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Le courage de dire la vérité

Les intellectuels et l’exil

Le courage de dire la vérité

La presse a payé un lourd tribut pendant la décennie noire.

Il est clair que la figure platonicienne et son double socratique incarnent mieux l’image de ces philosophes ou de ces intellectuels, en quête de la vérité, pour laquelle ils sont prêts à tout sacrifier. Ce que montre bien, d’ailleurs, la mort de Socrate (470-399 av. J-C) lui-même. Ayant préféré accepter sa condamnation à mort, en buvant de la ciguë (plante vénéneuse) plutôt qu’une compromission dans la recherche de la vérité, à même de profiter à sa cité et l’illuminer, celui-ci n’a jamais renoncé à l’idéal de la justice citoyenne. 

De même, Platon (428-348 av. J-C), issu de l’une des familles les plus puissantes de l’aristocratie athénienne, choisit de consacrer, toute son existence à la critique de la démocratie dans sa cité, plutôt que d’y bénéficier d’avantages auxquels sa connaissance l’autorisait, pourtant, à prétendre. 

Dans l’âge moderne, le philosophe Jean-Paul Sartre ou les penseurs Edward Said, Noam Chomsky représentent également, ce genre d’intellectuels organiques pour qui la vérité devrait primer, dans la critique de la société, quitte à s’attirer la foudre des gouvernants.

Conclusion : la force d’une société quelconque réside dans la structuration de son élite, son dévouement et son engagement auprès de ceux d’en-bas.

En outre, si dire la vérité se révèle parfois une entreprise périlleuse pour cette élite-là, cela restera, en revanche, une étape incontournable afin de faire avancer les choses. 

Or, aujourd’hui, c’est cette vérité-là qui nous manque, sérieusement, en Algérie, hélas! Quoique dynamique et prometteuse, la presse libre est, à titre d’exemple, dépourvue de gros moyens et surtout sujette aux pressions de toutes sortes, lesquelles l’empêchent d’exercer, efficacement, son rôle de «quatrième pouvoir». Bien plus, l’inquiétant dessèchement de la source élitiste et l’absence de relève générationnelle, en raison du manque d’entretien du savoir ainsi que de la culture par nos dirigeants, ne sont-ils pas synonymes, pour notre jeunesse, de la liquidation physique de ses dernières miettes d’espoir ?

Il est légitime de s’interroger, dans ces circonstances, s’il est, encore, possible pour l’Algérie de produire des intellectuels de la trempe de Alloula, Bousebsi, Medjoubi, Djaout, etc. Pas évident ! Regardons, seulement, une ville comme Mostaganem et tirons-en les leçons utiles! De bastion national du théâtre et de la culture, dans toutes ses manifestations, – citons pour mémoire la figure artistique célèbre Ould Abderrahmane Kaki (1934-1995), l’un des dramaturges pionniers du Théâtre national-, cette ville en est actuellement, réduite à végéter dans l’ignorance, sinon à «quémander» misérablement de la culture : pas de cinémas ni de théâtres, moins encore de foyers littéraires et de lieux de distraction pour occuper ses jeunes, poussés à s’adonner à la délinquance ou à la course pour la fuite dans l’autre rive de la Méditerranée.

L’exil ou  » harga », comme on dit dans le terroir, est devenu, à force du désœuvrement, le vide et l’ennui, l’objet collectif de fantasmes aussi bien pour ces jeunes que pour leurs familles. Un pareil gâchis se trouve, sans doute, le même dans toutes les régions d’Algérie, où, face au désengagement d’une élite rentière et «budgétivore» qui refuse de dire, tantôt par peur et lâcheté, tantôt par servilité et compromission, la vérité à sa société, le monstre de la corruption, doublé de celui de l’injustice, ont sapé le moral de toute une population, ravagée par l’épidémie contagieuse du fatalisme. 

Auteur
Kamal Guerroua

 




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