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L’aumône géopolitique de l’Algérie : entre solidarité diplomatique et contradiction sociale

Le président Joseph Aoun et Tebboune

Abdelmadjid Tebboune a reçu le président libanais Joseph Aoun.

L’Algérie aurait récemment fait un don de 200 millions de dollars au Liban pour la reconstruction du sud du pays, en écho à la visite du président libanais en Algérie. Ce geste viendrait s’ajouter à une série d’autres dons faits à certains pays africains, dans un silence quasi-total des médias officiels.

Il est probable que cette discrétion vise à éviter une vague d’indignation dans une opinion publique de plus en plus inquiète de la situation socioéconomique intérieure.

À supposer que ces informations soient exactes (et tout porte à croire qu’elles le sont au vu des précédents historiques) une question majeure s’impose : pourquoi un pays aux infrastructures vieillissantes, au chômage massif, à l’exode de sa jeunesse, et à la pauvreté grandissante choisit-il de distribuer généreusement des fonds à l’extérieur, quand l’intérieur s’effrite ?

Une diplomatie de la générosité

Depuis la guerre d’indépendance, l’Algérie s’est forgé une image de pays solidaire avec les luttes des peuples du Sud. Elle a soutenu les mouvements de libération africains, apporté son aide à la Palestine, et entretenu des relations diplomatiques fortes avec les pays arabes et africains.

Cet héritage idéologique, nourri par le tiers-mondisme et le panafricanisme, n’a pas disparu. Il s’est seulement reconfiguré. Les dons à l’Afrique et au Liban s’inscrivent donc dans une logique de soft power algérien, visant à préserver un statut moral et une influence diplomatique dans une région où l’Algérie revendique un leadership historique.

Mais la morale géopolitique ne suffit plus. Les temps ont changé. La légitimité révolutionnaire ne parle plus au ventre vide, ni au jeune chômeur diplômé.

Les opinions publiques aujourd’hui demandent des comptes, et posent cette question crue : à quoi bon jouer le grand frère généreux quand la famille immédiate est affamée ?

Une redistribution à l’envers

Ce paradoxe algérien reflète une inversion de la redistribution. Au lieu de construire des écoles, réhabiliter des hôpitaux, offrir des logements décents ou garantir une économie productive à sa jeunesse, l’État préfère donner au-delà de ses frontières.

La logique sous-jacente serait celle de la rente de position morale : montrer à la communauté internationale que l’Algérie est une puissance régionale, stable, prévisible et fidèle à ses principes. Mais cette image a un coût intérieur. Elle se paie en silence, en frustration et en paupérisation. On ne peut s’empêcher ici de convoquer Frantz Fanon, qui écrivait dans Les Damnés de la Terre : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. »

L’État algérien, en reproduisant les postures généreuses de la génération révolutionnaire, risque de trahir la mission de la génération actuelle : nourrir, instruire, loger et faire rêver les siens. Une souveraineté déconnectée de son peuple

Ces gestes diplomatiques ne sont pas illégitimes en soi. Toute nation ayant des ambitions régionales se doit d’étendre sa présence à travers des canaux d’influence, y compris financiers. Mais lorsque ces gestes ne sont ni débattus, ni annoncés clairement, ni expliqués, ni même budgétisés de façon transparente, ils deviennent des symboles de rupture entre gouvernants et gouvernés.

Il ne s’agit pas ici de nier la dimension stratégique d’une aide ciblée : soutenir le Liban face aux tensions israéliennes, ou aider les pays du Sahel face à l’instabilité sécuritaire, peut servir des intérêts géopolitiques à long terme.

Mais l’absence de débat public autour de ces choix, l’opacité qui les entoure, et le contraste avec l’état déplorable de nombreuses régions algériennes (du sud marginalisé aux quartiers abandonnés des grandes villes) pose une question redoutable : le peuple est-il encore prioritaire dans la matrice décisionnelle de l’État ?

Le peuple, cet invisible partenaire La classe dirigeante algérienne semble perpétuer un modèle où le peuple n’est plus un acteur du destin national, mais un spectateur résigné. Or, c’est une erreur stratégique majeure dans un monde où la légitimité se construit autant de l’intérieur que de l’extérieur.

L’Algérie ne peut espérer rayonner sur l’échiquier international si elle continue à laisser son propre peuple dans l’ombre. La pauvreté, le chômage, la fuite des cerveaux, la corruption endémique, et la gestion clientéliste du pouvoir minent bien plus la souveraineté que toute attaque extérieure. Comme le soulignait l’écrivain Mohamed Dib : « Le pain partagé vaut mieux que la gloire solitaire. »

Conclusion : l’aumône ou la justice ?

L’aumône n’est pas la justice. Elle peut parfois la suppléer, jamais la remplacer. Une nation n’a pas besoin d’aumônes symboliques pour se tenir debout. Elle a besoin d’un État fort, juste, transparent, qui rend des comptes à ses citoyens. L’Algérie gagnerait à recentrer son action diplomatique sur l’exemplarité intérieure. Il ne s’agit pas de fermer la porte à la solidarité internationale, mais de faire en sorte que cette solidarité ne soit pas une injure à l’urgence nationale.

L’État qui donne doit d’abord se demander s’il a écouté. Car un peuple qui n’est pas entendu ne peut que hurler. Et ce hurlement, un jour, portera plus loin que toutes les aumônes du monde.

Hassina Rabiane

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