L’homme est ainsi fait qu’il veut très souvent se rapprocher de la notoriété, fût-elle indirectement par ceux qui la possèdent. Partager la lumière avec une célébrité, l’autographe (ou la dédicace) et le selfie sont parmi les moyens qui le lui permettent. Ce n’est pas absolu comme déduction, surtout pas, mais ils sont un moyen tentant pour beaucoup. Ce phénomène est plus perceptible pour les autographes c’est la raison pour laquelle il sera privilégié dans le commentaire d’aujourd’hui.
Dans la librairie, une queue jusque dans la rue. On avait annoncé une séance d’autographes du dernier Prix de littérature (un exemple imaginaire). Tous ont apporté ou ont acheté sur place le livre pour qu’un petit mot et une signature de l’auteur y soit inscrits sur la première page.
Des fans de football encadrent une signature d’une star de football, des inconditionnels d’une idole de la musique ou du cinéma attendent des heures devant l’entrée des artistes ou des studios pour obtenir un autographe. Certains demandent une signature sur un ballon, sur leur corps, sur un habit ou sur une photo. Tout support est bon pour faire graver la précieuse marque de la célébrité.
Et lorsque l’autographe devient une dédicace en cumulant une signature avec une petite phrase de gentillesse et le prénom de la personne qui les demande, c’est alors son prix sur le marché des autographes qui s’envole.
Cela en dizaines d’autres exemples, depuis les hommes politiques, aux scientifiques en passant par les grands du monde financier et du numérique. L’autographe ou la dédicace deviennent le Graal, un symbole de fierté qui se raconte et qui s’exhibe.
Si je considère uniquement les autographes en signature (d’autres marques de la célébrité peuvent exister) je les compare à une écriture hiéroglyphe. Imaginons des historiens ou anthropologistes qui essaieront dans plusieurs siècles de découvrir leur signification. Seul un nouveau Champollion pourrait en donner la clé de l’énigme. Pourquoi un gribouilli sur des objets par des être humains que l’histoire aura oublié, pour la plupart depuis leur décès ?
Que peut signifier ces inscriptions ? Qui les a apposées ? Un hommage, une marque d’esclavage, une reconnaissance de dette ou l’équivalent d’une scarification culturelle d’une population ?
Si nous revenons au livre, il y a une méprise assez fréquente. La relation entre un auteur et chaque lecteur est certes de l’ordre de l’intime, le lecteur appréciera ou non l’écrit. Mais cette relation intime est indirecte, elle se construit seulement à travers le texte.
Dédicacer avec un mot de sympathie individualisé alors que les deux personnes ne se connaissent pas est tout à fait irréel et n’a aucun sens. L’auteur ayant rédigé la même phrase à ses nombreux lecteurs prouve que la relation est factice, ce qu’elle est réellement. Le partage de notoriété n’a aucun sens.
C’est une toute autre histoire si l’auteur dédicace son livre à des personnes qui lui sont connues. Ce serait alors une attention d’amitié en offrant le résultat de son travail. A mon départ d’un établissement, on m’avait offert un roman et une biographie d’Albert Camus avec une dédicace de l’équipe pédagogique. Il y avait un rapport entre mes collègues et moi, ce n’est pas Camus qui me les a dédicacées. Pour eux, c’est un acte d’amitié, il est indépendant du rapport que j’ai avec l’œuvre de Camus.
Si l’autographe apportait seulement un sentiment bonheur personnel à celui qui est en admiration de l’auteur, ce serait légitime, compréhensible et positif. La dédicace reste effectivement pour certains un moyen d’exprimer la joie de la lecture et de la rencontre physique avec l’auteur. Ceci n’est absolument pas critiquable. Mais en faire part, montrer publiquement sa fierté de l’avoir obtenue est du domaine du fétichisme et de la vanité.
Si nous revenons à notre librairie de départ, l’autographe est un acte purement commercial puisque le livre est payant. La dédicace n’est alors que la technique de promotion d’un produit qui n’a aucune relation affective entre l’auteur et le lecteur.
Si ce lecteur voulait absolument rencontrer celui qui lui a donné du plaisir dans la lecture de l’œuvre, il faut alors qu’il y ait un véritable échange, sérieux et argumenté. Le simple fait de dire « j’adore ce que vous écrivez, j’ai lu tous vos livres » est loin d’être un rapport sérieux et constructif entre un auteur et son lecteur.
Comme il a été dit au début de cette réflexion, nous avons privilégié l’autographe mais c’est absolument la même chose avec sa forme moderne, le selfie. L’exercice entre amis ou famille aurait un sens très affectif. Mais obtenir d’un président de la république ou de Zinédine Zidane un selfie n’a aucun sens si ce n’est pour le plaisir du moment.
Mais encore une fois la vanité guette car l’intérêt est de montrer aux autres le selfie au profit d’une fierté personnelle.
Le président de la république ou Zinédine Zidane n’ont aucune idée de qui vous êtes et la plupart du temps le selfie est accordé pour une question d’image médiatique ou, pire encore, pour mettre un terme à un harcèlement qui les insupporte.
Je lance un appel au rédacteur en chef de ce journal pour qu’il m’obtienne un autographe ou, mieux encore, une dédicace de Tata Hlima, la vedette du quartier de ma jeunesse que vous commencez à connaître. Cela aurait du sens car elle m’engueulait toujours « va faire tes devoirs au lieu de faire l’imbécile avec tes camarades !». Il y a eu connaissance entre les deux personnes c’est donc justifié et pas ridicule.
S’il vous plaît, monsieur le rédacteur en chef, dites-lui d’écrire sur sa dédicace « À ce brave garnement de Boumédiene qui a finalement écouté mes conseils pour les devoirs ». Je l’encadrerai au mur car ce serait une grande fierté de montrer aux autres le long chemin parcouru dans l’effort.
Boumediene Sid Lakhdar