’un musulman préféra la loi française à celle de l’islam et qu’il voulut se séparer de sa communauté originelle pour s’insérer dans une communauté d’emprunt à laquelle il n’est pas préparé. L’assimilation signifiait tout simplement cesser d’être soi-même pour devenir l’autre.

C’était la fusion de l’un dans l’autre ou l’élimination de l’un par l’autre mais jamais la juxtaposition de l’un à côté de l’autre ou la cohabitation de l’un avec l’autre. La nation arc en ciel n’existait pas encore, c’était l’époque de la télévision noir et blanc. L’Algérie devait être soit française soit musulmane. Elle ne pouvait pas être tout simplement algérienne pour des raisons évidentes des deux côtés de la Méditerranée.

L’Algérie plurielle n’était pas à l’ordre du jour, la France de la résistance refusait de voir des turbans ou des noirs dans ses assemblées souveraines. Racisme ou xénophobie ? Dans la  libération, la prospérité et le rayonnement de la France, il y a du  sang, de la sueur, de l’énergie, des neurones, des matières premières africaines.

Les colons français ou européen, chrétien ou juif, minoritaire ne pouvaient se fondre dans la société d’accueil musulmane dans sa grande majorité et l’Algérien ne pouvait renoncer à sa religion sans se trouver exclu de sa communauté d’origine.

Aujourd’hui, ses enfants sont prêts à se prêter au jeu qu’ils soient en terre étrangère ou en terre musulmane. Antérieurement à la présence française, les autochtones ont cohabité avec les juifs, les arabes et les turcs. Durant la colonisation, le culte musulman devait être domestiqué par la France et les dignitaires des confréries et les marabouts devraient être récupérés. Ils seront recrutés comme fonctionnaires de l’Etat français chargés de dire la parole religieuse officielle aux populations locales. Et c’est par la manipulation de la religion musulmane que le colonialisme s’est maintenu et a perduré. La loi de 1905 de séparation de l’Etat et de l’Eglise ne sera pas appliquée au culte musulman. Il sera domestiqué par l’administration coloniale.

La France s’est appuyée fortement sur les tendances rétrogrades de l’islam. L’Etat français conservait le culte musulman sous sa direction. Les clés des mosquées seront confisquées par les fonctionnaires du culte. Considéré comme dangereux et subversif, la France coloniale ne pouvait pas accepter l’islam parce allant à l’encontre de ses objectifs de domination. Pendant plus d’un siècle, l’administration coloniale française va chercher à réduire la place de l’islam ou du moins à atténuer ses effets sur la société.  Il sera encadré et surveillé par l’administration coloniale pour prévenir toute rébellion mais en vain.

L’islam a été toujours le porte-drapeau des mouvements libération des peuples dans le monde arabe. C’est un facteur d’unité de la nation face à l’adversaire étranger et un vecteur de revendication de la liberté face à l’oppression.

Pour les oulémas, l’islam règle tous les problèmes de la vie quotidienne des musulmans. Les « indépendantistes » ne l’entendaient pas de cette oreille. Coupées des masses rurales conservatrices, imprégnés de la culture française, et fascinés par le mode de vie occidental, l’élite nationaliste au pouvoir prit la France comme modèle de la modernité et de progrès.

L’Algérie française a échoué par « l’épée », elle a réussi par « l’esprit ». C’est ainsi qu’au lendemain de l’indépendance, l’islam devait s’effacer de la vie publique pour permettre la construction de l’Etat national, un Etat nation visant à substituer à « l’incertitude ! » de la providence religieuse, la « certitude ! » de la providence étatique comme si la providence se trouvait au sommet de l’Etat et non pas dans le sous-sol saharien.

Cet Etat providence était incarné par un seul homme, feu Houari Boumediene, le chef incontesté de l’armée des frontières et le père de la nationalisation des hydrocarbures. Il est l’architecte d’un système politique militaro rentier ayant « survécu aux événements et aux hommes ».

La première visite officielle d’un Président français dans une Algérie post colonial fût celle Valéry Giscard d’Estaing. Qui s’achevas nous dit-on par cette phrase lourde de sens à l’adresse de président Boumediene « l’industrie en Algérie sera française ou ne sera pas ». Piqua au vif, il décida de se tourner vers le modèle d’industrie lourdes pays de l’est qui qui sera théorisé et mise en œuvre par le duo Sid Ahmed Ghazali et Gérard de Bernis sous le nom « d’industrie industrialisant ».

Le triomphal voyage de Jacques Chirac se fit en réalité sur une double incompréhension. D’un côté, les Français crurent que l’ère de la coopération sans nuages était suffisamment installée pour proposer un « traité de paix » entre les deux pays ; de l’autre, le peuple algérien acclamait celui qui avait vaincu Jean-Marie Le Pen – avec un leitmotiv courant au long du cortège d’Alger, scandé par des millions de voix : « des visas, des visas, des visas  ».

Par la suite, Nicolas Sarkozy avait réussi une belle visite à Alger mais n’a pas réussi à placer la France au cœur d’une « Union pour la Méditerranée » à cause de ses desseins inavoués qui vont se concrétiser par la campagne de Libye décidée par la France et le Royaume-Uni. Elle fût perçue en son temps comme un désastre stratégique par l’Algérie, qui accueillit d’ailleurs une partie de la famille du dictateur déchu.

Les Algériens, arc-boutés contre l’idée d’une intervention internationale en Libye, pensaient qu’une telle action ne manquerait pas d’entraîner une déstabilisation profonde du Maghreb et du Sahel. Mais c’est bien entendu avec la guerre au Mali que les relations franco-algériennes prirent un tour jamais égalé. D’une part, le gouvernement algérien mettait en place un dispositif renforcé pour la sécurisation de la frontière ; d’autre part – fait exceptionnel et historique –, il autorisait l’aviation française à traverser son espace aérien et offrait des facilités en approvisionnement en carburant aux forces terrestres. Depuis la décolonisation, les leaders d’Afrique du Nord, bien différents les uns des autres, se reconnaissaient autour d’une démocratie « relative », d’une lutte acharnée contre les islamistes et d’une confortable exploitation de la rente.

L’effondrement brutal de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi, plongea l’Algérie dans la sidération. Le mouvement toucha bien ce pays, mais après quelques embrasements limités, l’ingénierie sécuritaire algérienne canalisa la protestation. L’usage systématique de la rente aida la population à revenir à l’apaisement, les années de guerre civile pesant encore lourd sur l’inconscient collectif.

Les printemps dits arabes et les déstabilisations, la mondialisation économique et la crise économique et financière ont balayé les certitudes du présent et ouverts la voie aux incertitudes du futur. L’Europe, qui paraissait une force en marche, est désormais désorientée. La crise libyenne a mis le feu aux confins sahéliens.

La campagne de Libye décidée par la France et le Royaume-Uni à partir de mars 2011 fut perçue comme un désastre stratégique par l’Algérie, qui accueillit d’ailleurs une partie de la famille du dictateur déchu. Les Algériens, arc-boutés contre l’idée d’une intervention internationale en Libye, pensaient qu’une telle action ne manquerait pas d’entraîner une déstabilisation profonde du Maghreb et du Sahel.. L’Algérie est à la croisée des chemins, et pour une fois la formule a du sens.

Si l’Algérie ne veut pas un jour rejoindre la longue liste des États défaillants et déstabilisés, elle va devoir se livrer à un examen de conscience profond. Apprendre à savoir où se jouent désormais sa sécurité et son développement : se poser les questions avec qui, avec quoi, pourquoi, et pour qui ? Il y a là aussi une profondeur africaine et une dimension méditerranéenne. Mais si l’ouverture à la prussienne a favorisé une forte internationalisation, et donné un sentiment de dialogue égalitaire avec les BRICS, il faut se donner les moyens.

L’Algérie va sans doute devoir se recentrer sur son espace périphérique. Le lien avec la France en fait partie. Le changement ne fait que commencer. Le chemin est long à pieds, il faut se réveiller tôt pour arriver avant la tombée de la nuit.

Dr A. Boumezrag

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