Jusqu’à présent, j’ai lu plus de cinq fois l’ouvrage « Les identités meurtrières », du Libanais Amin Maalouf : deux fois dans mon pays natal et trois fois dans des pays étrangers, et j’avoue que mon impression n’était pas toujours la même.
J’éprouve, à vrai dire, un sentiment d’ambivalence et d’incertitude à la fin de chacune de mes lectures, sur fond de volonté de me défaire de tout lien d’appartenance, aussi important et vital soit-il. Je me considère, en effet, « ici-lien », à l’instar du comédien franco-marocain Jamel Debbouze, c’est-à-dire un homme ou un être qui vit et sent ce que vivent et sentent ceux avec qui il vit, mais pour qui, comme l’avait bien précisé d’ailleurs un jour le Berbère Térence, « rien de ce qui est humain, ne m’est étranger ».
Cela dit, je crois à l’universalité de la condition humaine et à ses valeurs intrinsèques, indépendamment de toute idée de race, d’ethnie, de religion, de langue, de culture ou d’idéologie. Néanmoins, la question de l’identité reste pour moi un grand défi, d’une complexité si difficile à cerner qu’il me paraît utile de commettre cette chronique.
L’occasion ? C’est ce fameux derby algéro-tunisien, en finale, dans le cadre de la Coupe Arabe au Qatar. Il se trouve que les descendants naturels et historiques des Numides-Carthaginois sont partis en terre arabe pour remporter une Coupe au nom de cette unité mythique, voire hypothétique, basée sur la notion de race arabe.
Loin de tout esprit de polémique ou de division, je voudrais revenir un peu ici sur ce « complexe arabe », nourri par nos aînés, comme un succédané à une culture nationale en effritement constant, suite à de longs siècles de dégénérescence et d’abandon.
Quand on parle des Arabes, par exemple, on trouve que, sur le plan ethnique, ils sont le produit d’un profond métissage avec les peuples de l’Empire musulman, asiatiques, africains, européens même, sans parler bien sûr des Arabes d’origine comme du fond de la population, lui-même mélangé : nabatéen, chaldéen, et araméen en Syrie-Irak comme au Liban, Jordanie et Palestine ; berbère au Maghreb, et d’autres composantes moins importantes que les Arabes ont rencontrés sur leur chemin.
En conséquence, il est permis de dire que la nouvelle société arabe est constituée beaucoup plus de populations arabisées que d’Arabes d’origine. Et c’est grâce à l’islam qu’une telle diversité de peuples et d’ethnies a pu trouver dans la langue et la culture arabes l’instrument de sa cohésion.
Cela ne peut pas aller sans provoquer des problèmes ou des crises d’identité au contact du modèle de l’Etat national moderne, et par conséquent du recul effectif du sentiment religieux y afférent. C’est toute l’ambiguïté de la situation. Une ambiguïté qui s’est cristallisé, au demeurant, par le mythe du Monde arabe, posé par certains idéologues de l’arabo-baâthisme du siècle dernier, en particulier Michel Aflaq et Salah-Din El Bitar, comme un sacerdoce pour l’unité des peuples « ethniquement » et « culturellement » différents mais dont la culture arabe est « hégémonique ».
Ce mythe fut mis mis au devant de la scène politico-culturelle pendant des décennies, au nom de la résurrection de l’âme arabe et surtout d’une laïcité, à même de servir d’abri pour les minorités de l’Orient, notamment celles chrétiennes, menacées de persécution constante de la part de groupes extrémistes musulmans, démographiquement en surnombre.
Cette logique a trouvé, toutes proportions gardées, un terrain fertile en Afrique du Nord, où les nouvelles dictatures installées après les indépendances nationales furent, politiquement faibles et géo-stratégiquement isolées.
L’héritage colonial de la France a laissé un avant-goût d’amertume chez les élites maghrébines, coupées de leurs racines et acculturées soit à l’Occident (francophones), soit à l’Orient (arabophones), délaissant la culture-matricielle, le Berbère, accusée de tous les maux complotistes, contre le diptyque arabe-Islam. A titre d’exemple, l’arabo-bâathisme en terre algérienne, fut très différent de celui pratiqué en Orient, dans la mesure où l’islamisme avait investi, même au temps de Boumediène, le secteur éducatif et culturel, inséminant son poison dans les cerveaux de presque trois générations de jeunes.
Ce qui aurait provoqué une dangereuse crispation identitaire, ayant alimenté des haines et des sentiments d’adversité des uns contre les autres, au sein du même peuple, et une opposition farouche contre nos racines berbères communes.
En vérité, le Maghreb fut de tout temps otage de ces « identités meurtrières qui, au lieu de l’enrichir, l’ont en quelque sorte abâtardi. Quand ce n’est pas l’Occident qui instrumentalise à sa guise sa culture, c’est l’Orient qui le fait et cette bipolarité Orient-Occident a cassé le génie local, rendu incapable de s’ancrer, sinon de s’attacher à identité algérienne, diverse, riche et plurielle.
Kamal Guerroua