L’art est un évocateur pour celui qui le regarde à travers des émotions et des références qu’il a accumulées. Sa connaissance et le plaisir suscité se satisfont d’un esprit inlassablement curieux durant une vie sans qu’il atteigne l’érudition.
Voici exposé la proposition au lecteur d’un exemple de chef-d’œuvre dans l’art pictural qui provoque une émotion humaine, justement auprès d’une personne non érudite comme moi (mais non complètement ignorante tout de même).
Récemment un prêt du musée du Louvre au musée de Marseille avait réveillé mon esprit, celui d’un tableau du peintre hollandais Johannes Vermeer, L’astronome. Et voilà les éléments habituels qui se bousculent dans la mémoire de celui qui cultive sa curiosité.
Il ne faut surtout pas être étonné qu’une évocation d’un tel événement suscite un article de ma part seulement après plusieurs mois. La pédagogie de la culture n’est pas dans l’événement en lui-même, l’art n’est pas une actualité mais une pérennité. Abordons l’œuvre choisie par quelques portes d’entrée.
Le basculement du monde en une œuvre iconique
Prenons ensemble l’audioguide du musée (petit boîtier avec des enregistrements audio) et écoutons-le nous faire la présentation du célèbre tableau.
L’œuvre du grand maître évoque le bouleversement copernicien et le nouveau regard de l’humanité sur les connaissances et la science, ceux des arts et de la compréhension de son milieu terrestre et du ciel. Ce moment est dans la suite logique des grandes aventures d’exploration et d’explosion des savoirs entre le 16ème et 17 ème siècle, période appelée La Renaissance (le nom est évocateur) qui fait sortir l’humanité des dogmes du moyen-âge. L’art en était également soumis.
Dans L’astronome il y a de toute évidence l’idée que la lumière du savoir éclaire le monde. C’est la traditionnelle allégorie du savoir qui illumine les esprits en les libérant des ténèbres que représente cette chambre sombre du tableau.
Regardez le tableau, que voit-on en plus de cette chambre pénétrée par la lumière ? Un globe terrestre qui avait contredit ceux qui avaient cru que le monde se limitait au seul territoire chrétien. C’est donc la vision nouvelle du monde terrestre dont la principale référence est bien entendu celle de Christophe Colomb.
Mais on y voit également une lunette astronomique, d’où le nom du tableau qui fait référence au personnage, L’Astronome. L’objet représente la nouvelle connaissance du ciel et la place du monde dans celui-ci.
Nous devinons tous la référence de Nicolas Copernic qui avait donné son nom à la révolution des savoirs. La terre n’était plus le centre du monde autour duquel tournait le soleil mais le contraire. Un véritable bouleversement pour l’humanité, nous avons dans ce tableau ses deux identifiants, la connaissance de la terre et celle du ciel.
L’astronome de Johannes Vermeer ne pouvait donc être absent des représentations picturales pour enseigner la période de la Renaissance, chevauchant les deux siècles. C’est l’apparition en cascade de l’âge d’or en Italie (où est apparue l’humanisme) de l’âge d’or de la Hollande, de l’Italie (où est apparu l’humanisme), de l’Espagne, de la France de François Premier et de quelques autres qui ont suivi.
Le peintre est Hollandais, il naquit dans la ville de Delft et deviendra un marchand d’art, ce qui est cohérent avec son talent artistique même si cela n’a pas un lien direct obligatoire. Sa vie est au centre du bouleversement du monde par sa naissance en 1632 et sa mort en 1675.
Une histoire contemporaine chaotique
Johannes Vermeer ne trouvera jamais la grande notoriété de son vivant, c’est au XIX ème siècle seulement que son œuvre avait été « redécouverte ». Elle avait été réelle mais très limitée au territoire local jusqu’à se perdre dans l’oubli.
Par sa nouvelle naissance c’est dans la Collection Rothschild au début du 20 ème siècle que nous retrouverons le tableau. Au cours de la seconde guerre mondiale, il avait connu le sort de nombreux chefs-d’œuvre de l’époque, soit le vol par le régime nazi.
Dès la fin de la guerre, il fut retrouvé et restitué à la famille Rothschild qui le cédera à la France en 1983 au titre d’une dation (règlement de droits de succession par la cession d’une œuvre d’art).
Une contestation des contestataires
Revenons au début de l’histoire de l’œuvre. Johannes Vermeer s’était inscrit dans le mouvement baroque du siècle d’or de la peinture néerlandaise, nous l’avons déjà dit. Cette école est née d’un mouvement global en Europe qui voulait s’opposer à la Contre-réforme catholique qui, elle-même avait voulu restaurer le prestige de l’Église face à La Renaissance avant qu’il ne soit mis à mal (en tout cas très écorché) par le souffle des grandes découvertes de la réalité du monde, terrestre et cosmique, ainsi que des sciences et des technologies qui l’ont permis.
Mais en même temps qu’elle voulait s’opposer à la Contre-Réforme, la peinture baroque avait néanmoins contesté l’école de la peinture de la Renaissance. Autrement dit, une contestation de ceux qui avaient eux-mêmes contesté l’art imposé. La peinture baroque veut émouvoir et impressionner le spectateur en supprimant toutes les rigidités de la peinture de la Renaissance (qui elle-même, nous l’avons dit, souhaitait briser les rigidités antérieures).
Abandon des lignes droites au profit de celles courbées et des postures en tension, conformes à la réalité humaine. C’est l’être humain dans toute sa vérité qui est montré. La peinture baroque veut capturer les scènes sans exaltation et dévotion que suscitait la peinture doctrinaire des siècles précédents. Quoi de mieux que la représentation du quotidien de la vie et des sentiments humains pouvaient le faire ?
Johannes Vermeer n’était pas le seul représentant de ce mouvement artistique mais il en deviendra l’un des plus connus.
Le clair qui contraste avec le sombre
Il y a toujours une injustice lorsqu’on parle de la lumière traitée dans les œuvres des grands peintres. Interrogez les personnes autour de vous, beaucoup vous répondront que ce sont les impressionnistes qui ont été les premiers à faire de la couleur ce qui explose aux yeux. Une couleur due à la peinture à l’extérieur dont ils sont précurseurs, c’est vrai.
Certes l’époque du Hollandais n’était pas encore aux peintures de la vie en plein air mais on ressent bien combien de nombreux artistes contemporains à Johannes Vermeer ont eu une envie d’un ailleurs, une soif de le découvrir à l’extérieur du carcan des dogmes antérieurs. Dans l’Astronome de de Vermeer, la lumière qui pénètre dans la pièce est ce qui éclaire mais également ce qui symbolise le chemin de la sortie par la fenêtre.
J’avais toujours été fasciné, surtout par deux passages au Louvre, par la peinture de cette époque en majorité composée de noir et de blanc. Passionné mais en même temps interrogateur, comment un tableau en noir et blanc peut-il avoir une teinte si brillante ?
La seule réponse que pouvait me donner mon esprit est que ces tableaux étaient recouverts d’un vernis qui les protégeait. Une réponse qui après tout n’est pas stupide mais qui s’est révélée fausse lorsque mes étudiants en École d’art m’avaient expliqué le phénomène (les braves petits !).
C’était la technique du clair-obscur qui crée un contraste si appuyé du noir avec le blanc qui donne l’effet d’une teinture brillante. On attribue sa paternité aux peintres italiens Le Caravage, à l’Espagnol Diego Velasquez et à bien d’autres.
Une incrustation dans l’image collective
Il faut rappeler que l’incrustation des œuvres d’art dans la mémoire collective prend souvent racine par des chemins tout à fait inattendus. Parfois même par ceux qui sont dénigrés par les érudits qui s’arrachent les cheveux de voir des œuvres célèbres reproduites dans des boîtes de biscuits, de chocolat ou des publicités. Le destin de Johannes Vermeer n’y échappe pas.
Le chemin d’apprentissage indirect, contrairement à ce qui parait évident dans les esprits, n’est pas principalement celui des cours de dessin ou de peinture, comme on disait autrefois. C’est justement pour cette raison que l’histoire de l’art n’est enseignée que dans les niveaux supérieurs, du lycée ou de l’université, à l’âge où les esprits sont plus matures.
Pour la sensibilisation à l’art des plus jeunes, la racine de la connaissance de ce tableau se trouve dans les illustrations des manuels scolaires des collégiens où apparaissent principalement ces chefs-d’œuvre. Quel autre tableau que celui de Johannes Vermeer pouvait mieux représenter l’extraordinaire bouleversement des savoirs scientifiques de l’époque concernée ?
Voilà ce qu’avait réveillé en moi ce prêt du célèbre tableau de Johannes Vermeer du musée du Louvre au musée de Marseille, une histoire et des sentiments provoqués par l’art.
Boumediene Sid Lakhdar

