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« Le chant des sirènes », roman de Kamal Guerroua

PUBLICATION

« Le chant des sirènes », roman de Kamal Guerroua

Le chroniqueur Kamal Guerroua vient de publier en France, aux éditions de L’Harmattan, le 20 novembre 2019, un nouvel ouvrage intitulé « Le chant des sirènes ».

Le récit commence dans l’un des quartiers pauvres de Boukadir, une petite ville de l’Ouest algérien. Le personnage-clé est Mokhtar, un jeune qui a quitté, très tôt, les bancs de l’école et rêve de mener sa vie dans le calme et surtout l’amour discret de sa cousine, Sarah, promise par son entourage. Celle-ci dont le souvenir accompagne l’histoire jusqu’à la fin, n’est paraît-il qu’une illusion de jeunesse. Car Mokhtar n’a rien pour concrétiser ses projets, puis la terreur s’installe, et aucune issue ne se présente à lui, sauf « el bôté », ce canot à moteur, symbole d’évasion et du rêve, dans un pays où le rêve se fait rare. 

Toute l’enfance de Mokhtar est passée en boucle et, en toile de fond, l’auteur brosse le décor de l’Algérie du début des années 90. Violence, tabous, sexe, drogue, intégrisme, hypocrisie, prêches des fanatiques, fausses rumeurs, avec leur lot de frustrations, parsèment le quotidien. 

Jeune désoeuvré, pris entre les crocs de cette réalité complexe, Mokhtar fuit alors sa ville sur un zodiac, avec une poignée de compagnons d’infortune dont chacun est décrit dans sa propre individualité. Ce qui embellit le récit et permet de bien saisir les détails de l’aventure. Hélas, à la joie de ce départ précipité vers l’eldorado ibérique se mêle la tristesse de quitter les leurs! Arrivés, au terme de nombreuses péripéties, sur les côtes andalouses, les Harragas découvrent une toute autre réalité, beaucoup moins reluisante que celle dont ils ont rêvée. Les désillusions se multiplient sur le sol espagnol. 

Les uns et les autres déchantent, se rendant compte que tout ce qui brille de loin n’est pas forcément de l’or, sauf Mokhtar, pour qui un autre jour se lève à la rencontre de Patricia, une Catalane protestante, qui lui fait s’entrouvrir une brèche d’espoir dans la sinistre grisaille des jours. Si « Le Chant des sirènes », est synonyme de la grande désillusion, il n’en reste pas moins, une ode au rêve, à la fraternité humaine et à l’espoir, par ces temps de doute et de crispations identitaires.

Dans ce premier roman « prometteur » de 182 pages, le jeune chroniqueur qui nous habitués à des recueils exquis de nouvelles et de poèsies, entre autres « Le souffle du printemps » en 2012 et « Hymne à l’espérance » en 2017, « Journal d’un hittiste » en 2018, mélange tous les ingrédients littéraires qui font de son livre un bon récit. Que ce soit sur le plan esthétique ou sur celui de la narration, on sent une maîtrise du verbe, des descriptions et des tournures de phrases, certes parfois longues, mais d’une grande précision. Ce qui habille son récit d’une beauté stylistique, à la mesure de la sensibilité du thème traité. 

L’on remarque, aussi, un ressort de style typiquement maghrébin dans la manière de raconter et de se fixer sur les détails dans la mesure où le passage de l’oral à l’écrit et vice versa, semble obéir à une certaine logique polyphonique (multiplication des sonorités).

En ce sens, la langue est souvent construite sur un rythme poétique, qui l’éloigne des lourdeurs syntaxiques. Sur le plan de la thématique, l’on serait tenté de penser, par moments, qu’elle est empruntée au vécu particulier, de n’importe quel jeune, candidat à la grande traversée « clandestine » de la Méditerranée, c’est-à-dire un « récit de vie réel », quoique l’auteur dépasse ce stade, en essayant de l’universaliser par l’évocation de thèmes communs à tous les humains : l’angoisse, l’amour, les doutes, etc. 

À cet effet, Kamal Guerroua rentre dans la peau de chacun de ses personnages, lit dans leurs pensées, respire et ressent leurs angoisses, rêve et regarde avec leurs yeux. Mais, en plongeant dans les profondeurs du texte, les pistes se brouillent et l’on se perd dans des petites histoires qui se superposent, comme dans les cases chinoises (une histoire à l’intérieur d’une autre histoire), pour former un tout à plusieurs facettes. Sur cet aspect-là, l’auteur est influencé, me semble-t-il, par la méthode narrative latino-américaine où l’oscillation entre la réalité et la fiction joue le rôle d’apéritif, qui donne envie de poursuivre la lecture, avec le même rythme enthousiaste, jusqu’au bout. 

Enfin, pour un premier roman, Le « chant des sirènes est un bon bijou à découvrir!

Keddouh Mohand Seghir, journaliste. 

Kamal Guerroua, « Le chant des sirènes », Editions de L’Harmattan, Novembre 2019, 182 pages, prix public : 18  euros.    

Auteur
Keddouh Mohand Seghir, journaliste

 




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