Les peuples se déchirent dans une concurrence mémorielle, les civilisations s’entrechoquent et les humains nourrissent les mythes et certitudes de leurs philosophies et doctrines.
Chacun assure de l’antériorité de sa puissance, déclare la force de ses valeurs et se persuade de la pérennité de sa trace dans l’histoire.
Cette prétention dans un temps court, à l’échelle humaine, est pourtant balayée par une puissance gigantesque qui le dépasse, le temps terrestre. Rien ne lui résiste, pas même la géographie, le climat, la faune et la flore. Mais encore plus éphémère, les schémas de pensée qui disparaissent pour en laisser place à d’autres, d’un autre monde où l’humanité n’est pas sûre d’exister encore.
Cette chronique du jour veut montrer à quel point nos certitudes ne résistent jamais au temps qui les reformule à sa guise. Ce temps qui efface et nous démontre combien notre arrogance est vaine.
À l’échelle de l’apparition de la vie, l’existence de l’humain est un grain de sable dans l’immensité de tous les déserts du monde. Comme les lois du cosmos et ses composants organiques, le temps se manifeste d’une manière similaire dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand.
Si nous prenons le premier cas, chez un être humain retrouve-t-on à l’identique les certitudes de l’adolescence avec celles des vieux jours ? Assurément pas les mêmes sauf pour des cas résolument marginaux par rapport à une généralité comme la nature sait en produire.
Si nous prenons le second cas, on peut trouver les mêmes phénomènes de disparition du monde connu. D’une manière très perceptible on nous assure que Londres aura le même climat qu’Oran dans un temps assez court. La différence des cultures qui sont en relation avec le climat s’en trouverait injustifiée.
Dans un temps plus long, nous savons depuis très longtemps que notre plus proche voisine, la galaxie d’Andromède, se dirige droit vers la nôtre à une vitesse fulgurante en années lumières. On s’imagine alors combien nos certitudes sont encore plus fragiles.
Puis, si nous prenons un temps moyen entre ces deux situations temporelles extrêmes, c’est nos continents qui ne seront plus au même endroit. Les plaques terrestres s’étaient séparées il y a des millions d’années, certaines se rapprochent dans un mouvement inverse. Le combat est inégal car l’une est toujours destinée à faire disparaître l’autre.
Comme c’est la plaque africaine qui submergera celle de l’Europe, on peut dire avec humour combien est futile l’histoire des visas. Et combien est versatile l’histoire elle-même, remplaçant une conquête territoriale coloniale par une autre, en sens inverse.
Comme la chose n’est pas déjà compliquée, Einstein nous avait parlé de l’existence d’un temps relatif. Il paraîtrait, selon les lois de la physique, que si je n’avais pas quitté Oran pour l’étranger mais pour l’espace, je rencontrerai mes arrières petits-enfants en revenant. Rien n’est donc certain dans ce monde, le conflit des générations paraît alors bien superflu.
Nos sentiments humains seront-ils modifiés dans ce bouleversement du monde connu ? Que deviendront les pensées, l’amour, la violence, les chagrins et les rivalités ? Seront-ils provoqués et ressentis dans la même sensation dans un environnement différent de celui que l’humanité connaît en ce moment ? Sera-t-elle encore sur une terre condamnée ou ailleurs dans un autre endroit de l’univers ?
Qu’adviendra-t-il de l’avancée des connaissances humaines ? Elle ne peuvent en principe disparaître si nous considérons que leur destinée est d’avancer en corrélation avec la marche du temps. L’ennui est qu’on ne peut même pas faire confiance à cette certitude objectivement légitimée par sa réalité depuis que l’humanité existe. Pourquoi ?
Tout simplement parce que ce sont ces mêmes connaissances qui nous ont appris à connaître le monde, terre et cosmos, et nous ont révélé combien nos civilisations humaines sont éphémères.
Au fond, il n’y a qu’une vérité immuable lorsque l’humanité est confrontée au temps, c’est la nécessité de son humilité.
Sid Lakhdar Boumediene