Après Abdelmalek Sellal, Bouchouareb, Benyounès et Ould Abbès, c’est au tour du prometteur Abdelmadjid Tebboune, ministre d’un preux gouvernement qui ne craint personne, surtout pas le ridicule, de nous rappeler que la politique, sous nos cieux, n’a que faire du génie et que nos dirigeants ne se recrutent décidément pas parmi les beaux esprits.
Sourire en coin, M. Tebboune nous apprend nous ne sommes pas la Corée du Nord ! « En Algérie, nous-dit-il, on n’interdit pas, on utilise ce qui nous est permis dans le cadre des accords internationaux que l’Algérie a signés ». Ainsi parle le ministre d’un pays, tenu à des obligations de cordialité diplomatique, d’un autre Etat souverain : avec le langage de la rue et cette fatuité dont je ne sais quel auteur a dit qu’elle est la disparition lumineuse du mérite.
Certains pourraient voir dans cette sortie sans panache, un message à Trump, sur les bonnes intentions de l’Algérie. J’espère, pour ce qu’il reste de dignité nationale, qu’il n’en est rien. D’abord parce que notre Etat n’inquiète personne d’autre que son propre peuple; ensuite parce qu’il n’y a pire façon de passer pour un clown que la manière frivole et inutilement méprisante qu’a utilisé M. Tebboune pour mentir à l’opinion internationale. Notre ministre use d’une dérision à laquelle il n’a pas droit. Pour disposer du privilège de railler les Etats dictatriaux, il faut s’être assuré, au préalable, qu’il n’y a pas un dictateur qui traîne chez soi ! Car enfin, M. le ministre, en quoi serions-nous différents, politiquement, de la Corée du Nord ? Elle a son dictateur accroché au pouvoir à vie; nous avons le nôtre, accroché tout autant au pouvoir à vie mais avec, en plus, cette originalité de diriger un pays sur fauteuil roulant ! Sans doute faut-il rappeler à M. Tebboune que le président algérien en est à sa 18e année de règne quand l’actuel dictateur nord-coréen, Kim Jong-un n’en est qu’à la sixième et que son père, Kim Jong-il, n’a régné « que » 17 ans ! Que l’on réveille donc notre ministre et qu’on lui annonce qu’il est ministre d’une de ces républiques baroques où l’on ne quitte le pouvoir que pour le cimetière, qui prête autant à moquerie que Pyong Yang !
M. Tebboune qui est un téléspectateur assidu n’a pas dû rater cette émission dans laquelle Laurent Ruquier se gaussait de notre chef de l’Etat : « Le président algérien qui va briguer un quatrième mandat a 76 ans et cette année il a passé près de trois mois à l’hôpital après avoir fait un AVC et la grande question de cette élection c’est : qui finira dans l’urne le premier, le bulletin ou lui-même ? Je ne me moque pas, par rapport à Nelson Mandela, il est en super forme mais, Mandela, lui, il ne se présente pas» En quoi se distingue-t-on de la Corée du nord quand tout, chez nous, est tout autant interdit ? Tout : les manifestations, les dessins sur le président, les rassemblements, les conférences publiques…Nous disposons des mêmes travers.
L’Algérie, que voulez-vous, c’est la Corée du Nord moins l’industrie, moins les centres de recherche scientifiques, moins l’agriculture assurant l’auto-suffisance, c’est la Corée du Nord plus la corruption, plus la gabegie, plus les places de députés qui se vendent au plus offrant…
Comme en Corée du nord, le « Dirigeant bien aimé » est entouré de petits et grands courtisans gauches et sournois qui concourent à la gloire du maître et qui, à en juger par les prestations d’Ould Abbès, Ouyahia et Sellal, n’ont rien à envier à ceux de Pyong-Yang. Ils sont capables des pires exploits. La preuve nous est donnée par notre Premier ministre qui, dans un discours rocambolesque, qualifia le Conseil des ministres de «formalité inutile».
Il ne devait pas être loin de la vérité, à voir ce bric-à-brac qui tient lieu de vie politique nationale et où l’essentiel réside dans l’art de se cramponner au pouvoir, à la force du déshonneur et du mensonge. En dévalorisant le Con-seil des ministres, Abdelmalek Sellal s’obligeait à cette besogne solennelle qui consiste, pour les serviteurs de l’État, à trahir l’État pour des raisons qu’ils considèrent comme supérieures. Ladite raison, ici, n’a rien de prestigieux et se résume à apporter une pitoyable explication aux reports successifs du conseil des ministres et, ce fai-sant, à camoufler l’inaptitude du président de la république à exercer ses fonctions.
Alors oui, nous ne sommes pas la Corée du nord, ni même la Corée du Sud qui était au même niveau de développement que l’Algérie au milieu des années 70 et qu’on retrouve 13e puissance économique mondiale, ni Singapour, ni la Thaïlande, ni Taïwan, ni encore moins la Chine ni le Japon, sans doute même pas l’Afrique du sud, pas même le Maroc…
Abdelmalek Sellal nous confirme qu’en restant étranger au projet fou de Frantz Fanon et d’Aimé Césaire, celui de transformer le destin en conscience, en ignorant l’obsession des grands poètes qui ont forgé le 20e siècle, nos dirigeants s’évitent l’obligation de s’en encombrer du talent.
Par la même occasion, ils s’épargnent la corvée d’en supporter l’ambition. Celle de notre premier ministre se réduit ainsi à rêver d’un peuple d’apothicaires et de géomètres, au mépris des poètes saltimbanques, des penseurs et autres écrivains ou artistes pique-assiettes, tous ceux-là que les régimes nazi et franquiste et autres terroristes islamistes se sont fourvoyés à assassiner quand le bon sens commandait de seulement les mépriser. Il eût suffi d’un peu de la clairvoyance de M. Sellal pour que Federico Garcia Lorca échappe aux fusils de Franco et que Tahar Djaout soit encore parmi nous.
André Gide avait prévenu : « Je tiens l’infatuation pour fatale au développement de l’esprit ».
Aussi est-ce assez superflu de reprocher à notre Premier ministre de ne pas s’inspirer des plus nobles utopies du siècle quand lui-même reconnaît qu’il n’en a aucune connaissance. Dans un précédent discours, il avait, en effet, disqualifié la poésie et les sciences humaines au profit des mathématiques. Nous savons, désormais, sur la foi d’une si prestigieuse déposition, qu’il n’est nul besoin d’avoir lu Kant, Adonis ou Sansal pour présider aux destinées de cette nation et, dans le cas qui nous concerne, pour la mettre en faillite.
Mohamed Benchicou