Mardi 24 avril 2018
Le 20 Avril est passé, mais que nous sommes déçus !
Le vingt avril est passé, les slogans et les cris se sont tus, les étendards sont pliés, les rideaux sont levés, le silence prend le dessus.
Vingt avril, comme il était de coutume, cette année aussi beaucoup ont manié leurs langues et leurs plumes. Les uns ont raconté ton événement comme un film, d’autres ont récité tout ce qui a été commis contre toi comme crimes. D’autres ont crié ton nom sur toutes les cimes et dans les airs, ils ont fait flotter ton emblème, d’autres encore t’ont chanté en rimes.
Que reste-t-il à ma plume ?
Ma plume est devenue stérile comme cette belle Kabylie transformée en déserte île. Ses enfants, je les vois en file déserter ses villages et ses villes et ne reviennent que pour se ravitailler en son huile. Ceux qui restent, ces juvéniles, garçons et filles ont changé leur style et leurs habits. La langue de leurs mères est devenue dans leurs bouches amère. Ceux qui ont traversé les océans et les mers, désormais, ils ne s’expriment qu’en langues des nouvelles terres même en s’adressant à leurs pères et à leurs frères. Ceux qui sont coincés et qui n’ont point le choix, dans l’idolâtrie se noient et à la voie de la raison, ils sont devenus purs bois. Même les œuvres de Lounes et de Lounis ne leur apportent aucune bouffée de joie. Dur comme fer, ils croient que la voie de la foi exige la langue des Mecquois. Le roi absent et là pour imposer son choix et ses scélérates lois. Il encourage le désarroi, il souffle le chaud et le froid dans un état de non-droit.
L’idiot croit, l’arriviste boit, l’adroit devient proie de l’effroi. Le peuple guerroie contre les moulins à vent et sans pitié l’ignorance le foudroie. L’enfant du moraliste au bois de Boulogne boit le vin d’Arbois. Le dauphin du dignitaire qui nous fait taire, parle Voltaire et récite Charles Baudelaire et pour le fils de la femme et de l’homme à terre, on lui construit le plus haut des minarets pour l’inviter aux prières. Ô créateur du ciel et de la terre, en ton nom c’est au brûlant fer qu’ils cuisent nos chairs avant ton terrible enfer.
Vingt avril, si tu étais humain, cette fois, tu aurais égaré ton chemin et tu aurais besoin de quelqu’un pour te tenir la main. Ta terre qui avait résisté aux Français, aux Vandales et aux Romains, est vidée de ses rosiers et de ses jasmins et son saint sein est tété par des larbins. L’éclat de ta fille est éteint et son habit de noir est peint. Ton fils de sa barbe prend soin et croit qu’elle sera sa sauveuse à la fin des fins.
La ville des genêts où tu es né est métamorphosée par les gros bonnets. Tamazight n’est plus parlé. La langue de l’Arabie a pris le dessus. Oui, tu es sûrement déçu, car c’est par la langue d’El Bouhtouri que tu es reçu. Une langue fourchue, mais adorée. Le Kabyle au fort verbe est méprisé par les lettrés en herbe et les adolescents imberbes donnent des leçons de langue aux auteurs des proverbes.
Vingt avril, aujourd’hui, si tu assistes aux réunions des villages, tu mourras de rage. Sur nos coutumes, on a tourné la page, on a fait le ménage, on a écarté les sages et dans d’autres traditions, aveuglément, on nage et de plus en plus des yeux, s’éloigne le rivage. Pour se vanter et se donner une belle image, les érudits prennent le français comme langue d’usage. Les dévots qui profitent pour rendre hommage aux chouyoukh du Moyen Âge, c’est de l’Arabie qu’ils nous apportent leur langage qui étouffe le ramage de nos sages.
Vingt avril souffle une autre fois comme un noroît pour changer les lois, pour instaurer le droit. Tes enfants, il faut que tu les foudroies pour qu’ils sachent qu’ils se noient et qu’ils sont la proie des ridicules fatwas et qu’ils sont en train de perdre leur authentique voie et leur douce voix. Sors-les de ce désarroi.