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Le coupable idéal (III)

Pistolet
Image par Steve Buissinne de Pixabay

Voilà l’indépendance pour laquelle tu t’es battu mon père ! Toi, le membre actif de l’OCFLN, emprisonné à Nancy, El-Harrach et Berrouaghia pour port d’armes prohibées, association de malfaiteurs et complot contre la sécurité de l’État. Toi qui fût condamné à mort avant d’être gracié par de Gaulle, du fond de ta tombe, tu dois maudire ton combat.

Ton chouchou de fils est en train de subir des violences physiques et des humiliations verbales que même les soldats de l’armée coloniale n’infligeaient pas aux civils, encore moins aux enfants.

Fatigués, les policiers rentrent chez eux en fin de soirée, nous laissant enfin un peu de répit. Nous restons là sous surveillance de l’un des leurs. Avions-nous dormi sur les chaises, uniques meubles de confort mis à notre disposition ? Je ne m’en souviens pas, mais j’en doute fortement. Comment inviter Morphée quand la douleur et l’anxiété tiraillent votre corps et votre cerveau ?

Au petit matin, voilà nos tyrans de retour. Ils étaient gais et blaguaient à haute voix entre eux, se racontant des blagues salaces que je n’oserai reproduire.

Le coupable idéal (II)

– Ils vont finir par avouer ces ouled el-khab (ces enfants de p…) ! entendis-je l’un d’eux affirmer sans retenue.

– Ce n’est donc pas terminé ? me suis-je dit.

Dès que nous nous retrouvons en face d’eux, ils recommencent leur comportement indigne.

– Alors vous avez réfléchi à tout ça ? Je vous avertis, vous ne sortirez pas d’ici avant que celui qui a subtilisé le pistolet ne se dénonce ! braille farouchement celui qui m’avait roué de coups la veille.

Nous sommes séparés à nouveau et le cauchemar continue.

On interchange nos bourreaux.  Mourad a droit à mon tortionnaire et moi à un autre de ses compères. Ce dernier avait l’air plus amène. Il voulait me faire avouer avec le sourire. Je pense qu’il avait bien compris à ma façon de lui raconter l’histoire que je ne mentais pas, surtout quand il me demanda comment je travaillais à l’école et que je lui appris fièrement que j’étais premier de la classe et que, côté discipline, j’étais sage comme une image. Il sort et je l’entends dire à ses collègues :

Khatih el-ouled (il n’a rien à voir le petit) ! Chouffou m3a el-kebir (voyez plutôt avec l’adulte) !

À ces mots, j’entends une drôle de colère et un discours que j’avais du mal à cerner. C’était Mourad qui faisait une crise d’épilepsie. L’entendre brailler une phraséologie incohérente me faisait froid dans le dos. J’avais peur, très peur ! Autant pour lui que pour moi.

Kacem Madani

 

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