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Le Chiapas du sous-commandant Marcos

Chiapas

«L’amitié et les engagements politiques me font me battre à nouveau avec ceux que j’ai convaincus d’aller à la Révolution et je dois être avec eux. Souvenez-vous toujours qu’il est préférable que vous soyez la veuve d’un brave homme à la femme d’un lâche»,
Salvador Alvarado, Lettre à sa femme

Me voilà à San Cristobal de Las Casas, l’ancienne capitale du Chiapas, qui a perdu son rang au profit de sa voisine, Tuxtla Gutiérrez. Le Chiapas est cet État qui se trouve dans le sud occidental du Mexique et où le souvenir de la Révolution de Pancho Villa et d’Emiliano Zapata est toujours vif.

Il faut dire qu’ici, la Révolution avait le visage de Salvador Alvarado, un général de l’armée Constitutionnaliste qui a été tué dans un guet-apens qui lui a été tendu près de Palenque le 10 juin 1924. C’est ce héros qui eut, le premier en Amérique latine, l’idée de créer des écoles rurales, qui institua l’enseignement gratuit et obligatoire, qui promulgua la journée de huit heures de travail et mis en place les outils de l’émancipation féminine avant d’être assassiné. 

La cité de San Cristobal de Las Casas, une des premières à voir le jour après l’occupation espagnole, est construite autour du zócalo, une place coloniale en forme de quadrilatère où étaient réunis tous les pouvoirs : la cathédrale, l’Hôtel de ville et le palais du gouverneur. C’est comme si dans les villes européennes, une place centrale mettait face à face la mairie, l’église et la préfecture.

Le soir, lorsque les ombres s’allongent, des oiseaux par milliers se mettent à piailler à plein gosier. Sous les arcades, un homme portant gayabera, la chemise typique brodée en coton, lit son journal. Une jeune femme traverse la place sur une moto pétaradante et une serveuse tente de convaincre les clients de goûter un thé à la goyave. Et les cloches de la plus vieille église de l’Amérique latine se mettent à sonner à toute volée. Décidément, cette place ne dort jamais.

C’est une autre difficulté de savoir comment explorer cette ville. Les rues aux maisons basses se coupent à angles droits et offrent chichement leurs trésors. Une façade aux stucs en cascade sur un crépi aux couleurs vives, une église baroque, plein de beauté à portée du regard. Pour peu que le soleil soit au zénith, on est tenté d’abandonner la promenade, prêts à trouver une place dans un café de la place comme une moule se lierait à son rocher. Ce serait dommage parce que l’imprévisible est partout dans cette ville.

On tombe par hasard sur un petit manoir à mansardes, un chalet suisse à double pente, une villa italienne à toit plat et à balustres, minarets, coupoles et péristyles. Ces demeures bourgeoises ont été édifiées à la sueur des ouvriers mayas et yaquis. Des théâtres aux fauteuils de velours rouges ont vu le jour comme à Vienne ou à Venise.

L’opéra de la ville a failli être démoli il y a quelques années et continue malgré tout à recevoir la belle société qui vient écouter des solistes en robes du soir et en costumes. 

San Cristobal de Las Casas a été bâtie sur les ruines d’une cité maya, et, comme souvent, ce sont les plus belles pierres des pyramides qui ont été utilisées. Le peuple Maya a connu les pires vicissitudes et il n’a toujours pas retrouvé sa place d’antan. La population mexicaine est divisée sur des clivages ethniques et linguistiques. Les quartiers nord sont riches et occupés par des blancs et le sud est indigène. Si plus d’un tiers des habitants parle le zoque, on ne trouve aucun journal rédigé dans cette langue. 

Le soir, il fait froid sur la place. Et l’étranger que je suis est surtout heureux de respirer un art de vivre loin de la surconsommation et de l’hédonisme du Vieux-Continent. Un art de vivre bâti sur les échanges sous les flamboyants, de concerts de chiapanecas, ces chansons doucereuses et mielleuses propres à cet État, de danses que l’on taxerait volontiers de folkloriques mais qui font la joie des populations indiennes… Mais les préoccupations et les problèmes qui ont donné au sous-commandant Marcos l’occasion d’occuper cette ville il y un quart de siècle sont loin d’avoir été résolus. 

Du Chiapas, Kamel Bencheikh 

 

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