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Le délit d’offense aux symboles de la Révolution ?

Saad Bouakba

Saad Bouakba embastillé. Crédit photo : DR

Le 4 décembre est prévue la décision du juge après l’incarcération provisoire du journaliste Saad Bouakba pour atteinte aux symboles de la Révolution. Raison pour laquelle nous revenons sur cette affaire qui, comme toutes les autres, est une tâche dans l’honorabilité de la justice de notre pays.

C’est assez étonnant qu’on me lance souvent  à la figure un argument alors que je n’ai même pas dit mon opinion sur le sujet. C’est ce qui s’est passé pour cette triste affaire concernant un journaliste innocent de tout délit. 

On me dit « c’est pareil en France ! », « Pourquoi tu ne critiques pas le droit français qui a la même législation ? », « Ta haine viscérale pour l’Algérie te fait concentrer sur l’accusation systématique de ton pays ! » et ainsi de suite dans la bibliothèque du parfait adepte de la secte embrigadée.

Pourtant s’ils ne se jetaient pas sur moi avant d’écouter, ils seraient surpris d’entendre de ma bouche que c’est effectivement la même chose en France (comme dans tous les pays à législation à peu près identique) si on ne regardait que le droit dans sa lettre. 

La réalité juridique est très contestable en France, elle est irrecevable en Algérie. Voyons la différence entre les deux situations.

En France les lois mémorielles se sont empilées créant ainsi une gêne de plus en plus perceptible au regard de la liberté d’expression.

Pour notre époque contemporaine, le principe qui justifie cette entorse à cette liberté prend essentiellement sa source dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et  dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC). Ils prévoient que la liberté d’expression peut être limitée par la loi pour protéger certains intérêts légitimes.

Ainsi la loi Gayssot de 1990  réprime pénalement la contestation des crimes contre l’humanité. C’est le cas de la loi Taubira pour l’histoire de l’esclavage et de quelques autres lois. 

La loi sur la presse de 1881 avait bien avant prévu dans son article 34 de pénaliser l’injure envers la « mémoire » des morts. En fait en ce domaine la loi a toujours trouvé une échappatoire à la liberté d’expression, ce ne serait pas le fait en lui-même qui est répréhensible mais l’atteinte à la dignité de ceux qui se sentent touchés.

Ce n’est pas la critique du drapeau qui est en cause mais cela peut choquer ceux qui en font un symbole national. Ce n’est pas la critique de la religion qui est en cause mais son effet qui peut heurter les croyants et ainsi de suite.

La critique n’a jamais cessé de la part des historiens, c’est à eux à traduire la réalité de l’histoire, pas à la loi affirment-ils.

Bien entendu que nous pouvons avoir un dégout profond envers ceux qui nient l’existence de la Shoa, qui considèrent que le racisme n’existe pas ou qui portent atteintes aux lieux mémoriels et ainsi de suite.

Mais le ressenti et les propos abjects ne doivent pas être une cause de pénalisation lorsqu’ils ne touchent pas des individus ou des groupes d’individus, vivants et identifiables. L’idéologie, aussi repoussante et dangereuse qu’elle soit, ne peut être interdite et sévèrement contrôlée que lorsqu’elle menace l’ordre public et les citoyens. Ce qui est le cas dans beaucoup d’exemples mais pas dans tous.

J’avais dit que la situation juridique en France est très contestable, je le maintiens. Mais il faut la tempérer par quelques exceptions qui restent encore fragiles dans leur pouvoir à nous convaincre. Ils sont très vagues dans le texte de loi et dans la jurisprudence. Je recommande au lecteur de le vérifier, c’est un véritable récital d’ambiguïtés. 

Pour les lois mémorielles algériennes, la légitimité n’est pas seulement contestable mais irrecevable. Tout d’abord un pays qui emprisonne des opposants n’est absolument pas légitime de nous opposer son droit pour juger Saad Bouakba.

D’autre part, si on listait tout ce qui est répréhensible pénalement, il ne resterait pas grand-chose aux langues pour s’exprimer.

On n’a pas le droit de critiquer l’État, ses dirigeants, ses institutions, ses lois, sa religion officielle, ses valeurs (autoproclamées), la mémoire de ses morts, celle des vivants qui pleurent leurs morts, le Raϊ et même le couscous de tata H’lima. (Attention pour ce cas, la sanction serait très lourde pour celui qui s’aventurerait dans ce crime).

Les symboles et la mémoire de la république, c’est un chef d’accusation des plus irrecevables et la mise en incarcération provisoire est un crime et une honte pour les juges qu’ils l’ont décidé.

Ce 4 décembre, si la relaxe est prononcée, nous ne les féliciterons pas ni ne les remercierons. Et si la condamnation est prononcée, nous les confirmerons dans leur honte et leur indignité.

Boumediene Sid Lakhdar

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