« L’amour et la haine couchent dans le même lit. La guerre et la paix cohabitent dans le même palais. Un homme sans argent est comme un fusil sans les munitions, il est impuissant. Une femme sans mari est comme une maison sans rideaux, elle est soit à vendre, soit à louer. Le mariage est la seule guerre au cours de laquelle on dort avec son ennemi … »
Une fois, la souveraineté recouvrée, le peuple a troqué son indépendance et sa dignité en échange d’une protection et d’une nourriture C’est ainsi que le pouvoir postcolonial s’est approprié le bas ventre (les richesses du sous-sol) pour remplir son ventre (nourriture).
Ayant pris goût, il veut en faire sa demeure éternelle. C’est le repos du guerrier. Un repos qui dure jusqu’à nos jours. Un repos secoué par les soubresauts du marché pétrolier et gazier. Nous sommes dans une salle d’attente.
Nos universités ronronnent, nos administrations dépensent, nos champs bétonnent, nos usines rouillent, nos ventres se lamentent, notre cerveau se congèle, notre cœur noircit.
Le pétrole comme mère nourricière éternelle et l’armée comme père protecteur invincible. Une fois que leurs enfants sont adultes, les parents doivent cesser de jouer ce rôle, ils doivent accepter que leurs enfants s’opposent à eux pour grandir.
En les empêchant, la société se retrouve avec une tête d’enfant dans un corps d’adulte. Pour le gouvernement, le peuple est une dépense budgétaire (charge à supporter) et non une recette budgétaire (ressource à mobiliser) ; pour la masse, l’Etat est un entrepôt de marchandises importées (création de monnaie) et non une usine de production locale (création d’emplois). Une société où les hommes et les femmes sont des enfants n’est pas à la recherche d’une économie productive et d’un Etat de droit mais d’une mère nourricière et d’un père protecteur. Un Etat de droit présuppose un peuple mature, laborieux et un Etat sérieux régi par une morale.
En terre chrétienne, « tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » ; en terre algérienne, « tu auras ton pain à la souplesse de ton échine ». Dans un Etat de droit « nul n’est censé ignorer la loi » ; dans une société tribale, personne ne connaît la loi, tous se soumettent au clan dominant. Nous marchons sur notre ventre et nous réfléchissons avec nos pieds. La misère rassemble, la richesse divise
L’une purifie, l’autre corrompt. En Algérie, les hommes fuient l’effort physique, l’endurance morale, les métiers manuels et agricoles et se consacrent au commerce de l’alimentaire et du cosmétique. Nous assistons à une « féminisation » rampante de la société. Une société où l’époux n’a plus d’autorité sur son épouse qui vaque librement à ses occupations abandonnant l’éducation de ses enfants les livrant aux démons de la rue.
Une société où la femme fatiguée par un rythme infernal qu’elle s’impose, s’épuise très vite, vieillit mal et meurt prématurément. Une société où les liens de filiation sont rompus ; le frère ne demande plus après son frère et les parents ne cherchent plus après leurs enfants.
Des enfants rois qui se transforment en adultes tyran. Est-ce l’individualisme que l’on recherche c’est-à-dire une société dans laquelle nos enfants ne seront plus solidaires de leurs familles mais agissent comme bon leur semble comme s’ils étaient tombés du ciel c’est-à-dire des enfants « x ».
La laïcité n’est pas un cache sexe et le voile n’est pas une ceinture de virginité. Que les uns et les autres nous dévoilent leur part d’ombre et leur part de lumière. Entre la rigueur islamique et les libertés laïques, le monde arabe se cherche.
Le chômage touche plus de 30 % de la population en âge de travailler. Ce taux résulte de l’absence de stratégie saine de développement et d’une opacité dans la gestion des ressources financières du pays sans oublier un système éducatif inadapté où des diplômés de l’université sont sans emplois. Il s’agit d’un chômage de longue durée qui contribue à la dévalorisation de l’enseignement. Les compétences enseignées ne correspondent pas souvent aux besoins du marché. La politique d’infantilisation a féminisé la société. De l’enfant roi on est passé à l’adulte tyran. Quand l’enfant est roi, ce sont les femmes qui exercent la régence. Devenu adulte, il cherche à se substituer à l’autorité de l’Etat. Les rapports parents-enfants sont de l’ordre de la séduction qui est le contraire de l’éducation.
La télévision s’est substituée à la famille. Le père n’est plus capable d’aider ses enfants à rompre le lien fusionnel avec leur mère. Une famille patriarcale où les relations parents-enfants se superposent entre le chef de l’Etat et la société.
Le couple n’est plus un espace d’intimité mais une préoccupation de groupe. Le droit au mariage ne se mendie pas, il s’arrache. Le recul de l’âge du mariage engendre aussi des problèmes de stabilité dans la vie psychique et aggrave les tentations. Si l’on veut réaliser la possibilité de l’Algérie de rompre avec le syndrome autoritaire, une analyse en profondeur des rapports entre les élites et le peuple est indispensable. Rare sont les dirigeants qui disent la vérité parce que faire de la politique c’est mentir. Qui va abandonner la douceur de vie de la vallée pour emprunter les chemins tortueux de la montagne ? Pourtant la sagesse se trouve au sommet de la montagne loin du bruit assourdissant des villes. Entre l’opportunisme des jeunes turcs et le conservatisme des vieux turbans, l’Algérie est tourmentée.
Cultivée et tolérante, sa maman lui a appris à manier le verbe ; ignorant et despotique, son papa lui a appris à se servir du gourdin. La mère juge en toute équité, le père décide en toute impunité. L’une l’éduque, l’autre la dresse. « La république » est ballotée entre ses origines gréco-romaines et les traditions arabo musulmanes.
La France la fascine, l’Algérie la répugne. Elle prend parti pour sa mère en s’opposant à son père. Elle navigue entre les deux eaux, entre les deux rives de la méditerranée. Elle parle en arabe et réfléchit en français. Elle porte un pantalon serré sous son hidjab noir Elle veut être moderne comme sa mère et autoritaire comme son père. La république islamiste lui promet le paradis céleste en montant au maquis les pieds nus et le ventre vide ; la République française lui propose le bonheur sur terre par la traversée à la nage de la méditerranée. Elle est vaccinée des deux. Les deux mènent à la mort.
Elle veut vivre, vivre pleinement. Elle tente envers et contre tous de se frayer un chemin sans se voiler la face et sans se dénuder. Il s’agit de sa propre destinée. Elle veut choisir librement son futur époux et non subir celui que son père veut lui imposer. Elle n’est plus une enfant, elle est adulte. La « république » a plus de cinquante ans et son « papa » est centenaire. Le père mourant voudrait que sa fille le raccompagne dans sa dernière demeure. La fille désire vivre, se marier et avoir des enfants. Elle est ménopausée. L’élu de son cœur d’enfant n’est pas encore né.
L’arrivée du Mahdi n’est pas pour demain. « L’œuf ne danse pas avec la pierre ». La démocratie n’est pas une histoire d’égalité entre l’homme et la femme ou de la société par rapport au pouvoir. Le besoin de l’homme de dominer et de la femme d’être dominée est une loi de la nature y compris chez les animaux.
Le lion marche seul, le mouton en troupeau. Autrement cela fait désordre. Le lion est le roi de la jungle et la souris ne peut pas empêcher le chat de la manger. Penser différemment, cela ne fait pas sérieux. Le matriarcat ne peut être un remède aux « méfaits » du patriarcat comme le mariage libre ne peut être une solution au libertinage. Le pouvoir est dans la domination, la société est dans la soumission. L’ordre dans la vie doit respecter l’ordre dans le sexe. Pour les conservateurs, la femme commande l’homme en lui obéissant ; pour les progressistes, la femme est l’égale de l’homme, c’est elle qui commande ; pour les radicaux, l’homme tue, la femme rend fou.
Le couple pouvoir et société a traversé trois étapes la fusion (la guerre de libération), le patriarcat (le socialisme), la révolte et le conflit (la guerre civile), l’apaisement (la conciliation) et s’apprête à inaugurer un nouveau cycle celui d’une prise de conscience, d’une remise en question, d’une lucidité retrouvée.
Le pouvoir a le pouvoir de donner la mort (la guerre) et la société celui de donner la vie (la paix). « On appellera colombes ceux qui privilégient la paix à tout prix et les faucons, ceux qui pour préserver la paix, ne craignent pas d’envisager la guerre.
Dr A. Boumezrag